OPÉRA-BOUFFE EN TROIS ACTES


Théâtre de l’Opéra-Comique. — 24 Décembre 1860.




PERSONNAGES.
ACTEURS.
BABABECK, grand vizir du gouverneur de Lahore MM. SAINTE-FOY.
LE GRAND-MOGOL NATHAN.
SAËB WAROT.
KALIBOUL, eunuque LEMAIRE.
XAILOUM BERTHELIER.
MAÏMA, jeune bouquetière Mmes MARIMON.
BALKIS, marchande d’oranges BÉLIA.
PÉRIZADE, fille de Bababeck CASIMIR.
Marchands et Marchandes. — Gens du peuple. — Bourgeois. — Serviteurs de Bababeck. — Soldats et Officiers. — Femmes de Périzade. — Fonctionnaires du palais.


À Lahore.






ACTE PREMIER

Une place publique de Lahore.


Scène PREMIÈRE.

MAIMA, BALKIS, Marchands et Marchandes, Gens du peuple et Bourgeois ; puis BABABECK, KALIBOUL, et des Serviteurs de Bababeck.

(C’est le jour du marché. — Maïma avec des paniers de fleurs et Balkis avec des paniers de fruits se tiennent à gauche du théâtre. — À droite, d’autres marchands et marchandes. — Au milieu, des gens du peuple ou des bourgeois de la ville qui regardent, marchandent et achètent.)

INTRODUCTION.
Ensemble.
LES MARCHANDES.
Je vends à juste prix,
Je vous le garantis !
Venez ! Achetez-nous !
J’en ai pour tous les goûts,
De toutes les qualités.
Achetez ! achetez !
LES CHALANDS.
Et ces fleurs et ces fruits,
Tout me parait exquis !
Achetez ? achetez ?
Oui, de tous les côtes
Nous sommes. Enchantés
Et nous sommes tentés !
MAÏMA.
Voyez ces beaux bouquets,
Qu’ils sont jolis et frais !
Montrez-vous connaisseurs,
Achetez-moi ces fleurs !
Vous serez enchantés,
Achetez ! achetez !
BALKIS.
Je vends à juste prix,
Voyez ces jolis fruits ;
Goûtez, ils sont exquis,
Vous en serez séduits…
Vous serez enchantés !
Achetez ! achetez !

(On entend un air de marche. — Bababeck, l’échanson du gouverneur paraît, porté sur son palanquin. Kaliboul, son eunuque blanc, et plusieurs serviteurs chassent la foule devant lui.)

LES SERVITEURS DE BABABECK.
Que l’on s’efface,
Qu’on fasse place
A l’échanson du gouverneur !
Dieu l’illumine,
Que l’on s’incline,
Avec respect, avec terreur,
C’est l’échanson du gouverneur !
LE PEUPLE, à voix basse.
Il nous menace,
Faisons-lui place,
Courbons nos fronts avec terreur !
Mais la victime,
Que l’on opprime,
Se vengera de son malheur
Sur l’échanson du gouverneur.

(Bababeck descend de son palanquin. Il fait le tour de la place en s’appuyant sur Kaliboul : il s’arrête devant Maïma et Balkis qu’il contemple quelques instants avec plaisir. )

BABABECK.
AIR.
De ces jeunes filles,
Fraîches et gentilles,
Les attraits naissants
Gaîment m’affriandent,
Et soudain me rendent
Un nouveau printemps !
Je n’ai que vingt ans !
Oui, je n’ai que vingt ans !

(S’avançant au bord du théâtre et se frottant les mains d’un air joyeux.)

Aujourd’hui je marie enfin
Ma fille tant chérie
Qui, par un oubli du destin,
Est loin d’être jolie ;
En revanche, Dieu la créa
Et méchante et colère,
Et mon gendre s’en chargera !
Quel bonheur pour un père !
Me voici seul à la maison,
Je suis libre, je suis garçon !

(Regardant Maïma et Balkis.)

De ces jeunes filles, etc.
(Balkis s’approche de lui et lui présente un panier de fruits.)
COUPLETS.
Premier couplet.
BABABECK.
Oh ! les superbes pêches !
Quel velouté charmant !
BALKIS.
Si vous les trouvez fraîches,
Prenez, cela se vend !
Prenez, prenez, cela se vend !
BABABECK, la regardant d’un air galant.
J’aimerais mieux, mignonne,
Ce regard plein d’appas !
BALKIS, l’arrêtant.
Pardon !… cela se donne,
Cela ne se vend pas !
Non, non, non, non, cela ne se vend pas !
Deuxième couplet.
BABABECK, se tournant vers Maïma qui tient à la main une rose.
Que j’aime cette rose !
Quel éclat séduisant !
MAÏMA.
Pour vous elle est éclose,
Prenez, cela se vend !
BABABECK, la regardant avec amour.
Et ce teint… ce sourire…
Ces traits si délicats…
MAÏMA, le tenant à distance de la main.
De loin cela s’admire,
Et ça ne se vend pas !
Non, non, non, non, cela ne se vend pas !

(On entend dans le lointain un bruit qui va toujours en crescendo.)

LE CHŒUR, écoutant.
Mais quel est l’orage
Qu’ici nous présage
Le bruit incertain
Qui gronde au lointain ?

(Le bruit augmente.)

Voici la tempête
Qui sur notre tête
S’amasse, frémit,
Éclate et mugit !
MAÏMA et BALKIS, regardant à droite.
La foule entoure en fureur
Le palais du gouverneur !
BABABECK.
Et le mien est juste en face !
KALIBOUL, regardant.
On en casse les carreaux !
BABABECK.
Ils les paîront !… quelle audace !
Ils les paîront sur leurs dos…
Courons, courons !
Ensemble.
BABABECK, KALIBOUL et LES SERVITEURS.
Quel bruit ! quel tapage !
Ce léger nuage
Qui dans le lointain
S’annonçait soudain,
Devient la tempête
Qui sur notre tête
S’amasse, frémit,
Et soudain mugit !
MAÏMA, BALKIS, et LE PEUPLE.
Quel heureux présage !
Quel bruit ! quel tapage
Fait trembler soudain
Ce maître hautain !
Voici sur sa tête
Qu’enfin la tempête
S’amasse, frémit,
Et soudain mugit !

(Bababeck, Kaliboul et les esclaves de sa suite disparaissent par la droite : le peuple s’élance sur leurs pas.)


Scène II.

BALKIS, MAÏMA.
BALKIS.
Tu ne les suis pas ?
MAÏMA.
Non, c’est une émeute comme il y en a tous les jours. Le gouverneur nommé par le Grand-Mogol prend tellement à tâche de vexer les bourgeois de Lahore, qu’il est tout simple que de temps en temps on use de représailles… Nous vivons dans une drôle de ville… les Kaïmakans, qui sont les gouverneurs nommés par le Grand-Mogol, passent leur vie à empaler les bourgeois qui, de leur côté, passent leur vie à jeter les Kaïmakans par la fenêtre…
BALKIS.
Et que dit de tout cela le Grand-Mogol, notre souverain maître ?
MAÏMA.
Cela lui est bien égal… Il passe ici avec son armée quand il en a le temps. Il distribue la bastonnade aux bourgeois, ou le cordon aux gouverneurs nommés par lui ; puis, il en nomme un autre qui ne dure pas plus longtemps.
BALKIS, s’asseyant.
En attendant, tout ça nuit au commerce ! on ne vend ni oranges, ni grenades, quand on crie ou qu’on se bat dans les rues.
MAÏMA, s’asseyant près d’elle.

Que veux-tu ?… les marchandes alors se croisent les bras et causent.

BALKIS.

Causons ! Aussi bien, je suis inquiète de Xaïloum.

MAÏMA.

Qu’est-ce que c’est que Xaïloum ?

BALKIS.

Un bon jeune homme, d’une bonne famille, son père est vitrier dans la rue du grand bazar, et lui est ouvrier en châles de cachemire… un fameux ouvrier… quand il travaille, mais volontiers il aime mieux flâner et courir les rues.

MAÏMA.

C’est-à-dire qu’il ne fait rien.

BALKIS.

Lui ! il n’y a pas d’ouvrier plus occupé. Il est mêlé à toutes les querelles… mais ça ne sera plus comme ça quand il m’aura épousée, ou je me fâcherai tant et si bien qu’il n’aura pas besoin de chercher des disputes hors de son ménage.

MAÏMA.

C’est donc ton amoureux ?

BALKIS.

Dame ! Faut bien en avoir un au moins !… Et toi, est-ce que tu n’as pas d’amoureux ?

MAÏMA, soupirant.

Non !

BALKIS.
Comme tu es en retard !… toi qui as plus d’instruction et d’esprit à toi toute seule que toutes les commerçantes en détail du grand marché, car tu sais lire et écrire !
MAÏMA.

Oui, mon père était un soldat, tué au service du Grand-Mogol, et il m’avait donné de l’éducation.

BALKIS, la regardant avec commisération.

Cela t’a bien avancée !… De l’éducation ! de la jeunesse ! de la gentillesse ! et pas encore d’amoureux !

MAÏMA, avec un soupir.

Je n’en ai plus.

BALKIS, gaiement.

Ah ! c’est bien différent, raconte-nous ça…

MAÏMA.

Je n’ai plus personne qui m’aime.

BALKIS.

Et moi ?

MAÏMA, lui prenant les mains.

Merci, ma bonne Balkis, mais vois-tu, dans la petite maison que mon père habitait aux portes de la ville, il m’avait laissée seule…

BALKIS.

Seule !…

MAÏMA.

Avec un chien, un chien superbe, grand et fort comme un lion, qui me protégeait, qui me défendait. Il n’y avait pas à craindre qu’il laissât approcher personne, excepté un jeune paysan des environs qui venait m’aider dans la culture de mes fleurs, et il était si assidu, si exact…

BALKIS.

Ton chien ?

MAÏMA.
Non, le jeune paysan… et puis il veillait sur moi et le jour et la nuit.
BALKIS.

Le jeune homme ?

MAÏMA.

Non, mon chien… et si dévoué, si fidèle !

BALKIS.

Ton chien ?

MAÏMA.

Non, l’autre ou plutôt tous les deux, et voilà qu’un beau jour, des soldats bien habillés voulurent m’acheter mon chien. Et comme je refusais, malgré mes cris et les siens, ils l’enlevèrent de force.

BALKIS.

Mais l’autre au moins, l’autre t’est resté ?

MAÏMA.

Un malheur n’arrive jamais seul ; il n’est plus revenu.

BALKIS.

On te l’aura enlevé aussi.

MAÏMA.

J’en ai peur ; ils étaient si beaux tous les deux ! et voilà, ma chère, comment je me suis trouvée sans amant et sans chien.

BALKIS.

Ils reviendront ! Une fois que ça connaît le chemin… et que ça veut revenir, rien ne les en empêche ! mais je te laisse ; décidément, je suis inquiète de ne pas voir Xaïloum.

MAÏMA.

Et pourquoi ?

BALKIS.
Je viens d’acheter pour mon commerce une grande voiture d’oranges que j’ai laissée là-bas sur la place du palais, faute de bras pour l’emmener… j’attendais pour cela Xaïloum… Ah ! quel bonheur ! c’est lui, je l’entends.

Scène III.

Les mêmes ; XAILOUM.
XAÏLOUM, en dehors.

Victoire ! victoire !

(Entrant en scène.)

AIR.
Vive le tapage,
Le bruit et l’orage !
On crie : au secours !
Joyeux, je m’échappe
Vers ceux que l’on frappe ;
En riant, j’accours
Et soudain je tape,
Je tape toujours !
Jamais de querelle
Où je ne me mêle ;
Là-bas on m’appelle ?
Gare ! me voici !
L’époux qui s’enflamme
Corrige sa femme,
Ou bien c’est madame
Qui bat son mari,
Moi je fais : csssi csssi !
Vive le tapage, etc.
Parfois dans la rue,
C’est la foule accrue
Qui roule et se rue ;
Gare, me voici !
Plus d’un se culbute,
Je ris de sa chute,
Et, tandis qu’on lutte,
Moi je crie : csssi csssi…
Vive le tapage, etc.
BALKIS.

