Apollonius de Tyane, sa vie, ses voyages, ses prodiges/1

APOLLONIUS


DE TYANE


SA VIE, SES VOYAGES, SES PRODIGES




LIVRE I

JEUNESSE D’APOLLONIUS. — SÉJOUR À BABYLONE CHEZ LE ROI VARDANE


I. Apollonius pythagoricien. — II. Apollonius considéré à tort comme magicien. — III. Sources auxquelles a puisé Philostrate pour sa Vie d’Apollonius. — IV, V. Naissance merveilleuse d’Apollonius. — VI. De Tyane, sa patrie, et de la fontaine Asbamée. — VII, VIII. Ses études et ses maîtres. — IX-XI. Sa jeunesse passée dans le temple d’Esculape à Égées. Il guérit un hydropique et chasse un homme fort riche qui s’était présenté au temple, et dont Apollonius devine la vie criminelle. — XII. Tentative infâme d’un riche Cilicien. Prédiction d’Apollonius à son sujet. — XIII. Conduite d’Apollonius à la mort de son père. — XIV, XV. Voyage en Pamphylie et en Cilicie. Cinq ans de silence. — XVI. Apollonius à Antioche. — XVII. Son genre d’éloquence. — XVIII. Il part pour l’Inde avec deux serviteurs. — XIX. Il visite d’abord Ninive. Là il rencontre Damis, qui s’attache à lui. — XX. Apollonius eu Mésopotamie. Il s’avance avec intrépidité à travers des nations barbares. — XXI. Son entrevue avec le satrape préposé aux frontières du territoire de Babylone. — XXII. Présage qui lui annonce la durée de son voyage dans l’Inde. — XXIII. Songe d’Apollonius sur la terre de Cissie. — XXIV. Il visite la colonie érétrienne. — XXV. Entrée à Babylone. — XXVI. Conversations avec les mages. — XXVII. Apollonius refuse de se prosterner devant l’image du roi. Son interrogatoire devant les satrapes. — XXVIII-XLI. Séjour de vingt mois à Babylone. Les mages, le roi Vardane, dix grâces offertes à Apollonius ; les eunuques, prédiction d’Apollonius à leur sujet ; divers entretiens d’Apollonius avec le roi de Babylone. Il prend congé du roi.

I. On lit dans les ouvrages consacrés à l’éloge de Pythagore[1], qu’avant d’être le sage de Samos, il avait été le Troyen Euphorbe : il était mort, comme le rapporte Homère[2] ; puis, étant revenu à la vie, il n’avait jamais voulu se vêtir d’étoffes fournies par la dépouille des animaux, il s’était abstenu de viandes et de tout sacrifice qui dût coûter la vie à un être animé : au lieu d’ensanglanter les autels, c’était avec des gâteaux de miel, avec de l’encens, avec des chants, que ce sage avait coutume d’honorer les dieux ; « de telles offrandes, disait-il, leur sont bien plus agréables que des hécatombes, avec le couteau dans la corbeille. » Pythagore le savait : car il était visité par les dieux, et ils lui avaient appris ce qui, chez les hommes, leur est agréable ou odieux ; c’est d’eux qu’il tenait tout ce qu’il disait sur la nature. Pour ce qui concerne les dieux, les autres n’avaient que des conjectures, que des opinions contradictoires ; Pythagore avait vu lui apparaître et Apollon, qui s’était déclaré à lui, et d’autres dieux, qui s’étaient révélés moins complètement, par exemple, Minerve et les Muses, et même des divinités dont les hommes ne connaissent ni la forme ni le nom. Tous les enseignements de Pythagore étaient des lois pour ses disciples qui l’honoraient comme un envoyé de Jupiter. Ils gardaient le silence sur les manifestations de la divinité : souvent, en effet, ils entendaient en secret des voix divines, sur lesquelles il leur eût été difficile de se taire, s’ils n’avaient appris auparavant que le silence aussi est un langage. Empédocle d’Agrigente[3] suivit, dit-on, cette doctrine. On le voit par ces vers :

« Adieu ! je ne suis plus pour vous un homme, mais un dieu
     habitant de l’Olympe ».


Et ailleurs,

« Je fus autrefois une jeune fille, un jeune homme ».


Et l’offrande que, suivant la tradition, il fit à Jupiter Olympien d’un gâteau représentant un bœuf, n’indique-t-elle pas encore un disciple de Pythagore ? Il y aurait encore bien d’autres détails à rapporter de l’école de Pythagore, mais il est temps d’en venir à mon sujet.

