Autour de la maison/Chapitre XXVI

Édition du Devoir (p. 97-100).

XXVI


Toto et Pierre avaient attelé Zoulou à sa voiture d’hiver, une jolie carriole peinte en neuf, rouge avec des lignes jaunes comme ornement. On tenait deux à l’aise là-dedans, et quatre tassés et marchant de temps en temps à côté de la voiture, pour laisser se reposer le chien !

Nous étions partis pour aller au couvent chercher Cécile, Marguerite et Thérèse qui étaient pensionnaires, et qui avaient congé, ce jour-là. Zoulou trottait bien. Sur la route, bordée de gros bancs de neige, les traces du chemin des voitures étaient des lices blanches et brillantes. Il poudrait, il faisait froid. Nous étions bien dans la carriole et nous avions un plaisir fou.

Au couvent, Mère S.-Anastasie accompagna jusqu’à la porte les trois petites filles, et s’exclama : « Vous n’embarquerez pas tous dans la voiture, mes pauvres enfants ? » et, ayant répondu : « non », nous essayâmes pourtant, trois sur un siège, deux sur l’autre, et Toto accroché en arrière, tenant les guides !

Zoulou allait maintenant à petits pas, mais il allait bien et n’avait pas l’air fâché. Il retournait à la maison, voyez-vous, et il « sentait l’écurie »… Nous passâmes allègrement devant la « Providence », le « Sacré-Cœur », le coin rond. Que c’était beau toute cette blancheur ! Nous étions si enthousiasmés que, devant la porte de la cour, nous ordonnâmes à Zoulou de continuer la promenade. Il refusa net, et s’arrêta. Puis, voyant qu’on insistait, il partit, donnant un coup de collier, et brusquement s’élança à toutes pattes. La carriole faisait des zigzags, cahotait ; nous étions pâmés de rire et Zoulou galopait, ingouvernable ! Il se disait sans doute, tout en tirant la langue longue comme le bras, essoufflé : “Ah ! vous voulez vous promener, mes petits enfants ? et vous me charez comme un mulet, parce que je suis une trop bonne bête ? et vous ne voulez pas que je rentre dans ma niche quand vous pourriez vous amuser sans moi ? Eh bien, vous allez voir ! Jamais « en chien » vous n’aurez été aussi vite, et si je casse votre carriole, tant pis, vous ne m’attellerez plus ! »

La panique avait pris deux des petites filles, qui s’étaient jetées dans la neige. Zoulou, encouragé, laissa la rue, entra dans une cour ouverte, fila à toute vitesse jusqu’au fond d’un jardin, perdit la moitié de sa charge, et repartit avec Toto et Pierre, qui essayaient de le mâter ! Et Zoulou se disait : « Là, culbutons ceux qui restent, et sauvons-nous ! » Ce fut l’affaire d’un cahot habilement sauté ; puis, sur le côté de la carriole, Toto fut balancé, le corps plié, les jambes dans la voiture, le buste pendant en dehors ! et Pierre avait la tête dans la paille, et les pieds pointant vers le ciel ! Zoulou fit un nouveau bond, sauta sur le trottoir, déposa, en passant sur le banc de neige, ses deux victimes, qui riaient comme des fous, mais qui avaient perdu leurs tuques.

La bande, qui s’était éparpillée, se rassembla. Nous arrivions les uns après les autres, relevant nos grands bas, rajustant nos nuages, enlevant la neige qui s’accrochait en mottons à nos manteaux de laine. Lorsque, à pied, nous fûmes revenus vers la maison, Zoulou, à moitié dételé, le nez sur la porte de cour, attendait qu’on lui ouvrît. Je revois encore sa bonne face épanouie, et je jurerais qu’il se moquait de nous. La langue sortie, il haletait.

La chère bête ! Que nous en parlâmes longtemps de son galop, et que nous l’avions trouvé fin, notre chien ! À vrai dire, il n’y en avait pas un qui le valût, à dix lieues à la ronde ! et un chien qui « prend l’épouvante », vous savez, ce n’est pas un animal ordinaire !