Qu’est-ce donc, Xaïloum ? Qu’y a-t-il de nouveau ?

XAÏLOUM.

Je me suis couvert de gloire et de poussière, ils m’ont nommé un des chefs… ça m’était dû !

BALKIS.

Ça me fait peur… il n’arrive pas une mauvaise affaire dans la rue que tu n’y prennes part.

XAÏLOUM.

Cette fois-ci, c’est bien mieux, c’est moi qui en suis cause.

BALKIS.

Ah ! mon Dieu !

XAÏLOUM.

Je me rendais à l’ouvrage en chantant, c’est mon habitude… voilà qu’un soldat en faction sur la place du palais me dit : « On ne chante pas ! Le Kaïmakan actuel ne veut pas qu’on chante. » — Moi de me récrier. — « Le Kaïmakan ne veut pas qu’on crie, » et il se met en mesure de me donner la bastonnade, moi je refuse, il appelle la garde, j’appelle les camarades qui passaient… Mêlée générale. On se met à casser les croisées du gouverneur et celles des palais voisins… cela m’allait, attendu que mon père est vitrier et je lui ai donné de l’ouvrage, je m’en vante !

MAÏMA.

Malheureux ! Qu’avez-vous fait ?

XAÏLOUM.

Ce n’est rien encore. Le seigneur Bababeck, le grand échanson qui venait de rentrer chez lui, met le nez à la fenêtre pour observer l’ennemi et faire son rapport. Il y avait là par bonheur, sur la grande place, une voiture non attelée, une charrette d’oranges…

BALKIS, avec effroi.
Ah ! mon Dieu !
XAÏLOUM.

J’en prends une énorme et je l’écrase sur le nez du grand échanson ; il est obligé de battre en retraite, car tous mes camarades avaient fait comme moi, et, pour casser tous les carreaux du palais Bababeck, ils s’étaient tous pourvus de munitions dans la charrette d’oranges qui, en un instant, avait été dévalisée.

BALKIS.

Mais c’est moi que tu as ruinée !

XAÏLOUM.

Toi ?

BALKIS.

Tu as rendu notre mariage impossible.

MAÏMA.

Les oranges étaient à elle.

XAÏLOUM.

Quoi !

BALKIS.

À moi !

XAÏLOUM.

En vérité ?

BALKIS.

Vois ce que coûtent les révolutions !

XAÏLOUM.

Est-ce que je savais ?

MAÏMA, écoutant.

Ah ! tenez… tenez… écoutez !

BALKIS.

Une marche guerrière !

MAÏMA.
Je la reconnais… celle du Grand-Mogol lui-même…
XAÏLOUM.

Est-ce qu’il serait dans la ville ?

MAÏMA.

Il est partout… lui et son armée !

BALKIS.

Et il vient pour châtier les factieux.

XAÏLOUM.

C’est fait de moi !… où me cacher ?

BALKIS.

Va-t’en, va-t’en !

(Xaïloum disparaît à l’entrée du cortège.)


Scène IV.

BALKIS, MAÏMA, Hommes et Femmes accourant en désordre.
LE CHŒUR.
C’est la foudre en furie
Qui frappe et qui châtie,
La foudre et ses éclairs
Qui gronde dans les airs,
C’est notre arrêt suprême !
Le Grand-Mogol lui-même
A dicté notre sort,
Le supplice et la mort !

Scène V.

Les mêmes ; LE GRAND-MOGOL précédé et suivi de Soldats, BABABECK, KALIBOUL.
LE GRAND-MOGOL.
COUPLETS BOUFFES.
Premier couplet.
Rampez tous devant moi !
C’est bien ! mais pourquoi
Ce trouble suprême ?
Pourquoi ?
Bannissez votre effroi :
Je suis bon, ma foi !
Je veux que l’on aime
Ma loi !
Maître débonnaire,
Pour me distraire,
Je viens vous faire
Tous empaler,
Tous étrangler,
Ecarteler !

(Le peuple tombe la face contre terre.)

(Continuant d’un air gai.)

A part ça, joyeux et content,
Toujours bien patient,
Je veux qu’on bénisse
Mon ordre propice ;
Car je sais,
De loin ou de près,
Parmi mes sujets,
Maintenir la paix ;
Ma douce justice
Ne s’endort jamais !
Deuxième couplet.
Amis, point de terreur ;
Malgré la fureur,
Qui souvent enflamme
Mon cœur,
Votre maître et seigneur
Est plein de douceur.
Calmez de votre âme
La peur !
Maître débonnaire, etc.
LE CHŒUR, frappant la terre de son front.
D’un maître sévère
Craignons le courroux
Et dans la poussière
Prosternons-nous tous !

(Le Grand-Mogol s’assied sur des carreaux que ses esclaves viennent de lui préparer. Un de ses grands officiers lui présente sa pipe et il fume en s’adressent à Bababeck.)

LE GRAND-MOGOL, à Bababeck.

Ainsi donc, oubliant le respect qu’ils devaient à moi et au Kaïmakan que je leur avais donné…

BABABECK, s’inclinant.

Ils l’ont jeté, astre de lumière, par les fenêtres de son palais… c’est le dixième Kaïmakan de cette année, ce qui devient gênant pour les passants…

LE GRAND-MOGOL, froidement.

Très-bien !

BABABECK.

Ce qui fait que nous ne sommes plus gouvernés en ce moment.

LE GRAND-MOGOL, de même.

Très-bien !

BABABECK.

Et si, par la justice céleste, étoile du firmament, les coupables sont punis…

LE GRAND-MOGOL, de même.

Très-bien !

BABABECK.

Les bons serviteurs doivent être récompensés, et j’ai quelques droits à la dignité vacante.

LE GRAND-MOGOL.

Lesquels ?

BABABECK.

D’abord j’ai reçu une blessure honorable…

KALIBOUL.
En plein visage…
BABABECK.

Le fruit de la révolte… voyez plutôt… mais je connais le drôle qui m’a visé et je le retrouverai.

LE GRAND-MOGOL.

Après ?

BABABECK.

Grand échanson du dernier gouverneur, la place, j’ose le dire, était fatigante. Je versais beaucoup et souvent, à telles enseignes… Kaliboul, mon premier eunuque…

KALIBOUL.

J’ai cet honneur.

BABABECK.

Kaliboul attestera à Votre Hautesse que feu le gouverneur était presque toujours…

KALIBOUL, à part.

Presque !… flatteur, va !…

LE GRAND-MOGOL, froidement.

Très-bien !

BABABECK.

Et puis, c’est aujourd’hui que je marie ma fille Périzade au jeune Saëb, officier des gardes de Votre Hautesse…

LE GRAND-MOGOL.

Très-bien !

BABABECK.

Et en faveur de ce mariage, et comme cadeau de noces, je sollicite du roi des rois, et de l’astre des astres, la dignité de Kaïmakan de Lahore pour moi, son fidèle serviteur.

KALIBOUL, à part, se frottant les mains.

Bah ! ça fera le onzième.

LE GRAND-MOGOL, froidement.
Très-bien ! tes services et ton zèle méritent en effet une récompense.
BABABECK, vivement.

Que tu accordes !…

LE GRAND-MOGOL.

Non ! Les habitants de cette ville turbulente et rebelle ne méritent pas d’être gouvernés par un de mes ministres, et je rêve pour eux un changement dont la postérité gardera le souvenir. Approche ici.

BABABECK, s’avançant et se prosternant.

Que veut le roi des rois… et l’astre des…

KALIBOUL, achevant.

Astres…

LE GRAND-MOGOL, l’interrompant brusquement.

C’est bien !… Tu as vu tout à l’heure dans mon palanquin, sur un carreau d’or et de soie, couché à mes pieds… un superbe chien qui soudain s’est levé l’œil étincelant…

BABABECK.

Magnifique animal, qui a manqué faire à votre fidèle serviteur l’honneur de le dévorer.

LE GRAND-MOGOL.

Très-bien ! tu vas le promener dans mon palanquin par toute la ville de Lahore, et tu feras proclamer à son de trompe ces paroles : « Tel est, pour vous punir, le nouveau Kaïmakan que votre souverain maître vous donne. Que devant lui chacun se prosterne et lui obéisse désormais ! »

BABABECK.

Oui… roi des rois… astre des astres…

LE GRAND-MOGOL, l’interrompant.

Assez !… C’est toi, Bababeck, que je nomme son premier vizir, c’est toi que je charge de faire exécuter ponctuellement toutes ses volontés, quelles qu’elles soient… sinon… tu me connais… je te ferai empaler.

BABABECK.
Oui, roi des rois… astre des astres…
LE GRAND-MOGOL.

Assez !

BABABECK, à demi-voix à Kaliboul.

Quelle humiliation ! nous donner pour Kaïmakan cet animal !

KALIBOUL, de même.

Quand mon maître était là !

LE GRAND-MOGOL.

J’ai dit : ma présence est nécessaire pour quelques jours dans les royaumes de Cachemire et de Candahar… deux villes rebelles que je vais prendre et incendier… ce ne sera pas long. Je reviens, et malheur à qui aurait méconnu l’autorité du gouverneur que je viens de nommer !

BABABECK.

Oui, roi des rois… astre des…

KALIBOUL.

Astres…

Ensemble.
LES SOLDATS, avec joie.
Pillage et désastre
Et nouveaux exploits !
Vers l’astre des astres,
Vers le roi des rois,
Cohorte fidèle,
Levons nos regards !
Et gloire éternelle
A nos étendards !
LE PEUPLE.
O nouveau désastre !
Ni paix, ni repos !
De l’astre des astres
Et des grands héros
Que Dieu nous délivre !
Et nous, ses enfants,
Qu’il nous laisse vivre
Obscurs et contents !

(Le Grand-Mogol sort, entouré de tous ses officiers et suivi par la foule du peuple.)

MAÏMA.

Tu as entendu ?

BALKIS.

Tout… Pauvre Xaïloum !

MAÏMA.

Son compte est bon !…


Scène VI.

