Le Parnasse contemporain/1869/Ballade des enfants sans souci

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 137-138).



ALBERT GLATIGNY

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BALLADE

DES ENFANTS SANS SOUCI


Ils vont pieds nus le plus souvent. L’hiver
Met à leurs doigts des mitaines d’onglée.
Le soir, hélas ! ils soupent du grand air,
Et sur leur front la bise échevelée
Gronde, pareille au bruit d’une mêlée,
À peine un peu leur sort est adouci
Quand avril fait la terre consolée :
Ayez pitié des Enfants sans souci.

Ils n’ont sur eux que le manteau du ver,
Quand les frissons de la voûte étoilée
Font tressaillir & briller leur œil clair.
Par la montagne abrupte & la vallée,
Ils vont, ils vont ! À leur troupe affolée
Chacun répond : « Vous n’êtes pas d’ici,
Prenez ailleurs, oiseaux, votre volée. »
Ayez pitié des Enfants sans souci.


Un froid de mort fait dans leur pauvre chair
Glacer le sang, & leur veine est gelée.
Les cœurs pour eux se cuirassent de fer.
Le trépas vient. Ils vont sans mausolée
Pourrir au coin d’un champs ou d’une allée,
Et les corbeaux mangent leur corps transi
Que lavera la froide giboulée.
Ayez pitié des Enfants sans souci.

ENVOI

Pour cette vie effroyable, filée
De mal, de peine, ils te disent : Merci !
Muse, comme eux, avec eux exilée.
Ayez pitié des Enfants sans souci !