II. Apollonius est entré dans la voie frayée par Pythagore ; mais il y a encore un caractère plus divin dans sa recherche de la sagesse, et il s’est élevé bien au-dessus des rois de son temps. Bien qu’il ne soit, par son époque, ni trop éloigné ni trop rapproché de nous, on ne connaît pas encore au vrai quelle fut sa philosophie, si digne d’un esprit sage et d’une âme saine ; les uns le louent d’une façon, les autres d’une autre. Quelques-uns, parce qu’il s’est trouvé en rapport avec les mages de Babylone[4], les Brachmanes de l’Inde et les Gymnosophistes de l’Égypte, pensent qu’il était magicien, et que sa sagesse n’était que violence : c’est une calomnie qui vient de ce qu’il est mal connu. Empédocle, Pythagore lui-même et Démocrite[5]ont fréquenté des mages, ils ont dit beaucoup de choses divines ; et cependant on n’en a pas encore fait des adeptes de ce genre de science. Platon a fait un voyage en Égypte, il a beaucoup emprunté aux prêtres et aux devins de ce pays, il s’en est servi comme un peintre qui prendrait une esquisse et y mettrait de riches couleurs ; et cependant on n’en a pas fait encore un magicien, bien que nul homme n’ait été, à cause de sa sagesse, plus en butte à l’envie. Parce qu’Apollonius a pressenti et prévu plusieurs événements, on ne saurait l’accuser de s’être adonné à la magie ; ou bien il faut tourner la même accusation contre Socrate, à qui son démon a fait souvent prévoir l’avenir, et contre Anaxagore[6] dont on rapporte plusieurs prédictions. Qui ne connaît ces faits de la vie d’Anaxagore ? Un jour, à Olympie, par un temps fort beau en apparence, il se présente dans le stade, enveloppé dans son manteau : la pluie, en effet, ne tarda pas à tomber. Une autre fois il prédit la chute d’une maison, ce qui ne manqua pas d’arriver. Il annonça encore à l’avance qu’il y aurait une éclipse, que des pierres tomberaient du ciel près d’Ægos-Potamos ; et ce qu’il avait dit se trouva vrai. Tout cela, on ne fait pas difficulté de l’attribuer à la haute sagesse d’Anaxagore ; pour Apollonios, on ne veut pas que ses prédictions soient l’effet de sa sagesse, et l’on prétend qu’il ne fit rien que par la magie. Je ne puis supporter cette erreur, devenue vulgaire. C’est pourquoi je me suis proposé de donner ici des détails exacts sur l’homme, sur les moments où se sont produites telles de ses paroles ou de ses actions, enfin sur le genre de vie qui a valu à ce sage la réputation d’un être au-dessus de l’humanité, d’un être divin. Ces détails, je les ai recueillis, soit dans les villes qui l’ont aimé, soit dans les temples dont il a restauré les rites tombés en désuétude, soit dans les Lettres qui nous sont restées de lui : ces lettres sont adressées à des princes, à des sophistes, à des philosophes, aux Éléens, aux Delphiens, aux Indiens, aux Égyptiens, et traitent de la religion, des coutumes, des institutions, enfin des lois qu’il ne pouvait voir violer sans se plaindre. Mais j’ai trouvé des renseignements encore plus précis dans l’ouvrage d’un certain Damis.

III. Damis était un des hommes les plus savants de l’ancienne Ninive : il fut disciple d’Apollonius, et nous apprend qu’il l’accompagna dans ses voyages. Il a écrit une relation de ces voyages, où sont rapportés les pensées, les discours et les prédictions d’Apollonius. Ces mémoires, qui étaient restés inédits, furent portés par un ami de Damis à la connaissance de l’impératrice Julie[7]. Comme je faisais partie du cercle de cette princesse, qui aimait et protégeait tout ce qui tenait aux Lettres, elle m’ordonna de refaire l’ouvrage de Damis, en donnant plus de soin au style : en effet, la relation du Ninivite était intelligible, mais peu élégamment présentée. J’ai eu encore sous les yeux le livre de Maxime d’Égées, qui rapporte tout ce qui a été fait dans sa ville natale par Apollonius, et le Testament d’Apollonius, écrit par lui-même, et qui est un témoignage de l’esprit divin dont était animée toute sa philosophie. Quant aux quatre livres de Moeragène sur Apollonius, il n’y a pas à s’y arrêter : un grand nombre des actes de ce sage lui ont été inconnus. J’ai dit où j’ai puisé mes renseignements, et comment j’ai réuni ce qui était épars : puisse maintenant cet ouvrage apporter quelque honneur à l’homme dont il consacre la mémoire, et quelque utilité aux personnes qui aiment à s’instruire ! On y trouvera, j’ose le dire, des choses toutes nouvelles.