MAÏMA et BALKIS, restées seules.
DUO.
MAÏMA et BALKIS.
La fortune ennemie
Vient de briser mes jours !
Car c’est perdre la vie
Que perdre ses amours !
MAÏMA.
O dévoûment trop tendre,
Par l’ingrat méconnu !
Rien ne peut plus me rendre
Celui que j’ai perdu !
BALKIS.
D’un juge inexorable,
Ah ! je crains le courroux !
Et Xaïloum coupable
Tombera sous ses coups !
MAÏMA et BALKIS.
La fortune ennemie, etc.
MAÏMA, écoutant.
N’entends-tu pas cette marche brillante ?
BALKIS, de même.
Oui, le bruit s’approche, il augmente !
MAÏMA, regardant.
Du haut de la terrasse, avec quelle splendeur
À l’éclat du soleil le cortège rayonne !
BALKIS, de même.
Un cortège !… Celui du nouveau gouverneur !
Voici son palanquin… sa garde l’environne.
MAÏMA.
Dieu ! que de beaux soldats, couverts d’or et d’acier !
BALKIS.
Vois-tu sur son coursier
Ce gentil officier ?
MAÏMA, poussant un cri et portant la main sur son cœur.
Ah !
BALKIS.
Qu’as-tu donc ?
MAÏMA.
C’est lui… c’est lui, Dieu me pardonne !
BALKIS.
Ce jeune paysan, dont ton cœur est épris ?
MAÏMA.
Eh ! oui, vraiment, c’est lui sous ces riches habits !
Ensemble.
MAÏMA.
O surprise, ô prodige !
Où suis-je, ô ciel ! où suis-je ?
N’est-ce point un prestige
Dont s’abusent mes yeux ?
Image enchanteresse,
Qui vient de ma tendresse
Me rappeler l’ivresse
Et les rêves heureux !
BALKIS.
O surprise, ô prodige !
N’est-ce point un prestige
Ou bien quelque vertige
Dont s’abusent ses yeux ?
Image enchanteresse,
Qui vient de sa tendresse
Lui rappeler l’ivresse
Et les rêves heureux !
MAÏMA, écoutant toujours.
Entends-tu ces hourras et ces transports de joie ?
BALKIS, regardant.
Ils annoncent le palanquin
De notre nouveau souverain !
MAÏMA, regardant.
Sous ses rideaux de velours et de soie
On peut l’apercevoir…
BALKIS.
On peut l’apercevoir… Oui, si j’en crois mes yeux,
C’est notre gouverneur lui-même.
Bien loin d’être ébloui par le pouvoir suprême,
Pour ses nouveaux sujets, affable et gracieux,
De la tête il salue !… et même il aboie.
MAÏMA, qui s’est approchée, regardant et poussant un grand cri.
De la tête il salue !… et même il aboie. Ah !
BALKIS.
Qu’est-ce encore !…
MAÏMA.
C’est lui ! c’est bien lui ! le voilà…
C’est mon chien,
C’est le mien,
Je le reconnais bien !
BALKIS, suffoquée.
Je le reconnais bien ! Ouf !
Ton chien ! le gouverneur ?
MAÏMA.
Ton chien ! le gouverneur ? Le gouverneur Barkouf !
Ensemble.
MAÏMA.
O surprise, ô prestige !
Où suis-je, ô ciel, où suis-je ?
Mon bon chien ! ô prodige !
Lui ! maître dans ces lieux !
O vue enchanteresse
Qui, pour moi, sa maîtresse,
Rappelle ma jeunesse
Et tous mes jours heureux !
BALKIS.
O surprise, ô prestige !
N’est-ce point un vertige ?
C’est son chien, quel prodige !
Gouverneur glorieux
Dont elle fut maîtresse !
O vue enchanteresse,
Qui lui rend sa jeunesse
Et ses rêves heureux !
AIR DE MARCHE, qui accompagne le chant des deux jeunes filles.
LE CHŒUR, au dehors.
Sur son passage,
Qu’on rende hommage,
Hommage, honneur
Au gouverneur !
Qu’on se prosterne
Devant celui
Qui nous gouverne !
Qu’il soit béni,
Qu’il soit chéri !
PLUSIEURS HÉRAUTS D’ARMES, seuls, toujours au dehors.
Le Grand-Mogol lui-même
Ordonne ici qu’on l’aime,
Qu’il soit donc révéré
Et de plus… adoré !
Sinon tremblez… Tremblez !…
MAÏMA et BALKIS, sur le devant du théâtre.
O surprise, ô prodige !
Doux et cruel prestige,
Qui me rit et m’afflige !
Lui, maître et tout-puissant !
Pourvu que sa tendresse
N’ait pas, dans la richesse,
Oublié la maîtresse
Qui jadis l’aimait tant !
LE PEUPLE et LES SOLDATS, au dehors.
Sur son passage, etc.
(Les jeunes filles se rapprochent de la terrasse et regardent défiler le cortège. On aperçoit au fond les pointes des lances et des mousquets, la flamme des étendards, les turbans des soldats et enfin le palanquin du gouverneur, porté sur les épaules de quatre soldats. Les cris de joie redoublent, les bannières s’agitent.)

ACTE DEUXIÈME

L’intérieur du palais du gouverneur de Lahore. — Portes au fond et à gauche. A droite, une grille dorée.


Scène PREMIÈRE.

PÉRIZADE, debout devant une glace, se regardant ; BABABECK, devant la grille.
PÉRIZADE.

Vous dites que Saëb, mon fiancé, n’a pas encore paru ?

BABABECK.

Non !

PÉRIZADE, se regardant toujours.

Il a tort, car plus je me regarde…

BABABECK.

Sans doute. À force de te voir, tu ne te vois plus. (A part.) Mais lui !… (Haut.) Baisse ton voile.

PÉRIZADE.

Pourquoi donc… il n’y a que vous ici, mon père…

BABABECK.

C’est égal, baisse ton voile. Tu sais bien que nous n’avons que ce moyen-là de marier nos filles en Orient.

PÉRIZADE.
Et vous m’assurez que mon fiancé est amoureux de moi ?
BABABECK.

De confiance… sur ce que je lui ai dit de ta jeunesse et de ta beauté.

PÉRIZADE.

Raison de plus pour qu’il me voie.

BABABECK, virement.

Quelle imprudence ! Demain seulement… le lendemain du mariage.

PÉRIZADE.

Je n’attendrai jamais jusque-là.

BABABECK.

Il le faut ! Je le veux !

PÉRIZADE.

Et pourquoi ?

BABABECK.

Nos lois, nos usages…

PÉRIZADE.

Sont absurdes ! Mais après tant de mariages indéfiniment retardés, comment celui-là s’est-il fait aussi promptement ? Vous ne me l’avez jamais dit.

BABABECK.

Parce qu’il ne faut le dire à personne.

PÉRIZADE.

Excepté à moi.

BABABECK, avec mystère et à voix basse.
Mohamed Saëb, père de ton fiancé, un des plus riches seigneurs de Lahore, était entré dans une conspiration contre le dernier Kaïmakan. J’en avais… j’en ai encore là les preuves qu’il suffisait de montrer au Grand-Mogol, pour faire tomber la tête du coupable. Mais, comme je ne veux la mort de personne, j’ai écrit au jeune Saëb, son fils, lui promettant de lui remettre ces preuves, le jour-même de son mariage avec toi… et par dévouement filial…
PÉRIZADE.

Qu’osez-vous me dire ?…

BABABECK.

Il a consenti non sans peine…

PÉRIZADE.

Un pareil outrage à moi… à mon printemps !…

BABABECK, avec humeur.

Ton printemps… ton printemps…

PÉRIZADE.

N’en ai-je pas ?…

BABABECK.

Tu n’en as que trop… voici bientôt le trente-sixième…

PÉRIZADE, avec indignation.

Mon père !…

BABABECK.

Aussi… je ne serai tranquille que lorsque nous reviendrons de la mosquée… pour cela… et comme fonctionnaire public, je dois avant tout demander le consentement du gouverneur.

PÉRIZADE.

Son consentement ?…

BABABECK, avec impatience.

Il est nécessaire… non-seulement ce matin, pour que ton fiancé te conduise à la mosquée… mais ce soir encore, pour qu’il t’emmène de ce palais dans le sien.

PÉRIZADE.

Eh bien !… à moins que par hasard le gouverneur n’ait entrevu mes charmes et qu’il n’en soit jaloux, pourquoi refuserait-il ?

BABABECK.

Pourquoi ?… C’est vrai, renfermée dans le sérail, tu ne sais pas ce qu’il vient d’arriver… nous avons dans ce moment un gouverneur d’un si mauvais caractère… et tiens, tout à l’heure encore…

COUPLETS.
Premier couplet.
Diplomate fidèle,
En ce beau jour
J’ai voulu plein de zèle,
Faire ma cour !
Sais-tu ce qu’il m’a dit ?
R r r r r r r.
Je tremble, il m’assourdit :
R r r r r r r.
Deuxième couplet.
Présumant qu’il désire
Un peu d’encens,
Je dis : « Sire, j’admire
Vos blanches dents, »
Sais-tu ce qu’il répond ?
R r r r r r r.
Et comme il m’interrompt !
R r r r r r r.
PÉRIZADE.

Mais enfin, mon père, qu’est-ce que tout cela signifie ?

BABABECK.

Tu vas le savoir… regarde… voilà celui que nous avons pour maître.

(Bababeck montre la grille dorée, derrière laquelle est censé se trouver le chien du Grand-Mogol.)

PÉRIZADE.

Comment, notre gouverneur est un…

BABABECK.

De race… mais de race terrible. N’importe… qu’il m’accorde seulement la permission de te marier que je viens de lui faire demander par Kaliboul… je l’aimais mieux ainsi… et je ne crains plus rien du côté de Saëb.

PÉRIZADE.

Comment cela ?

BABABECK.

Tu es du sang royal, pas de divorce possible, on ne peut plus te répudier qu’avec ton consentement.

PÉRIZADE, avec force.

Et je ne le donnerai jamais, parce que, mon père…

BABABECK.

Silence, on vient… c’est ton fiancé… Il a l’air bien rêveur. Baisse ton voile.

PÉRIZADE.

Ah ! qu’il est bien, que sa figure est jeune et charmante !

BABABECK, avec impatience et avec force.

Baisse ton voile… (À part.) si tu veux qu’il en dise autant de toi.


Scène II.

PÉRIZADE, BABABECK, SAEB.
SAËB.
AIR.
Peine cruelle,
Fatal devoir !
Être infidèle
Sans le vouloir !
Chaîne éternelle,
Épouser celle
Qu’on voudrait fuir…
Mieux vaut mourir !
O maîtresse si chère,
Je trahis mes amours,
Et j’aurai pour mon père
Donné plus que mes jours !
Peine cruelle, etc.
Ensemble.
PÉRIZADE, à part.
Ah ! qu’Allah soit béni,
Il me donne un mari !
D’ivresse suffoquée,
Je vais à la mosquée !
Que le ciel soit béni !
Je possède aujourd’hui
Cet époux adoré
Si longtemps désiré !
BABABECK, de même.
Que le ciel soit béni !
Je conduis aujourd’hui,
D’ivresse suffoquée,
Ma fille à la mosquée !
Que le ciel soit béni !
Je possède aujourd’hui,
Ce beau gendre adoré
Si longtemps désiré !

Scène III.

Les mêmes, KALIBOUL, sortant tout effrayé de la grille dorée, à droite, qu’il referme vivement.
QUATUOR.
KALIBOUL.
Allah ! Allah ! Dieu me conserve
Et me préserve
De la fureur
Du gouverneur !
TOUS.

Qu’est-ce ?

KALIBOUL, tremblant et montrant Bababeck.
J’avais reçu…
BABABECK.
J’avais reçu… L’honorable message…
KALIBOUL.
De porter à Barkouf l’acte de mariage…
PÉRIZADE.
Qui par lui doit être approuvé !
BABABECK.
Il y doit apposer sa griffe,
Sinon cet acte est apocryphe.
TOUS.
Eh bien ! que t’est-il arrivé ?
KALIBOUL.
Que son Excellence farouche
A, par un accueil qui me touche,
Voulu me déchirer.
TOUS.
Le déchirer !
KALIBOUL.
Le déchirer ! Des lois de l’étiquette
Qu’un autre s’inquiète,
Pour moi, c’est un abus,
Je n’y retourne plus !
Ensemble.
SAEB, prenant le motif de l’air de Périzade.
Ah ! qu’Allah soit béni !
Mon âme, grâce à lui,
De joie est suffoquée.
Pour nous, plus de mosquée !
Ce n’est pas aujourd’hui
Que je suis son mari !
Cet hymen abhorré
Est encor différé.
PÉRIZADE, prenant le motif de l’air de Saëb.
O loi cruelle !
Faut-il ici,
Chance nouvelle,
Perdre un mari !
Quand je l’adore,
Attendre encore,
C’est trop souffrir…
Mieux vaut mourir !
BABABECK.
Pour ma fille aujourd’hui
Je rêvais un mari !
Ma fille à la mosquée,
D’ivresse suffoquée,
Marchait auprès de lui ;
Et quand j’étais ravi,
Cet hymen désiré
Est encor différé !
KALIBOUL.
Non, non, c’est un abus,
Je n’y retourne plus !
Des lois de l’étiquette,
Qu’un autre s’inquiète.
Qu’un autre en soit ravi,
Je ne veux plus ici,
Par ce maître adoré,
Me sentir dévoré !
(Bababeck frappe dans ses mains. Paraissent des esclaves femmes qui emmènent Périzade.)

