Association du capital et du travail/Section I

ASSOCIATION DU CAPITAL ET DU TRAVAIL.

« Nous espérons, dit M. Greeley dans la Tribune de New York, du 22 janvier ; nous espérons que le jour n’est pas éloigné où les questions sociales prendront la préséance sur les questions politiques. La politique vient bien à son heure, et il y a des temps où elle est aussi importante que la question sociale ; mais, d’habitude, et pour la grande majorité de l’humanité, « que mangerons-nous ? que boirons-nous ? comment serons-nous vêtus ? » sont des questions qui doivent primer celle de savoir « comment et par qui serons-nous gouvernés ? »

I.


À mon sens, la cause ouvrière prime toutes les autres. Il n’en est pas de plus actuelle, puisque la misère du peuple et le désordre social en imposent la prompte solution. Il n’en est pas de plus belle, puisqu’elle est la plus juste. Il n’en est pas de plus grande, puisqu’elle embrasse l’avenir de la société tout entière. Par conséquent, il n’en est point de plus digne du dévouement du patriote sincère et du philantrophe chrétien.

L’acte le plus noble et le plus méritoire de la vie privée est, sans contredit, de tendre la main au malheur et à la misère ; et quoi de plus méritoire dans la vie publique, que l’amélioration du sort des classes chargées d’un dur labeur, mal rétribuées et toujours à deux doigts de l’indigence ?

Suppression de l’injustice et de l’inégalité sociales, causes de la pauvreté, de l’ignorance et des convulsions révolutionnaires, ces trois grandes plaies de notre civilisation incomplète et bâtarde ; et substitution à cet état de choses, de l’aisance, de l’éducation et de la paix sociale : telle est la cause ouvrière : dois-je regretter de l’avoir adoptée et d’en faire le ministère de ma vie publique ?

Je m’orgeuillis de ce rôle ou de cette mission : ingrate et semée d’avanies aux yeux de mes amis personnels, elle est cependant pour moi une source de satisfactions et de jouissances qui ne peuvent provenir que de la conscience de faire le bien : un bien nécessaire, indispensable, immense, ordonné du maître divin !

En ce moment plus que jamais jusqu’à présent, la grande question de l’émancipation sociale des classes ouvrières occupe le monde civilisé et l’émeut même profondément. Ma sincérité et mon expérience m’éclairent sur la position que les ouvriers du Canada doivent prendre dans ce grand mouvement social. J’ose me faire fort de représenter leurs intérêts, et même leurs sentiments, d’une manière exacte ; je plaide pour le peuple ouvrier et j’ai la justice de mon côté : je me console donc d’avance des avanies et des injures de la cohue égoïste et méchante, en pensant au glorieux triomphe qui couronne toujours l’action opportune de ces deux forces : la force populaire et la force morale.

À cette double puissance, et non pas à ma trop faible personnalité, appartiennent les succès passés ; à cette double puissance et à elle seule se rapporteront de droit les succès à venir.

Il n’y a pas longtemps encore, nous réussissions au moyen de ces deux forces, à triompher, en quelques semaines, de l’injustice d’un salaire parcimonieux et misérable ; pourquoi le même succès ne couronnerait-il pas cette autre réforme ouvrière, encore plus juste et plus importante : —

L’Association des capitalistes et des travailleurs, ou la combinaison, pour l’objet commun du bien-être et du progrès, du capital et du travail ?

Exposons donc notre sujet avec courage et, aussi, avec logique, pour le discuter ensuite avec clarté et chance de succès.