IV. Apollonius naquit[8] à Tyane, ville grecque de Cappadoce ; son père se nommait, comme lui, Apollonius ; il descendait d’une famille ancienne, qui avait fourni à la ville quelques-uns de ses fondateurs. Il était de beaucoup le plus riche citoyen d’une ville opulente. Comme il était encore dans le ventre de sa mère, elle eut une vision : c’était le dieu égyptien Protée, le même qui, chez Homère, prend tant de formes diverses. Sans se déconcerter, elle lui demanda qui elle devait enfanter. « Moi, répondit le dieu. — Qui, toi ? — Protée, dieu égyptien[9]. » Quelle était la sagesse de Protée, il est inutile de le rappeler. Il suffit d’avoir lu les poëtes pour savoir combien il était habile à se changer, à se transformer, à échapper à qui voulait le prendre ; il semblait qu’il n’ignorât, rien, même l’avenir. Mais il est impossible, au sujet d’Apollonius, de ne pas se souvenir de Protée : même la suite de ce récit montrera que l’homme alla plus loin que le dieu dans la science de l’avenir, et qu’il sut, jusque entre les mains de ses ennemis, se soustraire souvent à des périls qui semblaient inévitables.

V. On rapporte qu’il vint au monde dans une prairie, non loin de laquelle s’élève le temple qui lui est consacré. La manière même dont il a été engendré mérite d’être dite. Comme le moment de la délivrance approchait pour sa mère, elle eut un songe. Elle crut qu’elle se dirigeait vers la prairie, en cueillant des fleurs sur la route ; quand elle fut arrivée, elle laissa ses suivantes se répandre de tous côtés pour continuer à cueillir des fleurs, se coucha sur le gazon, et s’endormit. Pendant son sommeil, des cygnes, que nourrissait cette prairie, formèrent un chœur autour d’elle : battant des ailes, comme c’est leur coutume, ils faisaient entendre un chant mélodieux, qu’accompagnait un doux souffle de zéphyr. Réveillée par ce chant, elle se leva précipitamment et elle fut délivrée : on sait, en effet, que toute émotion peut provoquer l’enfantement, même avant le terme. C’est une tradition du pays, qu’au moment où Apollonius vint au monde, la foudre tomba sur la terre, puis, remontant aussitôt, s’évanouit dans les airs ; sans doute les dieux voulurent ainsi annoncer la gloire de cet homme, sa nature supérieure et presque divine, enfin tout ce qu’il devait être.

VI. Il y a près de Tyane une source consacrée à Jupiter témoin des serments, et nommée Asbamée : à l’endroit où elle jaillit, elle est glacée, mais fait entendre le bruit de l’eau bouillant dans une chaudière. L’eau de cette source est bonne et salutaire à ceux dont les serments sont sincères ; quant aux parjures, le châtiment les atteint aussitôt : ils sont frappés à la fois aux yeux, aux mains et aux pieds ; ils sont pris d’hydropisie et de consomption ; ils ne peuvent même pas s’enfuir, une force invincible les enchaîne près de cette source, et là ils confessent en pleurant leur fourberie[10]. Les habitants de ce pays disent qu’Apollonius est fils de Jupiter, mais Apollonius se déclare fils d’Apollonius.