Scène IV.

BABABECK, KALIBOUL, SAEB.
BABABECK.

Soyez tranquille, mon gendre… ce n’est qu’un retard… (Saëb s’éloigne.) Il est bien évident… et il faut en prévenir la cour, qu’il n’y aura pas de réception ce matin. Sa Grâce ne recevra personne.

KALIBOUL.

Excepté les hauts dignitaires… vous, par exemple, monseigneur.

BABABECK.

Moi !

KALIBOUL.

À votre place, je lui demanderais audience.

BABABECK.

Allons donc !

KALIBOUL, à part.

Je ne serais pas fâché qu’à son tour… (Haut.) Il faut pourtant que quelqu’un lui parle et prenne ses ordres. Ce ne sera pas moi.

BABABECK.

Ni moi !

KALIBOUL.

Mais alors, comment marcheront les affaires ?

BABABECK.

Elles marcheront comme elles pourront.

KALIBOUL.
Mais il y a des personnes à condamner, des mesures importantes à prendre… et si on ne les prend pas, si le Grand-Mogol se fâche…
BABABECK.

C’est vrai !

KALIBOUL.

Empalé !

BABABECK.

Empalé… empalé ou dévoré… vois-tu ma position !... Qu’est-ce que tu préférerais ?

KALIBOUL.

Moi ?

BABABECK.

Oui !

KALIBOUL.

Je préférerais… ni l’un, ni l’autre.

BABABECK.

Oui, le meilleur n’en vaut rien !

KALIBOUL.

Mais…


Scène V.

Les mêmes ; MAÏMA, DES ESCLAVES, qui veulent l’empêcher d’entrer.
MAÏMA, aux esclaves.

Je vous dis, moi, que j’entrerai… on ne peut m’empêcher devoir le gouverneur… et vous avez beau faire, j’arriverai jusqu’à lui… je lui parlerai.

BABABECK.
Eh ! c’est la petite bouquetière de la place du marché… je la reconnais… (Aux esclaves qui sortent.) Laissez entrer cette jeune fille… je la reconnais, (À Kaliboul.) Vois comme elle est gentille !
KALIBOUL.

Ceci n’est pas de ma compétence.

BABABECK, à Maïma.

Approchez, mon enfant… vous avez donc à parler au gracieux Barkouf ?

MAÏMA.

Oui, monseigneur… (À part.) pour ce pauvre Xaïloum qu’on vient d’arrêter, qu’on va condamner, et Balkis, sa bonne amie, qui se désole. (Haut.) Comment voit-on le gouverneur ?

BABABECK.

On ne le voit pas ! comme tous les grands dignitaires de l’Orient, il ne se montre jamais, et il reste enfermé dans ses appartements.

(Il lui montre la grille dorée à droite.)

MAÏMA, à part.

De ce côté… dans cette niche dorée… pauvre bête, comme il doit s’ennuyer ! (s’adressant à Kaliboul.) Il est bien bon, bien doux, n’est-ce pas ?

KALIBOUL, à voix haute.

Certainement ! C’est le meilleur des gouverneurs !

BABABECK.

Le plus grand des gouverneurs !

KALIBOUL.

Le plus grand des gou… (À Maïma.) Ne vous y fiez pas… c’est un mauvais chien.

MAÏMA.

Lui…

BABABECK.

Personne ici n’ose l’approcher…

KALIBOUL.
Et croyez-moi, ne cherchez pas à le voir… il vous dévorerait.
MAÏMA, vivement.

Ce n’est pas possible, il m’aimait trop pour cela.

BABABECK, à part.

Que dit-elle ?

MAÏMA, allant à Bababeck.

Laissez-moi le voir, monseigneur. Je suis sûre que les grandeurs ne l’ont pas changé et qu’il me reconnaîtra,

BABABECK, vivement et à voix basse.

Tu le connais donc !

MAÏMA.

Pardine !… nous avons été élevés ensemble.

BABABECK.

Silence ! (À Kaliboul.) Laisse-nous !

KALIBOUL, avec curiosité.

Vous laisser…

BABABECK.

Va-t’en voir ce qui se passe… à la cour.

KALIBOUL.

Moi !

BABABECK.

T’informer de ma part des nouvelles de Sa Hautesse.

KALIBOUL.

Oui, monseigneur, (À part.) Qu’est-ce qu’il peut avoir à lui dire ?…

BABABECK, à Kaliboul.

Allons, à la cour !…

(Kaliboul s’éloigne.)

Scène VI.

BABABECK, MAÏMA.
BABABECK, à part.

Elle seule peut nous venir en aide. (Haut.) Comment, mon enfant, tu as connu sa grandeur Barkouf ?

MAÏMA.

Je crois bien !… avant la place qu’il occupe, avant d’appartenir au gouvernement, il m’appartenait à moi… et il m’était si attaché, si soumis, si docile…

BABABECK.

Si docile…

MAÏMA.

Il m’obéissait en tout.

BABABECK, vivement.

Il t’obéissait ! (À part.) Ô bonheur ! (Haut.) De sorte… qu’il t’entend… il te comprend…

MAÏMA.

Au moindre mot, au moindre signe !

BABABECK.

Tu pourrais, par exemple, lui faire apposer sa griffe sur ce papier, (Lui montrant le contrat de sa fille.) ou sur tout autre ?

MAÏMA.

À l’instant même !

BABABECK, à part.

Il se pourrait !… (Haut.) Écoute.

DUO.
BABABECK.
Comme ayant dès longtemps des droits à son estime,
Je te nomme aujourd’hui son secrétaire intime !
Secrétaire interprète ! Attendu qu’en ces lieux
Toi seule tu sais son langage.
MAÏMA.
C’est dit…
BABABECK.
Je compte aussi sur ton obéissance,
Et grâce à toi, grâce à ton influence,
Ce maître furieux, dans ma main je le tien…
Tu comprends bien ?
MAÏMA, finement.
Je comprends bien.
BABABECK.
Fidèle interprète,
Gentille et discrète,
Ta fortune est faite,
Et si tu le veux,
D’un maître inutile
Moi, ministre habile,
Toi, l’écho docile,
Nous régnons tous deux !
Puissants, glorieux,
Nous régnons tous deux !
MAÏMA.
Fidèle interprète,
Aveugle et discrète,
Ma fortune est faite,
Et si je le veux,
D’un maître inutile,
D’un ministre habile
Servante docile,
Nous régnons tous deux !
Puissants, glorieux,
Nous régnons tous deux
BABABECK, mystérieusement.
Tu sauras mes projets à moi !
MAÏMA.
À vous ?
BABABECK.
À moi !
Tu comprends bien ?
MAÏMA.
Je comprends bien.
BABABECK.
Après un court entretien,
De chez lui tu sortiras ;
Tout haut tu proclameras
Sa volonté souveraine,
Tu comprends bien ?
MAÏMA.
Je comprends bien,
Très-bien !
Très-bien !
Ensemble.
BABABECK, avec mystère.
Gentille et discrète,
Adroite interprète,
Ta fortune est faite,
Et si tu le veux,
D’un maître inutile
Moi, ministre habile,
Toi, l’écho docile,
Nous régnons tous deux ;
Puissants, glorieux,
Nous régnons tous deux !
MAÏMA, avec finesse.
Que je sois discrète,
Aveugle et muette,
Ma fortune est faite,
Et si je le veux,
D’un maître inutile,
D’un ministre habile,
Servante docile,
Nous régnons tous deux ;
Puissants, glorieux,
Nous régnons tous deux !
MAÏMA, à part.
Non, non, non, monseigneur,
Pour moi c’est trop d’honneur !
Vous seul, adroit trompeur,
Serez mon serviteur.
Par son adroit moyen
Qui deviendra le mien,
De lui, je ne crains rien,
Je le tiens, je le lien !
BABABECK.
Non, non, je n’ai plus peur
Du sultan en fureur ;
Je n’aurai plus l’honneur
D’être le serviteur !

(A part.)

De lui je ne crains rien :
Par cet adroit moyen,
Son pouvoir est le mien,
Je le tiens, je le tien !

(A part.)

Je suis sauvé !

KALIBOUL, accourant.

Monseigneur ! monseigneur !


Scène VII.

Les mêmes ; KALIBOUL, rentrant vivement.
BABABECK.

Encore toi ! qu’est-ce que tu viens faire ici ? Qu’est-ce que c’est ?

KALIBOUL, troublé.
C’est… c’est bien autre chose… le bruit se répand dans le palais… mais il faut le cacher au peuple… le bruit se répand…
MAÏMA.

Achève donc !…

KALIBOUL.

Que notre gracieux Kaïmakan est enragé.

MAÏMA.

Lui ! Allons donc !

KALIBOUL.

Légèrement enragé… mais cela peut augmenter ! en attendant et vu que tous les médecins ordinaires de la cour ont commencé par donner leur démission… comment s’assurer de l’état de l’illustre malade ?… Qui maintenant l’osera visiter ?…

MAÏMA.

Moi !

KALIBOUL.

Vous… jeune fille !…

MAÏMA.

Oui. Je vous réponds bien qu’il ne me mordra pas.

BABABECK, à demi-voix.

Et comment feras-tu pour l’en empêcher ?

KALIBOUL.

Oui…

MAÏMA.

Je lui dirai ma chanson d’autrefois.

COUPLETS.
Premier couplet.
Ici… Barkouf… et taisez-vous !
Tra la, la, — ici… la, la, la !
Venez… ou craignez mon courroux !
Tra la, la, la, la !

(D’un air menaçant.)

Tra la, la, la, la ! Tra… la, la.

(S’arrêtant et d’un air caressant.)

Mais il est beau, soumis et doux !
La, la, la, la, la, la, la, la !
Bon chien, dormez à mes genoux !
A ma voix qui t’appelle,
O mon ami fidèle !
Tu reviens, te voici,
J’ai revu mon ami.
Tra la, la, la, la, la !
Deuxième couplet.
Méchants ! je brave vos efforts !
Tra la, la, la, la, la, la, la !
Car j’ai là mon garde du corps,
Tra la, la, la, la, la, la, la !
A mes pieds, soumis et câlin,
Tra la, la, la, la, la, la, la !
Le voilà qui lèche ma main.
A ma voix qui t’appelle, etc.

Je vous en prie, monseigneur, mettez-moi vite l’épreuve !…

BABABECK.

Sans plus tarder… tu vas ouvrir cette grille…

MAÏMA.

Il est là ?

BABABECK.

Non pas, derrière une autre encore !

MAÏMA, à part.

En avaient-ils peur !

KALIBOUL.

Voilà la clef…

MAÏMA.
Donnez…
BABABECK.

Attends… cet acte qu’il faut lui faire griffer…

MAÏMA, s’élançant.

Enfin, je vais donc te revoir !


Scène VIII.

BABABECK, KALIBOUL, MAÏMA, au dehors.
KALIBOUL.

Elle est entrée ! Pauvre petite !…

BABABECK.

Paix donc… voici qu’elle ouvre la seconde grille !

KALIBOUL.

Le gouverneur qui dormait… s’éveille… et d’un bond s’élance sur elle.

KALIBOUL et BABABECK, avec effroi.

Ah !…

(Chant de Maïma.)

