Bailly (Arago)/Introduction

Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences2 (p. 247-249).
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BAILLY


BIOGRAPHIE LUE EN SÉANCE PUBLIQUE DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES,
LE 26 FÉVRIER 1844.




INTRODUCTION.


Messieurs, le savant, illustre à tant de titres, dont je vais raconter la vie, fut enlevé à la France il y a déjà un demi-siècle. Je me hâte d’en faire la remarque, pour bien établir que j’ai choisi ce sujet sans m’arrêter à des réclamations dépourvues, suivant moi, de justesse et d’à-propos. La gloire des membres de la première Académie des sciences est un héritage de l’Académie actuelle. Nous devons la chérir comme les gloires plus modernes ; il faut l’entourer des mêmes hommages, lui vouer le même culte : le mot prescription serait ici synonyme d’ingratitude.

S’il était arrivé, Messieurs, que, parmi les académiciens nos prédécesseurs, un homme, déjà illustre par ses travaux, sans ambition personnelle, jeté malgré lui au milieu d’une révolution terrible, en butte à mille passions déchaînées, eût disparu cruellement dans la tourmente politique : oh ! alors, toute négligence, tout retard dans l’étude des faits serait inexcusable ; d’honorables contemporains de la victime ne seraient bientôt plus là pour répandre sur des événements obscurs les lumières de leurs honnêtes et impartiaux souvenirs ; une existence vouée au culte de la raison et de la vérité viendrait à ne pouvoir être appréciée que d’après des documents où, pour ma part, je ne consentirai point à puiser en aveugle tant qu’il ne sera pas prouvé qu’en temps de révolution on peut se fier à la droiture des partis.

Je vous devais, Messieurs, ce compte abrégé de l’ensemble d’idées qui m’a conduit à vous présenter un tableau détaillé de la vie et des travaux d’un membre de l’ancienne Académie des sciences. Des biographies qui suivront bientôt celle-ci prouveront que les études auxquelles je me suis livré sur Carnot, Condorcet et Bailly, ne m’ont pas empêché de songer sérieusement aux illustrations contemporaines.

Leur rendre un loyal, un véridique hommage, est le premier devoir des secrétaires de l’Académie, et je le remplirai religieusement, sans m’engager, toutefois, à observer strictement l’ordre chronologique, à suivre pas à pas les registres de l’état civil.

Les éloges, disaient un ancien, devraient être différés jusqu’au moment où l’on a perdu la véritable mesure des morts. Alors on pourrait en faire des géants sans que personne s’y opposât. Je pense, au contraire, que les biographes, ceux des Académiciens surtout, doivent se hâter autant que possible, afin que chacun soit représenté dans sa taille réelle, afin que les personnes bien informées aient l’occasion de rectifier les inexactitudes qui, malgré tous les soins, se glissent presque inévitablement dans ce genre de compositions. Je regrette que nos anciens secrétaires n’aient pas suivi cette règle. En différant, d’année en année, d’analyser avec leur scrupule, avec leur talent habituel, la vie scientifique et politique de Bailly, ils laissaient à l’irréflexion, aux préjugés, aux passions de toute nature, le temps d’imprégner les esprits d’une multitude d’erreurs très-graves, qui ont considérablement ajouté à la difficulté de ma mission. Lorsque j’étais conduit à porter sur les événements de la grande révolution de 1789, auxquels notre confrère a pris une part active, des jugements différents de ceux qu’on trouve consignés dans des ouvrages célèbres, je ne pouvais avoir la prétention d’être cru sur parole. Exposer mes appréciations ne suffisait donc pas ; je devais aussi combattre celles des historiens avec qui je me trouvais en désaccord. Cette nécessité a donné à la biographie que je vais lire une étendue inusitée. Je sollicite à ce sujet la bienveillance de l’Assemblée. J’espère l’obtenir, je l’avoue, lorsque je songe que ma mission est d’analyser devant vous les titres scientifiques et littéraires d’un confrère illustre, de dépeindre la conduite toujours noble et patriotique du premier président de l’Assemblée nationale ; de suivre le premier maire de Paris dans tous les actes d’une administration dont les difficultés paraissaient au-dessus des forces humaines ; d’accompagner le vertueux magistrat jusque sur l’échafaud ; de dérouler les phases lugubres du cruel martyre qu’on lui fit subir ; de retracer, enfin, quelques uns des plus grands, des plus terribles événements de la révolution française.