VII. Parvenu à l’âge où l’on commence à instruire les enfants, Apollonius donna des marques d’une grande mémoire et d’une grande ardeur pour l’étude. Il se servait en parlant du dialecte attique, et jamais le contact de l’idiome de son pays n’altéra la pureté de son langage. Il attirait tous les regards par sa beauté. Quand il eut atteint sa quatorzième année, son père le conduisit à Tarse, chez Euthydème le Phénicien, rhéteur célèbre alors, qui se chargea de son instruction. Apollonius s’attacha à son maître, mais les mœurs de la ville lui parurent déraisonnables et peu propres à l’étude de la philosophie. Nulle part, en effet, le goût de la volupté n’est plus général. Les habitants de Tarse sont railleurs et insolents ; ils tiennent plus à la parure que les Athéniens à la sagesse. Leur ville est traversée par le Cydnus, et ils se tiennent sans cesse sur les bords de ce fleuve, comme des oiseaux aquatiques. Aussi, Apollonius, dans une lettre qu’il leur adressa, leur dit-il : « N’aurez-vous jamais fini de vous enivrer de votre eau. » Sur la demande qu’il en fit à son père, il se transporta avec son maître dans une ville voisine, à gées, où il devait trouver une tranquillité plus favorable aux études philosophiques, et des exemples meilleurs pour la jeunesse : de plus, il y avait là un temple d’Esculape, et Esculape lui-même s’y montrait aux hommes. Apollonius se trouva dans cette ville avec des platoniciens, des élèves de Chrysippe et des disciples du Portique ; il ne négligea même pas d’écouter les leçons des épicuriens ; mais il se sentit une préférence secrète pour les doctrines de Pythagore. Il n’eut, pour les lui enseigner, qu’un maître peu recommandable, et qui ne mettait guère en pratique sa philosophie : il s’était laissé vaincre par la gourmandise et par les plaisirs de l’amour, et il vivait à la mode d’Épicure. Il se nommait Euxène, et il était né à Héraclée, sur le Pont. Il savait les doctrines d’Épicure, comme les oiseaux ce qu’on leur apprend en effet, quand des oiseaux nous disent : « Bonjour. — Soyez heureux. — Que Jupiter vous soit propice ! etc., » ils ne savent nullement ce qu’ils disent, et ils ne forment pas les moindres souhaits pour nous ; ils ne font que remuer la langue d’une certaine manière. Mais, comme les aiglons, tant que leurs ailes ne sont encore couvertes que d’un tendre duvet, voltigent autour de leurs parents, qui leur apprennent à voler ; puis, dès qu’ils peuvent s’élever dans les airs, volent plus haut que leurs parents, surtout quand ils les voient raser la terre pour chercher de la pâture et rassasier leur voracité ; de même Apollonius, dans son enfance, suivit les leçons d’Euxène, et se laissa conduire par sa parole ; puis, arrivé à sa seizième année, il prit son essor vers la vie pythagoricienne : quelque divinité sans doute lui avait donné des ailes. Il n’en continua pas moins d’aimer Euxène, et ayant obtenu pour lui de son père, à l’entrée de la ville, une propriété qui renfermait des jardins délicieux et de frais ruisseaux, il lui dit : « Vivez à votre guise ; moi, je vivrai en pythagoricien. »

VIII. « C’est une grande entreprise, lui fit observer Euxène, mais par où commencez-vous ? — Je ferai comme les médecins, répondit Apollonius. Leur premier soin est de purger ; et ainsi ils préviennent les maladies, ou les guérissent. » À partir de ce moment il ne mangea d’aucun animal (c’était, selon lui, une nourriture impure et propre à alourdir l’esprit) il se nourrit de légumes et de fruits, disant que tout ce que donne la terre est pur. Quant au vin ; il considérait comme pure la boisson que fournit un arbuste si précieux à l’homme ; mais il jugeait cette boisson contraire à l’équilibre de l’esprit, comme troublant la partie supérieure de l’âme. Après avoir ainsi purifié son estomac, il s’honora de marcher nu-pieds, ne porta que des étoffes de lin, renonçant à toutes celles qui sont faites de poils d’animaux, laissa croître sa chevelure, et vécut dans le temple. Il fit l’admiration de tous ceux qui étaient attachés à ce temple, et Esculape ayant dit un jour au prêtre qu’il était heureux d’avoir Apollonius pour témoin des guérisons qu’il opérait, on vint de tous côtés à Egées pour le voir, non seulement des villes de Cilicie, mais des provinces voisines ; et cela donna cours en Cilicie à un mot, qui passa en proverbe : « Où courez-vous si vite ? Allez-vous voir le jeune homme ? »

