Autant en emporte le vent (Moréas)
Autant en Emporte le Vent (1886-1887)Léon Vanier, libraire-éditeur.
JEAN MORÉAS


Autant
en
Emporte le Vent


(1886-1887)



PARIS
LÉON VANIER. LIBRAIRE-ÉDITEUR
19, QUAI SAINT-MICHEL. 19

1893
Tous droits réservés.



AUTANT


EN EMPORTE LE VENT
DU MÊME AUTEUR
chez le même éditeur

LES SYRTES 
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LES CANTILÈNES 
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LE PÈLERIN PASSIONNÉ, Nouvelle édition 
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JEAN MORÉAS


Autant
en
Emporte le Vent


(1886-1887)





PARIS
LÉON VANIER. LIBRAIRE-ÉDITEUR
19, QUAI SAINT-MICHEL. 19

1893
Tous droits réservés.



I


MADELINE



Et votre chevelure comme des grappes d’ombres,
Et ses bandelettes à vos tempes,
Et la kabbale de vos yeux latents, —
Madeline-aux-serpents, Madeline.

Madeline, Madeline,
Pourquoi vos lèvres à mon cou, ah, pourquoi
Vos lèvres entre les coups de hache du Roi !
Madeline, et les cordaces et les flûtes,
Les flûtes, les pas d’amour, les flûtes, vous les voulûtes.


Hélas, Madeline, la fête, Madeline,
Ne berce plus les flots au bord de l’Ile,
Et mes bouffons ne crèvent plus des cerceaux
Au bord de l’Ile, pauvres bouffons,
Pauvres bouffons que couronne la sauge !
Et mes litières s’effeuillent aux ornières, toutes mes litières à grands pans
De nonchaloir, Madeline-aux-serpents.




II


L’INVESTITURE



Nous longerons la grille du parc,
À l’heure où la Grande Ourse décline ;
Et tu porteras — car je le veux —
Parmi les bandeaux de tes cheveux,
La fleur nommée asphodèle.

Tes yeux regarderont mes yeux ; —
À l’heure où la Grande Ourse décline.
Et mes yeux auront la couleur
De la fleur nommée asphodèle.


Tes yeux regarderont mes yeux,
Et vacillera tout ton être,
Comme le mythique rocher
Vacillait, dit-on, au toucher
De la fleur nommée asphodèle.




III



Les courlis dans les roseaux !
(Faut-il que je vous en parle,
Des courlis dans les roseaux ?)
O vous joli’ Fée des eaux.

Le porcher et les pourceaux !
(Faut-il que je vous en parle,
Du porcher et des pourceaux ?)
O vous joli’ Fée des eaux.


Mon cœur pris en vos réseaux !
(Faut-il que je vous en parle,
De mon cœur en vos réseaux ?)
O vous joli’ Fée des eaux.




IV




On a marché sur les fleurs au bord de la route,
Et le vent d’automne les secoue si fort, en outre.

La malle-poste a renversé la vieille croix au bord de la route,
Elle était vraiment si pourrie, en outre.

L’idiot (tu sais) est mort au bord de la route.
Et personne ne le pleurera, en outre.




V




Vous, avec vos yeux, avec tes yeux,
Dans la bastille que tu hantes !
Celui qui dormait s’est éveillé
Au tocsin des heures beuglantes,
Il prendra sans doute,
Son bâton de route
Dans ses mains aux paumes sanglantes.

Il ira, du tournoi au combat,
À la défaite réciproque ;
Qu’il fende heaumes beaux et si clairs.
Son pennon, qu’il ventèle, est loque !
Le haubert qui lace
Sa poitrine lasse,
Si léger ! il fait qu’il suffoque.


Ah, que de tes jeux, que de tes pleurs
Aux rémissions tu l’exhortes,
Ah laisse ! tout l’orage a passé
Sur les lys, sur les roses fortes.
Comme un feu de flamme
Ton âme et son âme,
Toutes deux vos âmes sont mortes.




VI




CHŒUR




Hors des cercles que de ton regard tu surplombes,
Démon Concept, tu t’ériges et tu suspends
Les males heures à ta robe, dont les pans
Errent au prime ciel comme un vol de colombes.

Toi, pour qui sur l’autel fument en hécatombes
Les lourds désirs plus cornus que des égipans,
Électuaire sûr aux bouches des serpents.
Et rite apotropée à la fureur des trombes ;


Toi, sistre et plectre d’or, et médiation,
Et seul arbre debout dans l’aride vallée,
O Démon, prends pitié de ma contrition :

Éblouis-moi de ta tiare constellée,
Et porte en mon esprit la résignation.
Et la sérénité en mon âme troublée.