MAÏMA, en dehors, à droite, reprenant le chant de la scène précédente.
A ma voix qui t’appelle,
O mon ami fidèle !
Tu reviens, te voici !
Mon chien ! mon seul ami !
Tra la, la, la, la, la !
KALIBOUL, regardant par la grille à droite.
O miracle !… autour d’elle… il bondit plein d’ivresse !
BABABECK, regardant aussi.
Ce tyran furieux la fête et la caresse !
KALIBOUL, de même.
Humble autant que soumis, l’accable d’amitiés !
BABABECK.
Et sur un geste d’elle, il se couche a ses pieds.
KALIBOUL.
Oui, ce maître orgueilleux, s’humilie à ses pieds !
Ensemble.
KALIBOUL, étonné.
O profond mystère !
Comment l’éclaircir ?
Quel art tutélaire
A pu l’attendrir ?
Sa fureur pardonne
Enfin à quelqu’un !
Et ce qui m’étonne,
C’est qu’il est à jeun !
BABABECK, avec joie.
Projet téméraire
Qui va réussir,
En toi seul j’espère
Un bel avenir !
Et loin que je craigne
Le sort et ses coups,
Désormais je règne,
Je règne sur tous,
Je règne, je règne sur tous !
MAÏMA, en dehors, caressant son chien.
Tra la, la, la, la,
La, la, la, la, la !
A ma voix qui t’appelle,
O mon ami fidèle !
Tu reviens, te voici !
Mon chien, mon seul ami !
Tra la, la, la
La, la, la, la !
BABABECK, à part.
Elle disait vrai… je règne par elle… et maintenant, qu’ils viennent tous… je ne crains plus rien !

Scène IX.

Les mêmes ; MAÏMA entrant, tenant à la main un papier qu’elle remet à Bababeck.
MAÏMA.

Tenez, monseigneur, voici l’acte que vous désiriez !

BABABECK.

Et sur lequel le gouverneur vient d’apposer sa griffe… (Montrant Maïma.) Grâce à elle, rien ne s’oppose plus au mariage de ma fille. (À Kaliboul.) Cours le lui remettre… qu’elle et son fiancé descendent à l’instant même à la mosquée du palais et que dans un quart d’heure ils soient mariés !

KALIBOUL.

Ne venez-vous pas ?

BABABECK.

Et l’audience qui me retient ici ? une audience solennelle qui va décider de notre position à tous ; va vite.

KALIBOUL, sortant.

Oui, monseigneur.

MAÏMA.

Mais moi, monseigneur, qu’aurai-je à faire ?

BABABECK.

Rien qu’à écouter et à dire comme moi.

MAÏMA.
C’est compris.

Scène X.

Les mêmes ; BALKIS entrant, hors d’elle et tout effrayée, puis LE PEUPLE.
BALKIS, apercevant Maïma, court près d’elle et lui dit à voix basse.

Cette fois, tout est perdu, Xaïloum n’en peut pas revenir.

MAÏMA, à voix basse.

Qui te l’a dit ?

BALKIS.

On le conduit dans la cour du palais, et dès que le gouverneur aura approuvé l’arrêt…

MAÏMA.

Ne crains rien.

BALKIS.

Ah ! je tremble toujours !

MAÏMA.

Ne crains rien, je me charge de tout !

LE PEUPLE, se précipitant sur le théâtre, du fond et du côté gauche.
De l’audience voici l’heure !
Du pauvre, protégeant les droits,
Le gouverneur dans sa demeure
Daigne écouter nos voix !
BABABECK, s’adressant au peuple.
Vos placets lui seront exactement remis
Par moi, son grand vizir ; ils lui seront traduits

(Montrant Maïma.)

Par cette jeune fille, interprète fidèle,
Qui seule ici comprend le grand Kaïmakan,
Et qu’il choisit exprès pour son seul trucheman ;
Il le veut, il l’ordonne, et moi je réponds d’elle.

(On entend un aboiement derrière le grille à droite.)

C’est lui ! sans être vu, notre Kaïmakan
Siège à son tribunal
MAÏMA.
Siège à son tribunal Parlez, il vous entend.

(Plusieurs hommes du peuple se détachent de la foule et viennent remettre à Bababeck un parchemin roulé que celui-ci remet à Maïma. Celle-ci l’ouvre, s’approche de la grille et dit à voix haute.)

Noble Barkouf, le peuple impuissant, éperdu,
Se plaint que tes impôts l’accablent… m’entends-tu ?
BARKOUF, en dehors, aboyant avec force.
Ouab ! ouab ! ouab ! ouab !
MAÏMA, s’adressant toujours à Barkouf.
Ouab ! ouab ! ouab ! ouab ! De misère il expire !
BARKOUF, de même.
Ouab ! ouab ! ouab !
BABABECK, bas à Maïma.
Ouab ! ouab ! ouab ! Refusez…

(À voix haute.)

Ouab ! ouab ! ouab ! Refusez… Ah ! veuillez leur traduire
Sa réponse… Écoutez tous
Et soumettez-vous !
BARKOUF, aboyant.
Ouab ! ouab !
MAÏMA, s’adressant au peuple.
Le grand Barkouf, prenant vos malheurs en pitié,
Veut que tous les impôts soient réduits de moitié !
Ensemble.
BABABECK, avec colère.
O colère ! ô supplice !
Infernale malice !
Mais que rien ne trahisse
Ma secrète fureur !
Elle a pu se méprendre,
Sachons encore attendre,
Et cherchons à comprendre
D’où provient son erreur.
LE PEUPLE.
Gloire à Barkouf… Qu’on le révère !
Sur nous qu’il règne en tous les temps !
De ses sujets il est le père
Et l’honneur des Kaïmakans !
MAÏMA, à part.
Oui, tel est mon caprice,
Je veux qu’on le bénisse ;
Ah ! pour moi quel délice
De tromper un trompeur !
Je ris d’un tel esclandre,
De nous il doit dépendre,
Et c’est à lui de rendre
Hommage au vrai seigneur.

Scène XI.

Les mêmes ; XAILOUM et quelques Prisonniers, amenés par des Soldats.
BALKIS, bas à Maïma.
C’est Xaïloum que l’on mène au supplice !

(Le chef de la police s’avance et remet à Bababeck un parchemin, que celui-ci remet à Maïma.)

BABABECK, se tournant vers la grille.
Oui, c’est le chef de la justice
Qui vient faire approuver, ô maître glorieux !
L’arrêt de mort de tous ces factieux
Que l’on va pendre !
BALKIS et XAÏLOUM, se serrant l’un contre l’autre.
Que l’on va pendre ! Ah ! je tremble ! je tremble !
C’est fait de nous, tout est perdu !
MAÏMA, se tournant du côté de la grille.
O puissant Barkouf ! que t’en semble ?
Des coupables qu’ordonnes-tu ?
BARKOUF, en dehors, aboyant.
Ouab ! ouab ! ouab !
MAÏMA, causant avec lui.
Ouab ! ouab ! ouab !

(Se tournant vers le peuple et montrant Xaïloum et ses compagnons.)

Il leur fait grâce ! Il veut que son pouvoir commence
Par faire des heureux !
XAÏLOUM et BALKIS.
Par faire des heureux ! O bonheur ! ô clémence !
LE PEUPLE.
Gloire à Barkouf ! Qu’on le révère, etc.
Ensemble.
BABABECK.
Quel affront ! Quelle audace !
Ce tyran leur fait grâce !
On en veut à ma place,
Mais trompons les trompeurs,
Et qu’un juste supplice
Et me venge et punisse
L’infernale malice
Qui brave mes fureurs !
XAÏLOUM, BALKIS et LE PEUPLE.
Gloire à Barkouf !… Qu’on le révère !
Sur nous qu’il règne en tous les temps !
De ses sujets il est le père,
Et l’honneur des Kaïmakans !
MAÏMA, à Xaïloum et à Balkis.
C’est lui qui vous fait grâce,
Que ta frayeur s’efface,
Du sort qui te menace
Ne crains plus la rigueur !
Barkouf, c’est son caprice
Prétend qu’on le bénisse !

(À part, regardant Bababeck.)

Oh ! pour moi quel délice
De tromper un trompeur !

Scène XII.

Les mêmes ; cortège de noce de Saëb et de Périzade, qui entre par la porte du fond, au son d’une musique brillante. SAEB s’arrête au milieu du théâtre, donnant la main à PÉRIZADE, qui est voilée.
BABABECK, à part.
Du moins, ma fille est mariée,
Aspect qui calme ma fureur !
PÉRIZADE, à son père.
Oui, rien n’égale mon bonheur,
Au beau Saëb enfin je suis liée !
L’acte signé du gouverneur
A l’autel m’a permis de lui donner mon cœur !
MAÏMA, qui causait à droite avec Xaïloum et Balkis, se retourne en ce moment, voit Saëb auquel Périzade donne la main, et pousse un cri.
Ah ! c’est lui !
SAËB, de même.
Ah ! c’est lui ! Dieu, c’est elle !
MAÏMA.
Le trompeur, l’infidèle !
SAËB.
Maïma… mes amours !
BALKIS, à Maïma.
Maïma… mes amours ! Quoi ! ce jeune officier…
MAÏMA.
Et c’est moi qui viens de les marier !
Ensemble.
MAÏMA et SAËB.
C’en est fait, tout m’accable en ce jour,
Et l’espoir s’envole sans retour !
Ah ! ma vie
Est finie
Avec mon premier rêve d’amour !
BABABECK.
Enfin, je vais à mon tour,
Tout au plaisir, tout à l’amour,
Papillonner le long du jour,
Puisque ma fille se marie !
XAÏLOUM.
Je le dis et sans détour,
Je suis heureux de voir le jour
Que j’allais perdre sans retour !
BALKIS.
Je le dis et sans détour,
Si l’on trahissait mon amour,
Oubliant l’ingrat sans retour
Je me vengerais en ce jour.
PÉRIZADE.
Enfin, voici donc le jour
Où, grâce au pouvoir de l’amour,
Je vais être femme à mon tour !
KALIBOUL et LE CHŒUR.
Du haut du céleste séjour,
Allah, descends, viens en ce jour
Bénir leur doux serment d’amour !
BABABECK, s’avançant vers la grille en tenant Périzade par la main.
Noble Barkouf, la fille du vizir
A Saëb, ce matin, vient ici de s’unir,
Pour que ce soir l’heureux époux emmène
La jeune épouse en sa maison…
Selon l’antique usage, il faudra qu’il obtienne
Ton agrément, réponds !

(Barkouf aboie en dehors.)

Ton agrément, réponds ! Nous l’accordes-tu ?

(Il aboie encore.)

MAÏMA, avec colère.
Ton agrément, réponds ! Nous l’accordes-tu ? Non !
Il a dit non !
TOUS.
Il a dit non ! Non !
PÉRIZADE, hors d’elle-même.
Comment non ? c’est horrible !
À cet ordre impossible,
La fille du vizir
Ne saurait obéir !
LE CHŒUR, avec colère se tournant vers elle et vers Bababeck.
Qu’on obéisse au gouverneur,
Ou sur les rebelles malheur !
Ensemble.
MAÏMA.
Sort tutélaire,
Qui viens me faire
Triompher dans cette affaire,
Tu secondes mes projets.
Noble adversaire,
Il faut vous taire
Et malgré votre colère
Obéir à mes arrêts !…
SAEB.
Ordre arbitraire
Mais salutaire,
Qui soudain vient me soustraire
Au sort que je maudissais,
Par toi j’espère,
Comme naguère,
Vous retrouver sur la terre,
Jours qu’appellent tous les regrets.
BALKIS.
Sort tutélaire,
Qui vient la faire
Triompher dans cette affaire,
Tu secondes ses projets.
Noble adversaire,
Il faut vous taire
Et, malgré votre colère,
Obéir à ses arrêts !…
BABABECK.
Pouvoir contraire
Qui vient défaire
Ce qu’en leur vol téméraire
Avaient bâti mes projets !…
Mais la colère
Qui m’exaspère
Saura bientôt, je l’espère,
Dicter aussi ses arrêts !
XAÏLOUM et LE CHŒUR.
Allah l’éclairé,
La chose est claire !
De ses lois dépositaire,
Il nous dicte ses arrêts.
Roi populaire,
Qui sait nous plaire,
Ne crains rien, nous saurons faire
Respecter tous tes décrets !
PÉRIZADE.
Ordre arbitraire,
Destin contraire,
Comment, hélas ! me soustraire
A ses injustes décrets ?
Sachons me taire,
Mais ma colère
Saura lutter, je l’espère,
Contre un tyran que je liais !
KALIBOUL.
Ordre arbitraire
Qui vient défaire
Ce qu’en leur vol téméraire
Avaient rêvé ses projets !…
En cette affaire
Il faut se taire,
Car ce peuple saurait faire
Respecter tous ses décrets !

