Architecture rurale, second cahier, 1791/Des Mortiers comprimés ou de la Massivation

Des Mortiers comprimés ou de la Massivation.

La maſſivation s’emploie à différens ouvrages : les anciens s’en ſervoient dans la maçonnerie des blocages ; les Italiens l’emploient pour les terraſſes qui couvrent leurs maiſons, les Maures en font uſage pour conſtruire leurs murailles, les Eſpagnols, les François & autres peuples maſſivent quelques pavés d’appartemens.

L’art de la maſſivation n’eſt point aſſez approfondi ; il convient de l’étudier pour pouvoir l’appliquer dans tant d’occaſions qui exigent la promptitude du travail, l’économie avec la ſolidité, ſur-tout lorſqu’il s’agit d’y joindre la ſalubrité ou la garde des proviſions.

Le but des vieux auteurs architectes, lorſqu’ils ont conſeillé la compreſſion ou maſſivation des mortiers, étoit de leur empêcher de faire retraite & de produire une infinité de fentes & crevaſſes qui arriveroient immanquablement ſi on ne les maſſivoit pas. En effet, le piſoir ou battoir prévient tous ces défauts, en forçant par des coups redoublés la ſurabondance de l’eau de s’échapper & à-la-fois, en reſſerrant intimement toutes les particules du mortier par l’effort continuel de la main de l’ouvrier, juſqu’à ce que l’ouvrage ait pris une bonne conſiſtance.

La maſſivation à l’égard des mortiers eſt une opération qui imite celle de la nature ; car ſi l’on trouve dans les carrières de pierre des bancs placés les uns ſur les autres, il faut l’attribuer à la filtration des eaux & au poids énorme de leur volume qui les maſſivoit ou comprimoit : c’eſt donc ce ſuperflu des eaux échappé par des filières qui a produit tous les lits ou couches de pierres, & toutes leurs fentes ou délits, & qui nous a donné autant de joints que de bancs dans les carrières.

La filtration, la décoction, la compreſſion, la coagulation & la pétrification ſont les cauſes réunies & naturelles de la formation des pierres & d’autres minéraux & métaux. L’art de la maſſivation ſur des matériaux amalgamés & corroyés, comme ſur le ſable, les graviers, cimens & la chaux, eſt auſſi le moyen que l’homme peut employer pour procurer aux ouvrages une denſité grande & durable. C’eſt ainſi qu’en ont uſé les Romains dont le prétendu ſecret pour faire des mortiers ou cimens infiniment ſolides, même plus durs que la pierre, ne conſiſtoit que dans la qualité des matériaux dont ils ſe ſervoient, ſur-tout de la chaux, & dans le bon emploi qu’ils en ſavoient faire.

Si la denſité de leurs mortiers ou cimens augmentoit, ce n’eſt qu’à raiſon des grandes épaiſſeurs qu’ils donnoient à leurs murs où la deſſication ne pouvoit ſe faire ſubitement ; & ce n’eſt qu’autant qu’ils employoient la maçonnerie de blocage faite par encaiſſement ; méthode excellente dont les Romains faiſoient plus d’uſage que nous.

« J’ai percé, dans la ville de Lyon, à la maiſon de M. Lacroix, ſur la place des Terreaux, un mur de cave pour y faire une porte de communication ; mes ouvriers eurent la plus grande peine pour parvenir à rompre la maçonnerie : il nous fallut employer pluſieurs jours, avec des coins & maſſes de fer, outre les outils que nous faiſions ſans ceſſe reforger ; nous caſſions plutôt la pierre que le mortier. Cependant cette maiſon n’avoit été bâtie à neuf qu’en 1740, & nous fîmes cette ouverture en 1760. »

D’où venoit donc l’extrême dureté de ce mortier dans le court eſpace de vingt années ? C’eſt certainement parce que l’air n’avoit pu ſurprendre la maçonnerie dans cette cave ; ſa lente deſſication & la preſſion de ce mur qui montoit cinq étages, avoient rendu ſon mortier très-dur & plus dur que les pierres.

Ainſi la nature met une infinité de ſiècles à former des corps durs, & l’art peut nous les fournir dans quelques années.

Je diſtinguerai deux eſpèces de maçonnerie : l’une faite avec les pierres plates que l’on tire des carrières & où l’on ajoute pour les lier, un mordant fait avec la chaux & le ſable qu’on nomme mortier ; l’autre s’exécute avec toute eſpèce de pierres brutes que l’on jette ſans beaucoup de précaution dans le mortier : c’eſt ce qu’on appelle blocage.

La première ſe fait avec ordre, en taillant les pierres groſſièrement, en les arrangeant au long d’un cordeau, & en y étendant des couches de mortier fort minces ; mais le blocage embarraſſe moins. S’il coûte beaucoup de mortier, il épargne auſſi les pierres plates & le taillage des brutes, car toutes lui ſont bonnes ; on peut même y employer leurs débris & les cailloux : cet ouvrage exige néceſſairement un moule ou encaiſſement dans lequel on forme le mur, paries formaceus, muraille de forme.

Ces deux manières de bâtir ſont également intéreſſantes ; l’économie en doit faire faire le choix. Je l’indiquerai par les prix de chaque toiſe comparée l’une à l’autre ; j’indiquerai les cauſes & les cas qui doivent faire donner la préférence à l’une de ces deux méthodes pour tout ce qui concerne les granges, celliers, caves, cuves, foudres & tous bâtimens quelconques, ainſi que pour tout ce qui regarde les clôtures, travaux & outils de la campagne. Paſſons maintenant au troiſième procédé.