VII



UNE JEUNE FILLE PARLE




Les fenouils m’ont dit : Il t’aime si
Follement qu’il est à ta merci ;
Pour son revenir va t’apprêter.
— Les fenouils ne savent que flatter !
Dieu, ait pitié de mon âme !

Les pâquerettes m’ont dit : Pourquoi
Avoir remis ta foi dans sa foi.
Son cœur est tanné comme un soudard.
— Pâquerettes vous parlez trop tard !
Dieu, ait pitié de mon âme !


Les sauges m’ont dit : Ne l’attends pas,
Il s’est endormi dans d’autres bras.
— O sauges, tristes sauges, je veux
Vous tresser toutes dans mes cheveux.
Dieu, ait pitié de mon âme !




VIII



HISTORIETTE




De sa hache — ah qu’il est las —
Le chevalier aux blanches armes.

À coups de hache
Rompre des casques, — ah qu’il est las —
Le chevalier aux blanches armes.


Et de la jolie fille de Perth,
Et de Béatrix et de Berthe,
Et des robes à bordures de perles
Et des cheveux sur le cou — ah qu’il est las —
Et des bras autour du cou — ah qu’il est las —
Le chevalier aux blanches armes.

De mourir, — ah qu’il est las —
Le chevalier aux blanches armes.




IX



LE JUDICIEUX CONSEIL




Pourquoi cette rage,
O ma chair, tu ne rêves
Que de carnage
De baisers !
Mon âme te regarde,
En tes joutes, hagarde
Mon âme ne veut pas
De ces folâtres pas.

Aussi, parmi cette flamme,
Que venez-vous faire,
O mon âme !
Ah, laissez
Vos bouquets d’ancolie,
Et faites de façon
Que l’on vous oublie.




X



PARODIE




Ha, que l’on lève incontinent les caducées
Sur mon cœur. Et c’est assez de ces familiers
Crève-cœur ; et je m’en vais mettre des colliers
Et des rubans aux boucs qui hantent mes pensées.

Et c’est assez, ô mon cœur, de ces traversées
Risibles. Et soyons les dévots cavaliers ;
Et soyons le palais aux joyeux escaliers ;
Soyons les danses qui veulent être dansées.


Soyons les cavaliers cruels. Soyons encor
La farce espagnole : les dagues, les dentelles ;
La duègne, le tuteur et le corrégidor,

Et don Garcie, et leurs cautèles mutuelles.
— Puis, viens, et que nous chantions, sur la harpe d’or,
L’azur et la candeur, et les amours fidèles.




XI



À JEANNE




Ah ! rions un peu pendant que l’heure
Le souffre ;
Ah, rions sur le bord
Du gouffre.
Oh, si bon il est de rire,
Quand on pense :
Que nos cœurs loyaux n’auront point
Leur récompense.

Si j’avais toujours
Votre front proche,
Je serais sans peur
Et sans reproche.
Mais loin de vos yeux
Je m’assimile
Au fou qui combat
Contre mille.




XII




Je suis le guerrier qui taille
À grands coups d’épée dans la bataille :
Son œil est clair et son bras prompt à férir.
Hélas, il va mourir :
Car sous la dure maille
Par un trou hideux goutte à goutte
Fuit tout son sang et sa vie toute.

Je suis le pauvre chevalier qui vendit son âme
Au diable — honte et diffame —
Pour de l’or pipé sitôt.

Vous qui semblable à la Vierge Marie
M’êtes apparue, ô Dame au cœur haut,
Dame à l’âme fleurie,
Du toucher de votre main pure
Guérissez ma blessure.
Et que vos doux yeux
Me rachètent les cieux.




XIII





Ombre de casemate
Que roussit un vestige de falots,
Lacs sereins, frondants coteaux
Au déclin du char d’Hécate,
Corbeaux
Amis des gibets : noirs cheveux qui raffolez
De pierreries,
Vous n’êtes pas les cheveux de ma Dame.

Ils ne sont pas, non plus, ses cheveux, fin
Or : Aurores,
Bel Arcturus, fulves couchants,
Sur les champs
Javelles, votre orgueil m’est vain
Et vaines vos métaphores.

Fragrante cargaison de nefs
D’Arabie, mais qu’ils me sont soëfs
Les nobles cheveux châtains de ma Dame.
Soit que sa main les apprête
En bandeaux modestes sur sa tête,
Soit qu’ils l’encourtinent déliés, quand amène
Elle se fait à ma peine.




