Au clair de la dune/Mer tueuse

Théo Hannon ()
Dorbon aîné (p. 83-np).

XXXVII

MER TUEUSE



La mer ne s’abandonne, en ses jeux redoutables,
Qu’à ses fils de la côte, aux marins véritables,
Le visage et le cœur également bronzés ;
Ces amants aux bras forts, à la rude tendresse,
Et pour qui, cependant, elle n’a ni caresses,
Ni sourires, ni doux baisers.

Ce sont eux qu’elle prend, avide d’hécatombes,
Pour servir de pâture à ses béantes tombes.
La marâtre en son sein berce bien plus de morts
Que n’en couve la terre en ses sombres entrailles.
Ô pauvres mariniers dormant sans funérailles
Au cœur des flots veufs de remords !


Qu’ils aillent arborant, les cieux, l’azur ou l’encre,
Le pêcheur, chaque jour en chantant, lève l’ancre.
Stoïque, il va livrer sa vie à l’océan :
Gage d’un peu de pain pour les siens, ô misère !
Il va, brave, et se sent sur l’onde qui l’enserre
Guetté par l’horrible néant.

Au sommet de la dune, ayant vu passer l’heure,
La femme — ses enfants à genoux — prie et pleure
L’homme fatalement marqué pour le trépas.
Elle réclame au moins son cadavre… Et, macabre,
La vague semble rire à sa plainte, et se cabre
Féroce, — et ne le lui rend pas.

CHARLES MICHEL
Grand vent.