Pour se damner/Aventure galante

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(p. 119-128).


AVENTURE GALANTE


Un détachement prussien entrait au château, on courut prévenir la comtesse Louise ; elle arriva sur le perron dans son long peignoir de satin sombre, ses cheveux fauves dénoués, ses yeux noirs brillant d’une flamme héroïque. Le capitaine allemand s’approcha avec courtoisie, et demanda l’hospitalité pour lui et ses hommes.

— Entrez, Messieurs, leur dit la comtesse, je ne puis m’y opposer, puisque vous êtes les maîtres ; j’espère que vous respecterez une femme sans défense, le comte de Maillecraye n’est point au château.

Comme elle disait ces mots, elle jeta un cri en étendant les mains.

Des soldats paraissaient dans la cour d’honneur, poussant devant eux les prisonniers qu’ils avaient faits ; le comte de Maillecraye marchait en avant, les mains liées au dos.

Avant que l’officier prussien eût pu faire un geste pour s’y opposer, la comtesse s’élança vers son mari et l’étreignit passionnément ; elle l’interrogeait en phrases brèves, hachées, le suppliant de lui tout dire.

— Mon adorée Louise, répondit le jeune homme avec un triste sourire, je vais être envoyé dans une ville allemande ; je reviendrai la paix faite, n’aie pas d’inquiétude.

On avait dénoué ses liens, il la tenait étroitement serrée contre son cœur ; les pauvres enfants mêlaient leurs larmes et leurs baisers.

— Non, dit-elle résolument, je ne te quitterai pas, Henry, je veux te suivre ; je suis aussi coupable que toi, puisque je suis ta femme ; on nous emmènera tous les deux !

— Je te supplie, Louise, laisse-moi ; je ne veux pas que tu implores ces hommes, il faut que tu leur prouves que tu es ma pareille en courage ; une comtesse de Maillecraye ne demande rien à l’ennemi.

Elle l’embrassa encore follement, puis se retournant avec fierté :

— Emmenez-le, Messieurs, puisque c’est votre devoir.

Mais au moment où il allait s’éloigner, le comte la regarda avec une telle expression de désespoir et d’angoisse, qu’elle s’arrêta, frappée au cœur.

— Capitaine, dit-elle à l’officier allemand qui la dévorait des yeux, voulez-vous vous rendre chez moi ? je désire vous parler.

— Dans une heure, Madame la comtesse, répondit-il en s’inclinant, je serai à vos ordres.

Il arriva, serré dans son uniforme, la taille bien prise.

— Monsieur, dit-elle d’une voix brève, donnez-moi votre parole d’honneur que vous me direz la vérité ?

— Je vous la donne, Madame, répondit l’Allemand, les hommes de mon pays ne mentent jamais.

— Eh bien, que va-t-on faire de mon mari ?

Il hésita et se mordit la lèvre.

— Répondez, Monsieur, vous l’avez juré, répondez !

— Madame la comtesse, c’est vous qui me forcez à ne pas vous tromper : le comte de Maillecraye sera fusillé demain dès qu’il fera jour ; il a été pris les armes à la main, et vous le savez, nous ne faisons aucun quartier aux francs-tireurs, ils ne font pas partie de l’armée. Il s’élança pour soutenir la malheureuse femme qui chancelait, mais elle le repoussa :

— N’y a-t-il donc aucun moyen en ce monde de sauver l’homme que j’aime ? murmura-t-elle, pendant qu’un flot de larmes inondait ses joues blanches.

Le capitaine ne répondit pas tout de suite, puis il s’approcha tout près d’elle :

— Oui_, dit-il très bas, il y a un moyen ; si vous consentez à me recevoir dans votre chambre, demain matin au petit jour alors que mon service sera fini, je m’engage à faire évader le comte cette nuit même.

Elle eut un cri d’indignation et de dégoût.

— Vous êtes adorablement belle et désirable ! continua-t-il en l’enveloppant d’un regard ardent ; je vous aime ! Pour vous, je brise ma carrière, j’oublie mon devoir, la colère de mes chefs ; votre mari ne saura jamais rien ; vous l’adorez, il reviendra près de vous, et vous penserez quelquefois à celui qui vous aura rendu le bonheur. — Assez, Monsieur, dit la comtesse d’une voix ferme ; il serait inutile, je crois, de faire un appel à votre cœur, de vous supplier…

— Oh ! tout à fait inutile ! répondit-il avec un sourire cruel ; la vie du comte de Maillecraye est dans vos mains.

— C’est bien, j’accepte le marché ; demain au lever du jour on vous introduira dans ma chambre ; à votre tour, vous vous engagez à faire évader le comte ?

— Ce soir M. de Maillecraye sera libre.

Elle lui abandonna sa main, cette main aristocratique qui avait à son doigt l’anneau nuptial, mais comme il voulait y mettre un baiser :

— Non, dit-elle, à demain !


Le lendemain matin, à six heures, il attendait dans sa chambre ; à un léger coup frappé à sa porte, il ouvrit, une femme de service lui fit signe de la suivre.

Ils gravirent un étage, puis elle le fit entrer dans un boudoir de satin clair, capitonné d’argent ; le boudoir était rempli de fleurs comme pour une fête : les camélias tapissaient les murs, les mimosas jonchaient le parquet, les lilas se mouraient dans les jardinières. Vêtue de dentelles, les cheveux à peine relevés par des roses blanches, la comtesse était étendue sur un lit de repos ; son effrayante pâleur fit tout d’abord reculer l’officier.

Mais il vint se mettre à ses pieds.

— N’ayez point peur de moi, dit-il avec un sourire, je vous aime tant, Louise !

Elle tressaillit violemment.

— Par pitié, Monsieur, fit-elle les mains jointes, attendez encore un peu ; je suis à votre merci, je le sais bien, mais quelques minutes encore… Répondez, répondez vite, le comte, mon mari ?

— Je lui ai moi-même ouvert la porte de la chambre où il était prisonnier ; dans quelques jours vous le reverrez.

Elle respira profondément.

Mais tout à coup, elle devint livide et se tordit dans une convulsion en poussant des cris étouffés. — Grand Dieu ! qu’avez-vous ? s’écria l’Allemand en voyant se décomposer ce beau visage, des taches verdâtres se former sur cette peau délicate.

— Il y a, misérable, balbutia-t-elle, que je vais mourir. J’ai sauvé Henry, je suis heureuse ! As-tu cru, lâche, qu’une comtesse de Maillecraye se prêtait à de pareils marchés ! Tu posséderas peut-être la femme que tu voulais, mais tu la posséderas morte.

Le capitaine haussa les épaules.

— Comtesse, dit-il d’une voix claire, nous étions faits pour nous entendre ; vous m’avez joué, je le reconnais, mais moi aussi j’ai violé notre pacte, je me méfiais des femmes de France.

Et il ajouta en tirant sa montre :

— À votre tour, écoutez.

Le bruit de la fusillade retentit dans la cour, l’officier prussien ouvrit la fenêtre ; la comtesse entendit une voix qui criait encore : — Louise ! adieu, Louise !…

Alors, sentant l’agonie qui venait, elle voulut parler, mais ses lèvres violettes ne purent articuler un son ; elle fixa sur le capitaine des yeux pleins d’horreur, et, réunissant ses dernières forces, elle lui cracha à la face.