XIV



 
Parce que du mal et du pire
Mon âme absout tous les méchants,
Et que sur ma lèvre respire
Orphéus, prince des doux chants,

Qu’au jardin de ma chevelure
S’ébattent les ris et les jeux,
Que se lève le Dioscure
Dans la prunelle de mes yeux ;

D’autres ont pu me croire : fête
Saoule de drapeaux épanis,
Et clairons sonnant la défaite
De l’indéfectible Erinnys ;


Mais toi, sororale, toi, sûre
Amante au grand cœur dévoilé,
Tu sus connaître la blessure
D’où mon sang à flots a coulé.




XV



Certe, il ne sut une autre toi
Le Roi
Qui dit la femme plus amère que la mort.

Car, de vos lèvres pressées,
Vous êtes toutes douceurs, amour,
Jusqu’à vos lèvres courroucées.

Et n’étes-vous
Pas, aussi, le doux
Mois de Marie, si
Votre regard fait fleurie
Mon âme aux pâles couleurs.




XVI



Tes yeux sereins comme le calme
Sur les flots de la mer,
Me disent : nous serons
La palme
Sur ton sommeil amer ;
Nous verserons
Dans ton cœur en péché
— Me disent —
La paix et l’équité.

Tes yeux me disent :
Pauvre âme aux pieds meurtris
Sur les mauvais chemins,
Tes lendemains

S’ils s’égaraient encore !
De tes couchers honnis
Nous serons l’alme aurore.

En nous c’est la fontaine
Bénigne du pardon,
Nous vous serons l’antienne
Et le bourdon,
Pauvre âme en dure peine, —
Disent tes yeux.




XVII




Les feuilles pourront tomber,
La rivière pourra geler !
Je veux rire, je veux rire.

La danse pourra cesser,
Le violon pourra casser,
Je veux rire, je veux rire.

Que le mal se fasse pire !
Je veux rire, je veux rire.




XVIII




— Je suis las, si las,
Comment danser, hélas !
— Mets des fleurs dans tes cheveux
Et dansons, car je le veux.

— Je suis si triste, triste,
Comment rire hélas !
— Qu’un marmouset pleure.
Rions, car c’est l’heure.


Dormir est si doux
Que ne mourrons-nous !
— Ah, la Mort, ah, n’est-ce
Une menteresse !




XIX



CONTRE JULIETTE




Pour vous garder de mal empire,
Pennon d’Amour et gonfalon,
Je vous donnai ma chevelure
Couleur des flots sous l’aquilon.

Boucliers aux tendres devises,
Écus de pleine loyauté,
Je vous donnai mes fiers yeux contre
Votre propre vulgarité.


Coupe de mélodie et baume,
Afin de vous extasier
Je vous donnai ma bouche vive.
Telles les roses au rosier.

Dames d’atour et chambrières
Attentives à votre arroi,
Je vous donnai mes mains plus nobles
Que la couronne au front d’un roi.

Et je vous donnai — ho ! prodigue —
Et je vous donnai par monceaux,
Tous les trésors de ma pensée
Comme des perles aux pourceaux.




XX


Psyché, mon âme.
Edgar Poe.



C’était comme le champ de Pharsale : des blessés
Hideux
Mouraient sur le bord des fossés ; —
Là, où nous revînmes tous deux,
Avec Psyché, mon âme.

Et je lui dis « N’est-ce pas ? » Et je lui dis
« Ces arcs comme ils s’écroulent, et ces butins quels oripeaux !
Ah, maudites étaient nos armes, et maudits
Nos drapeaux !
 :Psyché, mon âme ! »


C’était comme un Purgatoire, où des ombres aux abois !
Levaient des fronts honteux,
Et se tordaient les doigts ; —
Là, où nous revînmes tous deux,
Avec Psyché, mon âme.

Et je lui dis « N’est-ce pas ? » Et je lui dis
« Ah, ces damnés que chasse le regret,
En fleurs bénignes de Paradis
Qui jamais les mettrait,
 :Psyché, mon âme ! »




XXI



AGNÈS



Il y avait des arcs où passaient des escortes
Avec des bannières de deuil et du fer
Lacé, des potentats de toutes sortes
— Il y avait — dans la cité au bord de la mer.
Les places étaient noires et bien pavées, et les portes,
Du côté de l’est et de l’ouest, hautes ; et comme en hiver
La forêt, dépérissaient les salles de palais, et les porches,
Et les colonnades de belvéder.

C’était (tu dois bien t’en souvenir), c’était aux plus
beaux jours de ton adolescence.

