Au Roi, sur son départ pour l’armée, en 1676

Au Roi, sur son départ pour l’armée, en 1676
Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 299-303).

LXXXIV

Au Roi,
sur son départ pour l’armée, en 1676[1].

L’édition originale de cette pièce n’est point signée. Elle forme quatre pages in-4o, imprimées en italique avec fleurons et lettres ornées ; à la suite vient la pièce latinesignée : Johannes Lucas, Societatis Jesu[2], dont celle-ci est imitée et que nous reproduisons au bas des pages[trad 1] ; elle est aussi de quatre pages et est imprimée en caractères romains ; elle porte à la fin l’adresse suivante : Ex officina Simonis Benard, via jacobæa. On trouve un exemplaire de cette édition à la Bibliothèque impériale, département des imprimés, Recueil Thoisy, matières historiques, in-folio, tome X. Granet a publié ces deux pièces dans les Œuvres diverses, p. 92-96.


Le printemps a changé la face de la terre ;
Il ramène avec lui la saison de la guerre,
Et nos champs reverdis font renaître, grand Roi,

En ton cœur martial des soins dignes de toi.
La trompette a sonné : ton armée intrépide, 5
Prête à marcher, te demande pour guide,
Et tous ses escadrons, sur ta frontière épars,
Ambitionnent tes regards.
Joins ta présence et tes destins propices
Au zèle impatient qui presse leurs efforts ; 10
Daigne servir de tête et d’âme à ce grand corps,
Et sous tes illustres auspices
Ses bras feront pleuvoir d’inévitables morts.
Que je plains votre aveugle et folle confiance,
Obstinés ennemis de nos plus doux souhaits, 15
Qu’enorgueillit une triple alliance[3]
Jusques à dédaigner les bontés de la France !
Que de pleurs, que de sang, que de cuisants regrets
Vous va coûter ce refus de la paix !

Son vengeur à partir s’apprête, 20
Cent lauriers lui ceignent la tête,
Cent lauriers que sa main elle-même a cueillis
Sur autant de vos murs foudroyés par ses lis.
Bellone, qui l’attend au sortir de son Louvre,
Veut tracer à ses pas la carrière qu’elle ouvre : 25
Son zèle, impatient d’arborer ce grand nom,
Pour conduire son char s’empare du timon.
D’un prompt et sûr triomphe écoutez le prélude,
Et par quels vœux poussés tous à la fois
De ses heureux sujets la noble inquiétude 30
Hâte ses glorieux exploits.
« Pars, grand Monarque, et vole aux justes avantages
Que te promet l’ardeur de tant de grands courages : »
C’est ce que dit toute sa cour.
« Pars, grand Monarque, et vole aux conquêtes nouvelles 35
Dont te répond l’amour de tant de cœurs fidèles : »

C’est ce que dit tout Paris à son tour.
Il part, et la Frayeur, chez les siens inconnue,
Annonce en même temps parmi vous sa venue.
La Victoire le suit dans une majesté 40
Dont l’inexorable fierté
Semble du ciel autorisée
À venger le mépris d’une paix refusée
Avec tant de témérité ;
Et commençant par un miracle, 45
Bellone fait partout retentir cet oracle :
« Ennemis de la paix, vous la voudrez trop tard :
Le ciel ne peut aimer ceux qui troublent la terre ;
Et je vous le dis de sa part,
La guerre punira ceux qui veulent la guerre. » 50
L’Anglois avec chaleur souscrit à cet arrêt ;
Au belliqueux Suédois également il plaît ;
Le Danois en frémit, Brandebourg s’en alarme[4] ;

Et pour nos François c’est un charme
Qui laisse leur esprit d’autant plus satisfait 55
Que c’est à leur valeur d’en faire voir l’effet.
Déjà le Rhin pâlit, la Meuse s’épouvante ;
Et l’Escaut, dont le front jaune et cicatrisé
Porte empreints les grands coups dont il s’est vu brisé,
Craint une plaie encor plus étonnante, 60
Et cache au plus creux de ses eaux
Sa tête de nouveau tremblante
Pour le reste de ses roseaux.