ACTE TROISIÈME

Les jardins du sérail du gouverneur de Lahore. — À gauche, le kiosque royal fermé par de riches tapisseries. À droite, les appartements du palais. Au fond un escalier avec balustrade en marbre, et par lequel on descend dans les cours du palais.


Scène PREMIÈRE.

XAÏLOUM, seul, entrant par le fond, en regardant avec précaution autour de lui.

Me voici dans le sérail… où jamais je n’ai mis le pied, mais depuis que je suis sauvé, depuis que le bon Barkouf a prononcé ma grâce, impossible de revoir Balkis, qui est restée au palais près de Maïma. Balkis, la petite marchande d’oranges qui est devenue une grande dame et qu’on ne peut plus voir, c’est ennuyeux ! Parce que les hommes, (Avec importance.) les vrais hommes sont exclus du sérail et les gardiens, avec la pointe de leur sabre, disent toujours : On ne passe pas… Moi, sans entrer en explication, j’ai fait le tour des murs, j’ai aperçu une brèche et alors !…

COUPLETS.
Premier couplet.
J’ai grimpé,
J’ai rampé,
A tout je me suis rattrapé !
Payant d’assurance et d’audace,
Je pénètre enfin dans la place !
J’ai grimpe,
J’ai rampé,
Au sérail me voilà campé !
Deuxième couplet.
En grimpant,
En rampant,
Aux branches en se rattrapant,
Plus d’un arrive et dit sans honte :
Savez-vous là-bas comme on monte ?
En grimpant,
En rampant.
Honneur au premier occupant !

Scène II.

XAÏLOUM, BALKIS.
BALKIS.

Ah ! Xaïloum ! toi dans ces lieux !

XAÏLOUM.

Je n’y tenais plus ! j’accours pour te voir, pour t’embrasser !… tu as beau être grande dame, je t’aime comme avant, comme un enragé, et toi…

BALKIS.

Comme une simple bourgeoise.

XAÏLOUM.

Alors embrasse-moi.

BALKIS.

Est-ce qu’on a le temps… quand on est aussi occupée que je le suis !

XAÏLOUM, l’embrassant.
Allons donc… et notre mariage ?…
BALKIS.

Il ne se fera pas de sitôt, car il ne se fera qu’en même temps que celui de Maïma qui est impossible en ce moment… car si notre protecteur Barkouf perd sa place, c’est fait de nous.

XAÏLOUM.

Perdre sa place, lui, Barkouf qui a sauvé mes jours et ceux de nos amis !… Lui, Barkouf que tout le monde adore ! et pas fier et si affable !… Hier encore quand il a parcouru avec Maïma les rues de la ville, comme un simple particulier, tout le monde pouvait l’approcher, le toucher ! Aussi quel enthousiasme, quels cris de joie ! On l’aurait porté en triomphe, si ce n’eût été le respect et la peur d’être mordu ! Et tu veux qu’un pareil gouverneur soit jamais destitué, allons donc ! ce n’est pas possible… moi d’abord je me ferais tuer pour lui.

BALKIS.

C’est bien.

XAÏLOUM.

Et mes amis aussi.

BALKIS.

Très-bien.

XAÏLOUM.

Et comme je venais au palais, j’avais pris sur moi, attendu que les petits présents entretiennent l’amitié, un morceau de galette pour le lui offrir, si je le voyais.

BALKIS.

On ne le voit pas.

XAÏLOUM, mangeant la galette.

C’est différent.

BALKIS.
Vous voulez de notre gouverneur, vous autres, et vous avez raison, mais ailleurs on n’en veut pas.
XAÏLOUM.

Pourquoi ça ? lui qui est si bon ! qui rend la justice à tout le monde.

BALKIS.

Il y a des gens que cela gêne ! On dit qu’il aboie après tous les coquins, ça lui fait beaucoup d’ennemis.

XAÏLOUM.

Je comprends.

BALKIS.

Et puis, le seigneur Bababeck qui est furieux de n’être que grand vizir ! et puis sa fille qui est furieuse de n’être mariée qu’à demi, car depuis trois jours, elle n’a pu quitter ce palais et être emmenée par son mari, parce que Maïma… c’est-à-dire le gouverneur y a tenu la main.

XAÏLOUM.

La patte !

BALKIS.

D’un autre côté, le Grand-Mogol, qui reviendra maintenant Dieu sait à quelle époque, le Grand-Mogol a emmené avec lui tous les soldats, il n’y a plus ici que des bourgeois.

XAÏLOUM.

Ce n’est pas rassurant.

BALKIS.

Et l’on dit qu’une bande de Tartares parcourt la campagne et rôde autour des murs du sérail… Voilà où nous en sommes !

XAÏLOUM.

C’est grave !

BALKIS.

J’ai peur que l’on ne nous surprenne… Va-t’en !

XAÏLOUM.
Mais je ne t’ai encore rien dit.
BALKIS.

C’est égal ! Ça suffit.

XAÏLOUM.

On ne peut donc se rien dire à la cour ?... Un baiser du moins !

BALKIS, se laissant embrasser.

Impossible !… Et pour l’honneur des dames du sérail, qu’on ne te voie pas ici ! va-t’en !

(Elle sort.)


Scène III.

XAÏLOUM ; puis BABABECK, PÉRIZADE, KALIBOUL, et divers Fonctionnaires et Officiers du palais.
XAÏLOUM

Va-t’en ! je ne vois qu’un moyen pour lui obéir… c’est de m’en aller. Voyons… (Regardant le fond.) Par cet escalier… non ! on monte… par ce côté… non ! on vient… Ma foi, dans ce pavillon.

(Il s’élance dans le pavillon à gauche dont les rideaux se referment sur lui.)

(Entrées successives de Bababeck et de Périzade, puis de Kaliboul, du porte-épée du porte-pipe, du porte-parasol, du porte-tabouret et de tous les fonctionnaires supprimés.)

LE CHŒUR.
On n’y peut plus tenir,
Il est temps d’en finir !
Au mal le bien succède,
Cela nous dépossède,
Plus d’abus, plus d’impôts,
De tributs, de cachots !
Pour venger nos affronts
Conspirons, conspirons !
XAÏLOUM, dans le pavillon à gauche, caché derrière les rideaux.
Ah ! Balkis disait vrai ! les traîtres
En veulent au meilleur des maîtres.
Pour le sauver, écoutons bien !
Tenons-nous coi, ne disons rien.
BABABECK.
Pour renvoyer le gouverneur,
Moi je sais un moyen vainqueur.
LE CHŒUR.
Écoutons… mort au gouverneur !

(Tous se rangent autour de Bababeck et se disposent à écouter.)

BABABECK, baissant la voix.
Mais silence !
De la prudence,
Et parlons bas
Pour qu’on n’entende pas !
LE CHŒUR.
Parlons bas, parlons bas !
BABABECK, parlant bas et de temps en temps jetant un mot.
. . . . . Tartares
. . . . . bagarres
. . . . . et crac…
. . . . . à sac !
XAÏLOUM, cherchant à entendre.
Tartares… bagarres…
J’écoute et je ne comprends rien.
BABABECK, à voix haute.
Cela ne suffit pas encore,
Nous venger d’abord de Lahore,
C’est bien.
LE CHŒUR.
Très-bien !
BABABECK.
Mais de celui qui nous offense
Il nous faut une autre vengeance,
Et voici quel est mon moyen…
LE CHŒUR.
Voyons donc quel est ce moyen ?
XAÏLOUM, dans le pavillon.
Pour le sauver, écoutons bien.
BABABECK.
Mais silence !
De la prudence,
Parlons bien bas
Pour qu’il n’entende pas !
LE CHŒUR.
Parlons bas… parlons bas !
BABABECK, parlant bas et laissant de temps en temps échapper un mot qu’il réprime aussitôt.
. . . . . Sans qu’il en coûte
. . . . . sans qu’il s’en doute,
. . . . . prompt et soudain…
. . . . . trépas certain…
LE CHŒUR, répétant.
Trépas certain…
Ah ! c’est divin !
BABABECK, les congédiant.
C’est entendu ! c’est convenu !
LE CHŒUR, s’éloignant en silence par différents côtés.
C’est entendu ! c’est convenu !

(Tous les conjurés ont disparu, Xaïloum sort du pavillon.)

XAÏLOUM.

Ils ont maintenant une manière de conspirer où l’on n’entend rien… pas un mot… pas un seul… Autant vaudrait être sourd.

(Apercevant Maïma et Balkis qui entrent par la droite.)

Scène IV.

XAILOUM, MAIMA, BALKIS.
BALKIS, apercevant Xaïloum.

Quoi, c’est toi ! Tu n’es pas parti ?…

XAÏLOUM.

Par bonheur ! car je viens… par mon adresse… par mon intelligence… de découvrir…

MAÏMA.

Quoi donc ?

XAÏLOUM.

La conspiration la plus terrible et surtout la plus ténébreuse… on conspire sourdement.

BALKIS.

Contre qui ?

XAÏLOUM.

Contre le gouverneur Barkouf.

TRIO.
BALKIS.
Quel complot ?
MAÏMA.
Quel complot ? Quel discours ?
XAÏLOUM.
C’en est fait de ses jours !
MAÏMA.
Il me glace !
Que dit-il ?
BALKIS.
Quel péril
Le menace ?
XAÏLOUM.
On dit vrai : La grandeur
Ne fait pas le bonheur !
O furie !
Tout s’émeut,
On en veut
A sa vie !
MAÏMA.
Mais enfin…
XAÏLOUM.
Mais enfin… C’est affreux !
BALKIS.
Un complot…
XAÏLOUM.
Un complot… Odieux !
BALKIS.
En sachant nous entendre,
Nous pouvons le défendre.
MAÏMA.
Avec sincérité…
BALKIS.
Dis-nous la vérité.
XAÏLOUM.
J’entends bien.
MAÏMA.
Eh bien ?
BALKIS.
Eh bien ? Eh bien ?
XAÏLOUM.
Eh bien ? Eh bien ? Eh bien !…
Vérité la plus pure,
Je n’ai rien entendu.
Seulement, je vous jure
Que Barkouf est perdu !
Ensemble.
BALKIS et MAÏMA.
Parle donc, parle donc,
Et reprends ta raison !
On ne peut donc ici
Rien apprendre de lui !
On t’absout,
Dis-nous tout,
Il le faut,
Rien qu’un mot !
Ce forfait,
Il le tait ;
Par pitié, moins discret,
Dis-nous donc ton secret !
XAÏLOUM.
Ah ! je sens ma raison
Qui s’en va tout de bon !
Je voudrais, et pour lui,
Tout vous dire aujourd’hui…
Voilà tout,
Mais surtout
Pas un mot !
Ce complot
Deviendrait
Mon arrêt !
Par pitié,
De moitié
Gardez-moi ce secret !
MAÏMA.
Réponds-nous !
BALKIS.
Réponds-nous ! Qui t’arrête !
XAÏLOUM.
Attendez !… oui, ma tête
Se souvient,
Ça revient.
Je m’étais caché là.
J’écoutais… et voilà
Que j’entends
Ces méchants,
Ces maudits,
Et leurs cris !
Ils parlaient,
Ils disaient…
MAÏMA et BALKIS.
Je t’écoute !
XAÏLOUM.
Ils disaient…
MAÏMA et BALKIS.
Dis bien tout,
Et surtout
N’omets rien !
XAÏLOUM.
J’entends bien !
MAÏMA et BALKIS.
Eh bien ?
XAÏLOUM.
Eh bien ? Eh bien !…
C’est la vérité pure,
Je n’ai rien entendu,
Mais d’honneur je vous jure
Que Barkouf est perdu !
Ensemble.
MAÏMA et BALKIS.
Parle donc, parle donc ! etc.
XAÏLOUM.
Ah ! je sens ma raison, etc.
XAÏLOUM.
Tout ce que je peux dire, c’est que celui qui parlait le plus était le grand seigneur à qui j’ai déjà eu l’honneur (Portant la main à son nez.) d’offrir des oranges.
MAÏMA.

