Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences2 (p. 316-318).
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NOMINATION DE BAILLY À L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS.


En parlant d’une prétendue identité de l’Atlantide ou du royaume d’Ophir de Salomon avec l’Amérique, Bailly disait, dans sa quatorzième Lettre à Voltaire : « Ces idées étaient du siècle des érudits, et non du siècle des philosophes. » Ailleurs (dans la vingt et unième Lettre), on lisait ces mots : « Ne craignez point que je vous fatigue par une érudition pesante. » Avoir supposé que l’érudition peut être pesante et manquer de philosophie, c’était pour certains personnages du second ordre un crime irrémissible. Aussi les vit-on, excités par un sentiment haineux, s’armer du microscope, et chercher péniblement des inexactitudes dans les innombrables citations dont Bailly avait dû s’entourer. La moisson ne fut pas abondante ; cependant, ces fureteurs ardents parvinrent à découvrir quelques points faibles, quelques interprétations contestables. Leur joie alors ne connut plus de bornes. Bailly fut traité avec un superbe dédain : « Son érudition littéraire était très-superficielle ; il n’avait pas la clef du sanctuaire de l’antiquité ; les langues lui manquaient partout. »

Afin qu’on ne supposât pas qu’il pouvait être question, dans ces reproches, de littérature orientale, les adversaires de Bailly ajoutaient : « qu’il n’avait pas la moindre teinture des langues anciennes ; qu’il ne savait pas le latin. »

Il ne savait pas le latin ! Et ne voyez-vous pas, ennemis maladroits du grand astronome, que, s’il avait été possible de composer des ouvrages d’érudition tels que l’Histoire de l’astronomie, tels que les Lettres sur l’Atlantide, sans recourir aux textes originaux, en se servant exclusivement de traductions, vous n’auriez plus conservé la moindre importance dans le monde littéraire. Comment ne faisiez-vous pas la remarque que dépouiller Bailly, très-arbitrairement au reste, de la connaissance du latin, c’était démontrer l’inutilité de l’étude de cette langue pour devenir à la fois un des premiers écrivains et un des plus illustres savants de son époque ?

L’Académie des inscriptions et belles-lettres, bien loin de partager les rancunes puériles, les préjugés aveugles de quelques enfants perdus de l’érudition, appela Bailly dans son sein en 1785. Jusqu’alors, le seul Fontenelle avait eu l’honneur d’appartenir aux trois grandes Académies de France. Bailly se montra toujours très-glorieux d’une distinction qui associait son nom, d’une manière exceptionnelle, à celui de l’illustre écrivain dont les Éloges contribuèrent si puissamment à faire connaître, à faire respecter la science et les savants.

Indépendamment de cette considération toute spéciale, Bailly, membre de l’Académie française, devait d’autant mieux apprécier les suffrages de l’Académie des inscriptions, qu’il existait alors entre ces deux compagnies illustres un vif et inexplicable sentiment de rivalité. Les choses en étaient même venues à ce point, qu’en vertu de la délibération la plus solennelle de l’Académie des inscriptions, un de ses membres aurait cessé de lui appartenir, aurait été irrévocablement démissionnaire, s’il avait seulement tenté de se faire recevoir à l’Académie française ; que le roi ayant cassé cette délibération, quinze académiciens s’engagèrent, sous serment, à en observer néanmoins toutes les stipulations ; et qu’en 1783, Choiseul-Gouffier, qu’on accusait d’avoir adhéré aux principes des quinze confédérés et de s’être cependant laissé nommer par l’Académie rivale, fut sommé, par Anquetil, de comparaître, pour parole d’honneur violée, devant le tribunal des maréchaux de France.

Mais qu’on me permette ici cette remarque : les hommes supérieurs ont toujours eu le privilége de renverser, par la seule influence de leur nom, les obstacles que la routine, les préjugés et la jalousie voulaient opposer à la marche et à l’association des esprits.