  1. Regi,
    ad exercitum ineunte vere proficiscenti, ode.

    Frugiferis rediere sua vice gramina campis,
    Dudumque fixa postibus
    Deripere arma jubet

    Ver, bona tempestas bello. Nunc, maxime regum,
    Permitte dignis pectora
    Sollicitudinibus.
    Ut litui strepuere, coït procul excita pubes,
    Audere quidlibet ferox,
    Auspice te, duce te.
    Posceris : en pendent centum tibi mille tuorum
    Exsertæ in ictus dexteræ.
    His caput, his animam,
    Fortunamque tuam, et præsentes adjice divos.
    Ades, volabunt ilicet
    Tela ministra necis,
    Grandinis in morem ; et nutus haud tarda regentis
    Audire, quod minaberis
    Cumque, simul ferient.
    O multum nobis dolituri pace negata,
    Nunc insolentes Austrii

    Fœdere tergemino,
    Mox aderit vindex. Olli pro casside laurus,
    Centena quam nuper dabant
    Oppida capta manu.
    Non ut Threïcio tunica est adamantina Marti :
    Hunc una magnæ protegit
    Martia vis animæ.
    Nulla mora est : addicta tibi, Lodoice, jugales
    Bellona jungit igneos
    Ante fores Luparæ ;
    Teque jubet medio sublimem insistere curru ;
    Et ambit aurigæ locum,
    Cedere læta suo.
    Jam tenso temone rotæ crepat orbita primæ :
    « I, perge, terror Austriæ,
    Præsidiumque tuis : »
    Clamat venturis præludens aula triumphis.
    « I, perge, sed nostri memor,
    Ut citius redeas : »

    Aulæ non unquam discors Lutetia clamat.
    Hæc inter, Euris ocior
    Per tremefacta sola
    It currus ; Pavor antevolat ; Victoria, pacis
    Ultura contemptum decus,
    Pone fremens sequitur.
    Quaque via est, Bellona truci sic intonat ore :
    « Belli ferent dispendia
    Quos fera bella juvant ;
    Et fœdus sanxisse volent. » Lætum accipit omen
    Sequester Anglus fœderis ;
    Accipit Hermioni
    Et levibus Danis infensa Suecia ; miles

    Hoc noster omen accipit,
    Quod dabit ipse ratum.
    Et jam Mosa tremit, jain pallet Rhenus, et alto,
    Qua parte nec noster fluit,
    Gurgite Scaldis amat
    Occuluisse caput, non uno vulnere quassum,
    Et ante vulsis haud semel
    Depile arundinibus.


  1. Le Roi partit de Saint-Germain, pour aller commander l’armée de Flandre, le 16 avril 1676.
  2. Le P. Lucas était né en 1650, dans la province de Normandie. Il professa la rhétorique, puis la théologie au collège Louis-le-Grand. On a imprimé de lui, outre cette ode imitée par Corneille et des discours latins, un poëme en deux livres, intitulé : Actio oratoria seu de gestu et voce (1675), qui fait partie des Poemata didascalica publiés par le P. Oudin.
  3. Celle de l’Empire, de l’Espagne et de la Hollande : voyez ci-dessus, p. 294, note 1.
  4. C’était par la médiation de Charles II, roi d’Angleterre, que les lentes négociations de Nimègue s’étaient ouvertes en 1675. Charles XI, roi de Suède, allié de Louis XIV, combattait contre les Danois, unis aux Hollandais, et avait envoyé l’année précédente (1675) une armée dans le Brandebourg, dont l’Électeur, rompant le traité qu’il avait conclu avec Turenne en 1673, s’était de nouveau, dès 1674, déclaré contre la France.