Bababeck ! Le grand vizir…

XAÏLOUM.

Mais il ne parlait qu’à mots entrecoupés et si bas… si bas… que je n’ai rien compris, sinon qu’ils voulaient mettre la ville à feu et à sang en commençant par tuer le grand Kaïmakan.

MAÏMA.

Tuer Barkouf !…

XAÏLOUM.

Par un moyen prompt et immanquable.

MAÏMA, vivement.

Lequel ?

XAÏLOUM.

C’est justement ce que je n’ai pas entendu.

BALKIS.

Et c’est justement ce qu’il fallait connaître.

MAÏMA.

Et ce que je connaîtrai. (A part avec émotion et apercevant Saëb qui parait au fond du théâtre, au haut de l’escalier.) Voici Saëb… (Haut.) Laissez-nous, mes amis… il faut que je cause avec lui sur les moyens de sauver le gouverneur.

BALKIS, à part.

Et sur l’autre chose encore… (Rencontrant un regard de Maïma.) Dès qu’il s’agit de secrets d’État, je m’en vas… je m’en vas… Nous nous en allons.

(Xaïloum sort par le fond, Balkis par la droite. Saëb s’est avancé lentement au milieu du théâtre, Maïma est restée sur le devant de la scène.)

Scène V.

MAIMA, SAEB.
SAËB.

Enfin, je vous retrouve, et je puis vous dire…

MAÏMA.

Et que pouvez-vous dire qui excuse votre trahison ?

SAËB.

Ah ! c’est bien malgré moi que…

MAÏMA.

Que vous êtes marié !…

SAËB.

Oui, mais… je n’aime que toi… que toi seule…

ROMANCE.
Premier couplet.
Ah ! si tu savais
Tous mes regrets,
Tu me plaindrais
Et tu pardonnerais !
Crois-en mes discours,
De nos beaux jours,
De nos amours
Je me souviens toujours.
Mais alors qu’un sort barbare
Nous sépare,
Crois en moi.
Tout plein de toi,
Mon cœur t’a gardé sa foi.
MAÏMA.
Non ! qui trahit sa foi
N’est plus rien pour moi !
SAËB.
Deuxième couplet.
Ton cœur offensé
S’est-il glacé ?
Le temps passé
S’est-il donc effacé ?
Dis-moi, mon cher bien,
Qu’il n’en est rien ;
Et même loin
Rive ton cœur au mien !
Mais alors qu’un sort barbare, etc.
SAËB.

Tu refuses de me croire !… (Lui donnant une lettre.) Tiens, s’il te faut une preuve, lis !

MAÏMA, parcourant la lettre.

Une lettre du grand vizir… Quoi ! c’est pour sauver les jours de votre père qu’il a exigé de vous un pareil sacrifice ?

SAËB.

Oui !

MAÏMA.

Il serait vrai ?… mais alors…

SAËB.

Alors, je t’aime toujours… (Tombant à ses pieds.) je le jure à tes pieds.


Scène VI.

Les mêmes ; BABABECK, PÉRIZADE.
PÉRIZADE, avec colère.

Mon époux !

BABABECK.
Mon gendre !
MAÏMA.

Bababeck !

PÉRIZADE.

Mon époux ! à d’autres genoux que les miens !

BABABECK.

Mais en effet que signifie ?

(Saëb, Périzade, Bababeck et Maïma restent quelques instants immobiles agités chacun de sentiments divers.)

MAÏMA, à Bababeck, qui la regarde d’un air menaçant.

Rien ! Il me remerciait de la faveur que vient de lui accorder notre gracieux maître en le nommant surintendant du palais.

BABABECK.

Saëb ! surintendant du palais… sans que moi, grand vizir, j’en aie été prévenu !

MAÏMA.

Cela vous fâche ?…

BABABECK.

Au contraire, cela m’enchante ! mon gendre est ici chez lui.

PÉRIZADE.

Sans contredit.

BABABECK.

Alors, par l’ordre même du grand Kaïmakan, ma fille est chez son époux.

PÉRIZADE.

Et je n’ai plus besoin d’être emmenée.

SAËB et MAÏMA, à part avec effroi.

O ciel !

BABABECK, avec joie.
C’est évident ! c’est la loi.
MAÏMA, avec émotion et à voix haute.

Seigneur Saëb, vous n’oublierez pas que la garde de Barkouf vous est confiée… (Regardant Bababeck.) Des complots se trament, dit-on, contre ses jours… et jusqu’à ce que les conjurés soient découverts et punis, vous ne le quitterez ni le jour ni la nuit !…

SAËB.

Merci !…

PÉRIZADE, avec colère.

Par exemple !

MAÏMA, avec force.

C’est son ordre.

SAËB.

Je cours où mon devoir m’appelle !

PÉRIZADE.

Votre devoir !… Et moi, monsieur, et votre femme !

SAËB, s’inclinant avec respect.

On doit obéir à son maître !

(Il s’éloigne.)

PÉRIZADE, bas à Bababeck, avec colère.

Mais un pareil tyran, mon père, ne doit pas durer plus de vingt-quatre heures, et dès aujourd’hui même…

BABABECK, de même.

Silence, ma fille… Rapportez-vous-en à ma prudence pour tout oser… sans rien compromettre. Les Tartares seront maîtres ce soir d’une des portes de la ville et d’ici là le grand Kaïmakan aura vécu !

PÉRIZADE.

Comment cela ?

(Un appel de trompettes se fait entendre.)

Scène VII.

MAÏMA, PÉRIZADE, BABABECK, un Officier du palais, puis BALKIS, XAÏLOUM et le Peuple, les Conjurés et KALIBOUL.
UN OFFICIER DU PALAIS, à haute voix.

Le dîner du gouverneur !…

(Les officiers de la bouche entrent par la droite et sur la ritournelle du morceau suivant qui commence piano, traversent le théâtre portant des plats de viandes, des gâteaux et des vases remplis de différents breuvages que l’on place à droite, sur des buffets garnis de fleurs.)

Ensemble.
BALKIS, XAÏLOUM, LES CONJURÉS et LE PEUPLE, qui est monté par l’escalier du fond.
LE CHŒUR.
Des bords du Caucase et du Gange
Accourez, essaims gracieux !…
Que votre brillante phalange
Dans son vol charme ici nos yeux !
LES CONJURÉS, à voix basse.
Doux moment qui nous venge,
Nous allons régner en ces lieux !

(La musique continue à l’orchestre, plusieurs officiers se détachent du groupe des conjurés et vont prendre sur les dressoirs des plats qu’ils présentent à Maïma. Celle-ci cherche à lire dans leurs traits. Ils supportent son regard sans se troubler.)

MAÏMA, remet les plats à Xaïloum et à Balkis et dit à part, en parlant sur la musique qui continue.

Je me trompais, rien à craindre de ce côté.

(Xaïloum et Balkis ont tour à tour porté dans le pavillon à gauche les différents plats que Maïma vient de leur remettre. En ce moment Xaïloum revient et crie de la porte du pavillon.)
XAÏLOUM.

Le gouverneur demande à boire.

(Mouvement parmi les conjurés, Maïma les regarde et redouble d’attention. Elle ne les quitte pas des yeux, en allant prendre sur un dressoir et en guise de coupe, un bassin en or qu’elle présente à Bababeck.)

BABABECK, à qui un des conjurés vient de remettre une grande aiguière.

A boire ! (un peu troublé.) Oui… oui… comme échanson… cela me regarde… C’est le devoir de ma charge.

MAÏMA, s’arrêtant devant lui et le regardant pendant qu’il tient l’aiguière ; à part.

Comme il est ému ! C’est là qu’est le danger, (Haut.) Versez, mais versez donc !

BABABECK.

Je verse !…

MAÏMA, lentement.

Et moi, je vais dire au gouverneur avec quel zèle vous remplissez votre charge.

(Elle sort.)

BABABECK, allant vers les conjurés.

C’est fait !…

PÉRIZADE.

Dieu ! pourvu qu’il ait soif !

KALIBOUL.

Les gouverneurs de Lahore ont toujours soif !…

LE CHŒUR.
Des bords du Caucase et du Gange, etc.
LES CONJURÉS, à voix basse.
Doux moment qui nous venge, etc.

(Maïma sort en ce moment du pavillon, émotion des conjurés.)

MAÏMA, s’approchant de Bababeck.
Grand échanson, notre doux maître
Trouve ce breuvage parfait,

(Geste de joie des conjurés.)

Et je dois vous faire connaître
Combien il en est satisfait.
LES CONJURÉS, à part.
Il a bu ! De lui c’en est fait !
Pour lui la mort… la mort !
MAÏMA, à Bababeck.
Mais je n’ai pas tout dit encor.
COUPLETS.
Premier couplet.
Gouverneur généreux,
Il veut à la ronde
Voir, quand il est heureux,
Heureux tout le monde.
De ce vin favori
Sa bonté profonde
Veut qu’ici,
Comme lui,
Vous buviez aussi !

(Regardant d’un air sombre Bonbeck qui tremble.)

Oui, vous en boirez comme lui ;
Buvez, Barkouf le veut ainsi !
BABABECK.
O ciel ! en boire comme lui !
MAÏMA, avec force et saisissant l’aiguière que Bababeck tient d’une main tremblante.
Allons, Barkouf vous invite.
Mais buvez donc,
Grand échanson !
A Barkouf il faut au plus vite
Et sans façon
Faire raison.
Buvez donc,
Grand échanson !
BABABECK, tremblant.
C’est trop d’honneur… non, non !
LE CHŒUR.
Buvez donc,
Grand échanson !
Au gouverneur, faites raison !
LES CONJURÉS, pressant Bababeck de boire.
Buvez donc, buvez donc,
Pour détourner tout soupçon !
BABABECK, se défendant.
C’est trop d’honneur, non, non !
MAÏMA, tenant toujours d’une main l’aiguière et une coupe que Balkis vient de lui donner, s’adressant à Bababeck et la lui remettant.
À vous donc cette coupe d’or !

(Elle passe entre lui et les conjurés, et se tournant vers ceux-ci :)

Mais je n’ai pas tout dit encor.
Deuxième couplet.
De ce nectar si bon
Qu’il n’épargne guère,
Et du même flacon
Remplissant vos verres.
Barkouf, dans sa bonté,
Veut, amis sincères,
Vous voir avec gaîté
Boire à sa santé !

(Les regardant d’un air sombre.)

Vous boirez tous, avec gaîté,
Vous boirez tous à sa santé !
LES CONJURÉS, tremblants.
Ô ciel… ô ciel ! avec gaîté
Il nous faut boire à sa santé.
MAÏMA, avec force et faisant signe à Xaïloum et à Balkis de leur distribuer des coupes,
Allons, Barkouf vous invite…

(Se tournant vers Bababeck.)

Commencez donc,
Grand échanson ! (Se tournant vers les conjurés.)
Et vous tous, buvez au plus vite
Avec gaîté
A sa santé !
Boire est si doux !
Vous boirez tous !
LE CHŒUR.
Buvez tous, buvez donc,
Grand échanson,
Au gouverneur faites raison !
BABABECK, bas aux conjurés.
Buvez tous, buvez donc,
Pour mieux détourner tout soupçon.
LES CONJURÉS.
C’est trop d’honneur, non, non !
TOUS, tombant à genoux.
C’est fait de nous !
BABABECK.
Grâce et pardon !
LE PEUPLE.
Qu’ont-ils donc tous ?
MAÏMA, les montrant du doigt avec indignation.
Ils ont…

(Montrant Bababeck.)