Dans la cité au bord de la mer, la cape et la dague lourdes
De pierres jaunes, et sur ton chapeau des plumes de perroquets.
Tu t’en venais, devisant telles bourdes,
Tu t’en venais entre tes deux laquais
Si bouffis et tant sots — en vérité, des happelourdes ! —
Dans la cité au bord de la mer tu t’en venais et tu vaguais
Parmi de grands vieillards qui travaillaient aux felouques,
Le long des môles et des quais.

C’était (tu dois bien t’en souvenir), c’était aux plus
beaux jours de ton adolescence.

Devant ta tante Madame la Prieure,
Que tu sentisses quelque effroi
Lorsque parlait d’Excommunication Majeure
Le vieux évêque en robe d’orfroi, —
Tu partais, même à l’encontre du temps et de l’heure,
Avec Hans, Gull, Salluste et Godefroy,
Courir la bague, pour amuser la veuve
Aux yeux couleur de roy.

C’était (tu dois bien t’en souvenir), c’était aux plus
beaux jours de ton adolescence.


Bien assise était la demeure, et certe
Il pendait des filigranes du perron ;
Et le verger fut grand où hantait la calandre diserte.
Et quant à la Dame, elle avait ce geste prompt,
Ce « ce me plaît » qui déconcerte ;
Et quant à la Dame, elle avait environ
Septante et sept saphirs avec un cercle
De couronne à son front.
C’était (tu dois bien t’en souvenir), c’était la plus noble Dame de la cité.

Certes les fleurs florirent, et le dictame
Florit au verger qui fut grand, en effet.
Toute fleur florit au verger ; et quant à la Dame,
Son pénal d’arroi fut fait
De ces riches draps que rien n’entame,
Et ses cavales étaient de Frise, et l’on pouvait
En compter cent, et nulle bête qui soit en mer ni en bocage
Qui ne fût à fin or portraite sur son chevet.
C’était (tu dois bien t’en souvenir), c’était la plus noble Dame de la cité.


Claire était la face de la Dame, telle la fine pointe
Du jour, et ses yeux étaient cieux marins ;
Claire était la face de la Dame et de parfums ointe.
Claire était la face de la Dame, et plus que purpurins
Fruits, fraîche était la bouche jointe
De la Dame. Et pour ses crins
Recercelés, ne fussent les entraves d’ivoire,
Eussent encourtiné ses reins.

C’était (tu dois bien t’en souvenir), c’était la plus bel-
le Dame de la cité.

Cieux marins étaient les yeux de la Dame et lacs que rehausse
La sertissure des neiges, et calice cependant.
Qu’il éclôt, était sa bouche ; et ni la blonde Isex, ni la fausse
Cressida, ni Hélène pour qui tant
De barons descendirent dans la fosse ;
Ni Florimel la fée, et ni l’ondine armée de son trident
Ni aucune mortelle ou déesse, telle beauté en sa force
Ne montrèrent, de l’aurore à l’occident,

C’était (tu dois bien t’en souvenir), c’était la plus bel-
le Dame de la cité.


« Sœur douce amie, » lui disais-tu, « douce amie,
Les étoiles peuvent s’obscurcir et les amarantes avoir été
Que ma raison ne cessera mie
De radoter de votre beauté ;
Car Cupidon ravive sa torche endormie
À vos yeux, à leur clarté,
Et votre regarder, » lui disais-tu, « est seul Mire
De mon cœur atramenté, »

C’était (tu dois bien t’en souvenir) c’était par un
soir de la mi-automne.

« Vos cheveux traînent jusqu’en bas et nimbent votre face.
Et vos sourires sont les duègnes de votre vertu ;
Ah, prenons garde que notre âme ne se fasse
Putain, Madame, » lui disais-tu.
« Vos cheveux traînent, et vos yeux portent d’azur à la fasce
D’or, et votre corps est de lys vêtu ;
Ah, prenons garde que notre désir ne se farde
Pareil à quelque gnome tortu. »

C’était (tu dois bien t’en souvenir), c’était par un
soir de la mi-automne.


« Sœur douce amie, » lui disais-tu, « mon cœur est moire
D’eaux claires sous les midis.
Madame, » lui disais-tu, « mon cœur est grimoire
Tout couvert de signes maudits ;
Et je vous eusse cédée pour mille besants et voire
Pour quelques maravédis.
Sœur douce amie, » lui disais-tu, « pieux cloître
Est mon cœur, et sainte fleur en paradis. »

C’était (tu dois bien t’en souvenir), c’était par un
soir de la mi-automne.


Librairie LÉON VANIER. 19. quai Saint-Michel, Paris

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