Autour de la maison/Chapitre XXXIV

Édition du Devoir (p. 123-126).

XXXIV


Le matin des cendres, Mère S.-Anastasie nous faisait un long « catéchisme » sur le « memento quia pulvis es ». Nous écoutions sagement, autant que possible ; mais pouvions-nous chasser les distractions que le ciel bleu nous envoyait ? La lumière entrait dorée de soleil par les grandes fenêtres et l’on regardait voltiger les poussières dans les rayons. Est-ce qu’on deviendrait, après la mort, une poussière aussi fine qui danserait dans la lumière ?

Mère S.-Anastasie faisait le signe de la croix. Le catéchisme finissait et c’était l’heure de l’office. On se précipitait, en chuchotant, au vestiaire ; on s’asseyait à terre ou dans l’escalier pour mettre ses grands bas, et, une fois habillées, on prenait les rangs. Par une porte latérale, on arrivait tout de suite à l’église, en traversant une étroite cour où le trottoir était toujours glacé. On tombait parfois, sans se faire mal et en riant aux éclats. Un tambour de bois gris était ajouté à l’église pour l’hiver ; on entrait en luttant contre les portes lourdes et l’on prenait place dans les bancs de côté, près du mur, en face de saint Joseph. Les fidèles arrivaient. Marie et moi, nous retournions la tête à maintes reprises, furtivement, pour voir, dans l’allée voisine, un peu en arrière, Tante Estelle, et Toto et Pierre qui nous grimaçaient des sourires comiques. Ensuite, ils nous regardaient en montrant le blanc des yeux, signe de dévotion !

On priait bien, malgré tout. On égrenait les ave Maria en faisant siller les sons entre les dents. On lisait les prières de la Messe avec le même bruissement, en se balançant en cadence. Vous savez la manière des petites filles de couvent ? On pouvait prier du cœur, mais on priait surtout des lèvres. Le bon Dieu voyait sûrement les bonnes intentions, et Il devait appeler les anges pour leur faire regarder cette enfance qui s’efforçait d’être sérieuse devant la gravité de la cérémonie.

Et on allait recevoir les cendres. On relevait les casques de poil en se rendant aux balustres, afin que le prêtre pût atteindre les cheveux. On se coudoyait avec des yeux brillants qui souriaient pendant que la bouche restait pincée !

On redescendait l’allée en se touchant le front pour constater que la cendre y était. Une petite, n’ayant pas assez repoussé son bonnet, se tournait vers nous, et disait, l’air scandalisé : « Il me l’a mis sur ma capine ! »

L’office terminé, on sortait de l’église et l’on avait congé pour le reste de l’avant-midi. Graves pensées de mort, où alliez-vous ! On se dispersait en criant de joie. Le soleil nous illuminait l’âme, et nous étions contentes : contentes du beau jour, fières d’être libres, et si heureuses en pensant que le printemps venait, qu’il faisait soleil jusqu’au souper maintenant, et qu’après le printemps, ce serait les grandes vacances !

Oh ! l’esprit des petits enfants qui voltige vers l’avenir ! Il y a si peu longtemps que leur âme est sortie du souffle de Dieu qu’elle en garde une lumière jaillissante qui éclaire tout ! À mesure que l’on grandit, cette lumière s’atténue. La réalité l’assombrit, et chaque année nouvelle apporte, avec plus de clairvoyance, des sujets de peine, des douleurs.

Mais il y a un moyen de la retrouver, la lumière jaillissante. Le bon Dieu nous l’a laissée sur l’autel. Si nous la cherchons, elle posera sur nous sa clarté, et notre cœur sera consolé, même dans la souffrance. Puis, quand tout sera fini et que nous serons cendres, cette lumière divine, un jour, rassemblera notre poussière et en fera des corps glorieux pour la résurrection future. Et nous deviendrons d’autant plus beaux que nous aurons mieux contemplé et aimé sur terre le soleil des autels. Qu’importe ma cendre, si je suis une âme. Les petits enfants ont raison. Béni soit le printemps !