Que, guidés par ce traître,
Ils versaient un poison mortel
A Barkouf notre maître !
LE CHŒUR.
O ciel !

(Tout le peuple se précipite sur les conjurés.)

N’écoutons qu’un juste transport ;
Sur eux, sur eux, vengeance et mort !
(Tous les conjurés sont saisis et renversés par le peuple. En ce moment un appel de trompette se fait entendre au dehors. — Mouvement de surprise et de terreur.)

Scène VIII.

Les mêmes ; SAEB, se précipitant en désordre sur la scène.
SAEB.
Debout ! aux armes, mes amis !
Les Tartares sont à nos portes !
Debout ! car nous sommes trahis !
Sur nous s’avancent leurs cohortes.
Ensemble.
BABABECK, PÉRIZADE et LES CONJURÉS.
Quel bonheur ! voici les ennemis,
Oui, les ennemis,
Nos seuls amis !
Bas les armes, il faut nous rendre !
Ce sont nos amis !
LE CHŒUR.
Quel danger ! voici les ennemis ;
Qui nous défendra,
Nous sauvera ?
Qui donc viendra pour nous défendre ?

(Tous s’adressant à Saëb.)

Qui nous sauvera ?
SAEB.
Qui ?… dites-vous ?
Le ciel… et vous, oui, vous-mêmes… vous tous !
Déjà chacun et s’indigne et se lève ;
Tous sont soldats ! tous ont saisi le glaive !
Près de Barkouf tous ses sujets
Accourent en foule au palais !
LE CHŒUR, avec douleur.
Barkouf qu’on aime et qu’on admire,
Hélas ! en ce moment expire !
MAÏMA.
Non ! ce breuvage redouté,
Loin de lui je l’avais jeté.
LE CHŒUR, avec joie.
Vive Barkouf, il est sauvé !
De leurs coups, il est préservé !
MAÏMA, qui pendant ce temps s’est avancée vers le fond, et qui du haut de l’escalier plonge dans les cours du palais.
Tenez… tenez, à cette vue
Qui de vous n’aurait l’âme émue ?
Voyez dans les cours du palais !
XAÏLOUM, regardant aussi.
Aux premiers cris qu’il vient d’entendre,
C’est Barkouf qui vient de descendre.
BALKIS, regardant aussi.
Du peuple dans les rangs épais,
L’œil ardent, il passe et repasse
Par ses cris menaçants enflammant leur audace !

(On entend en dehors les aboiements de Barkouf.)

Ouab ! ouab ! ouab !

(Lesquels aboiements continuent de distance en distance pendant la fin de ce morceau.)

MAÏMA, vivement.
Tenez, amis, entendez-vous
Sa voix qui vous appelle tous ?
L’entendez-vous ?
SAËB et MAÏMA, ramenant le peuple sur le devant du théâtre.
À cette clameur qui dans l’air s’élève
LE CHŒUR, avec enthousiasme.
Vous marcherez tous… Oui, tous !
MAÏMA et SAEB.
Dans un même élan vous ceindrez le glaive,
Vous combattrez tous !
LE CHŒUR, de même.
Vous combattrez tous ! Oui, tous !
MAÏMA et SARB.
Pour vos ennemis, ni grâce ni trêve !
LE CHŒUR, de même.
Vous frapperez tous ! Oui, tous !
Marchons, marchons !…
MAÏMA.
Marchons, marchons !… Défendez Barkouf, la patrie,
Ce sont eux dont la voix vous crie :
Allez chercher dans les combats
Ou la victoire ou le trépas !

(On entend au dehors les aboiements de Barkouf.)

LE CHŒUR.
Défendons Barkouf, la patrie,
Ce sont eux dont la voix nous crie :
Allons chercher dans les combats
Ou la victoire ou le trépas !

(Tous sortent en désordre et de tous les côtés. On a entraîné les conjurés ; des esclaves noirs ont saisi Bababeck et Périzade. Maïma leur fait signe de les laisser seuls avec elle.)


Scène IX.

BABABECK, PÉRIZADE, MAIMA, KALIBOUL.
MAÏMA, à Bababeck, Périzade et Kaliboul.

Quant à vous, restez… j’ai à vous faire connaître les intentions de notre gracieux gouverneur, (À Bababeck.) Grand vizir, vous avez trahi l’État en livrant la ville aux Tartares… Grand échanson, vous avez trahi notre sublime gouverneur en voulant attenter à ses jours…

BABABECK.

Permettez !

MAÏMA.
Vous avez donc mérité deux fois la mort, vous ne la subirez qu’une.
BABABECK.

C’est encore trop.

KALIBOUL.

Je renonce à ma part !

PÉRIZADE.

Mais moi…

MAÏMA.

Vous seule, a dit le gouverneur, vous seule, belle Périzade…

PÉRIZADE.

Belle Périzade !…

MAÏMA.

Pouvez les sauver… à une condition…

BABABECK.

Elle y consent !

KALIBOUL.

Elle y consent.

PÉRIZADE.

Laquelle ?

MAÏMA.

Entrez dans ce pavillon, où les docteurs de la loi vont dresser un acte.

PÉRIZADE.

Quel acte ?

BABABECK.

Qu’importe, dès qu’il s’agit de ton père !…

KALIBOUL.

De votre fidèle serviteur !…

PÉRIZADE.
Si c’est ce que je crois… jamais !
BABABECK.

Entends-tu cette marche guerrière, ce sont eux qui reviennent… il s’agit de nos têtes…

KALIBOUL.

Et je n’en ai qu’une.

BABABECK.

Et tu n’as qu’un père… Viens, ma fille !

PÉRIZADE.

O amour filial !

(Ils sortent tous sur l’air de marche que l’on entend.)

MAÏMA, écoutant.

Mais non, ce n’est point Saëb, ce n’est point Xaïloum qui reviennent. Cet air de marche que je reconnais, c’est le Grand-Mogol qui vient à notre secours, quand nous n’en avons plus besoin !


Scène X.

MAIMA, LE GRAND-MOGOL ; puis KALIBOUL.
LE GRAND-MOGOL, au fond.

C’est bien, c’est bien, vous dis-je… mais je veux tout connaître par moi-même, et puisque cette jeune fille sait, dit-on, ce qui s’est passé…

MAÏMA.

C’est vous, sublime souverain !… déjà de retour de Candahar !...

LE GRAND-MOGOL.

En quelques heures la révolte a été apaisée.

MAÏMA.

La ville est tranquille ?

LE GRAND-MOGOL.

Oui, je l’ai brûlée… mais ici, sur mon passage… qu’est-ce que cela signifie… les rues et les maisons de Lahore désertes, et ce palais occupé seulement par des femmes et des esclaves qui ne parlent que du grand gouverneur Barkouf et des réformes, des changements opérés par toi, jeune fille !

MAÏMA.

Non par moi, astre de lumière, mais par le maître que vous nous aviez donné !

LE GRAND-MOGOL.

Pour vous punir… Très-bien !

MAÏMA.

Ces réformes l’ont fait nommer le bon Barkouf… et tout le peuple le bénit et l’adore.

LE GRAND-MOGOL.

Ah ! il se mêle de se faire adorer, de se faire bénir… très-bien… et l’on dit que les Tartares sont venus ce matin vous attaquer ?

MAÏMA.

Oui, astre des astres !

LE GRAND-MOGOL.

Très-bien… je veux voir le gouverneur Barkouf… il est dans ses appartements ?…

MAÏMA.

Non, magnanime souverain !

LE GRAND-MOGOL.

Où donc est-il ?

MAÏMA.

Au milieu du danger… tous ceux qui l’aimaient l’ont suivi… Voilà pourquoi, sublime souverain, vous n’avez trouvé personne dans la ville…

LE GRAND-MOGOL.
Très-bien ! très-bien… j’espère pour lui qu’il sera battu… sans cela… mais quel, est ce bruit ?
KALIBOUL, sortant du pavillon avec un parchemin qu’il remet à Maïma.

Elle a signé l’acte de divorce… non sans peine… elle tenait à son mari… c’était le seul et l’unique jusqu’ici.


Scène XI.

Les mêmes ; XAÏLOUM, suivi d’un flot de Peuple.
FINALE.
LE GRAND MOGOL.
Quels sont ces chants de fête et ces joyeux éclats ?
XAÏLOUM.
Pour Barkouf, nos bourgeois sont devenus soldats !
COUPLETS.
Premier couplet.
Ses cris enflammant leur vaillance,
Donnent le signal du combat ;
Au feu, le premier il s’élance,
Et tous s’élancent sur ses pas !
A lui victoire ! Allah ! Allah !
Quel vaillant chef nous avons là !
LE CHŒUR, répétant.
Victoire, victoire ! Allah ! Allah !
Quel vaillant chef nous avons là !

Scène XII

Les mêmes ; puis BALKIS, accompagnée d’un groupe de Femmes.

(On entend au dehors des accents funèbres.)

LE GRAND-MOGOL.
Quel est ce cri funèbre ?
MAÏMA.
Quel est ce cri funèbre ? Ah ! quels nouveaux périls !

(Courant à Balkis qui entre suivie d’un groupe de femmes.)

Balkis, réponds !… Saëb, Barkouf… où donc sont-ils ?
BALKIS.
Deuxième couplet.
Les Tartares étaient en fuite,
Grâce à Barkouf, l’élu du ciel,
Mais trop ardent à leur poursuite,
Il tombe atteint d’un coup mortel…
Sur lui pleurons… et sur nous… Ah !
Ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon maître nous avions là !
LE CHŒUR.
Pleurons sur nous, Allah ! Allah !
Quel bon maître nous avions là !

(Le peuple tombe aux genoux du Grand-Mogol.)

LE GRAND-MOGOL.
Quoi ! tous à mes genoux !
Que me demandez-vous ?
XAÏLOUM, au Grand-Mogol.
Toi seul avais raison… ce peuple n’est pas digne
D’être, hélas ! gouverné par un de tes vizirs,
Et nous te demandons, comme une grâce insigne,
De nous donner encor, ce sont nos seuls désirs,
Un gouverneur pareil au bon Barkouf…

(Pleurant.)

Un gouverneur pareil au bon Barkouf… Ah ! ah !
Quel bon maître nous avions là !
LE CHŒUR.
Oui, oui, quel bon maître nous avions là !
LE GRAND-MOGOL, à part.
Non pas, ils en prendraient l’habitude peut-être.

(Haut.)

Vous avez mérité votre grâce… et pour maître
Je veux vous accorder un seigneur de ma cour.
LE PEUPLE.
O ciel !

Scène XIII.

Les mêmes ; SAEB, entrant par le fond, BABABECK, PÉRIZADE, sortant du pavillon.
LE GRAND-MOGOL.
Viens, Bababeck.
LE PEUPLE.
Viens, Bababeck. Juste ciel !
LE GRAND-MOGOL.
Viens, Bababeck. Juste ciel ! En retour
Des services qu’il m’a pu rendre,
Je donne le pouvoir à Saëb, à ton gendre…
PÉRIZADE, au Grand-Mogol.
Arrêtez… par amour filial et par force
Il m’a fallu signer un acte de divorce !
MAÏMA, le montrant.
Que voici !
LE GRAND-MOGOL, regardant Saëb brusquement.
Que voici ! Qu’il épouse alors ce qu’il voudra.
SAËB, avec amour, courant à Maïma.
Maïma !
LE PEUPLE.
Maïma ! Vive Maïma !
BALKIS.
De notre bon Barkouf le ministre et l’amie !…
XAÏLOUM, à demi-voix.
C’est égal… c’est égal… jamais rien ne vaudra
Notre bon gouverneur, Barkouf…

(Pleurant.)

Notre bon gouverneur, Barkouf… Ah ! ah !
Quel bon maître nous avions là !
LE CHŒUR.
Quel bon maître nous avions là !
Sa mémoire par nous sera toujours chérie,
Quel bon maître nous avions là !
Vive Barkouf… vive Barkouf !… Allah !
Allah ! Allah !