IX. Je n’aurais garde d’omettre ce qui se fit dans le temple d’Esculape, ayant à écrire l’histoire d’un homme qui fut honoré même des dieux. Un jeune Assyrien était venu consulter Esculape : il ne s’en livrait pas moins à la bonne chère et à son goût pour le vin et dépérissait de plus en plus. Atteint d’hydropisie, il ne se plaisait qu’à boire, sans se soucier de combattre l’humidité de son corps. Aussi était-il négligé par Esculape, qui refusait de lui apparaître même en songe. Cependant, comme il se plaignait de l’oubli dans lequel il était laissé, Esculape vint à lui, et lui dit : « Cause avec Apollonius, tu t’en trouveras bien. » Le jeune homme alla trouver Apollonius : « Quel avantage, lui dit-il, puis-je retirer de votre sagesse » ? Esculape m’ordonne d’avoir un entretien avec vous. — Vous retirerez de cet entretien, répondit Apollonius, un avantage que vous apprécierez dans l’état où vous êtes. Car vous demandez, je crois, la santé. — Oui, la santé que promet Esculape, et qu’il ne donne pas. — Voyons, pas de mauvaises paroles ! Esculape donne la santé à ceux qui la veulent réellement ; mais vous, vous faites tout ce qu’il faut pour aggraver votre état. Vous vous livrez à la bonne chère, vous chargez de mets succulents vos entrailles humides et malades : c’est de la boue que vous mêlez à l’eau. » Une telle réponse était, si je ne me trompe, bien autrement claire que celle d’Héraclite : ce philosophe[11], ayant été attaqué de la même maladie, disait « qu’il lui fallait quelque chose qui pût changer l’humide en sec » ; ce qu’il était difficile d’entendre. Apollonius rendit la santé au jeune Assyrien, en lui parlant avec autant de clarté que de sagesse.

X. Un jour, Apollonius vit l’autel inondé de sang et tout couvert d’offrandes sacrées ; des bœufs égyptiens et des porcs d’une grosseur extraordinaire gisaient égorgés ; les sacrificateurs étaient occupés à écorcher ou à dépecer les victimes ; près de l’autel étaient deux vases d’or, enrichis de pierres des Indes d’une beauté merveilleuse. « Que signifie tout ceci ? » dit Apollonius, s’adressant au prêtre. « Votre surprise va redoubler, lui répondit le prêtre. L’homme qui offre ce riche sacrifice n’a encore rien demandé au dieu ; il n’a pas attendu que le temps ordinaire soit écoulé ; il n’a reçu d’Esculape ni la santé, ni rien de ce qu’il doit demander : car il paraît n’être arrivé que d’hier. Et il annonce qu’il redoublera ses sacrifices et ses offrandes, si ses prières sont exaucées. C’est un homme des plus opulents : il possède en Cilicie plus de bien que tous les autres Ciliciens réunis. Il a un œil crevé, et demande au dieu de le lui rendre. » Apollonius, ayant fixé les yeux à terre, comme il en prit l’habitude dans sa vieillesse, demanda le nom du suppliant. L’ayant appris : « Ô prêtre, s’écria-t-il, il ne faut pas admettre cet homme dans le temple. C’est un impur, qui s’est attiré par ses crimes le mal dont il souffre. Ce fait même, d’avoir fait un sacrifice si magnifique avant d’avoir rien obtenu, n’est pas d’un homme qui sacrifie ; cela indique un coupable qui veut mettre sa tête à couvert du châtiment dû à ses forfaits. » La nuit suivante, Esculape apparut au prêtre, et lui dit : « Que cet homme s’en aille, et garde ses présents ; il ne mérite même pas d’avoir l’œil qui lui reste[12]. » Le prêtre prit des informations sur le Cilicien, et il apprit que sa femme avait une fille d’un premier lit, qu’il aimait cette fille, et qu’il avait eu commerce avec elle, sans même prendre la peine de cacher son infamie ; mais la femme outragée, les ayant surpris au lit, avait crevé avec son agrafe les deux yeux à sa fille et un œil à son mari.

XI. Apollonius pensait que, même dans les sacrifices et dans les offrandes qu’on fait aux dieux, il y a une certaine mesure à garder. Après l’expulsion du Cilicien, l’affluence fut encore plus grande qu’auparavant vers le temple d’Esculape. Dans ces circonstances, Apollonius dit au prêtre : « Est-il vrai que les dieux soient justes ? — Ils sont toute justice, répondit le prêtre. — Sont-ils prudents ? — Peut-il y avoir, une prudence supérieure à celle de la divinité ? — Connaissent-ils ou ignorent-ils les affaires des hommes ? — Le principal avantage que les dieux ont sur les hommes est que ceux-ci, vu la faiblesse de leur entendement, ne connaissent pas même ce qui les concerne, tandis que les dieux connaissent et les choses divines et les choses humaines. — Bien dit et parfaitement vrai ! Mais, ô prêtre, puisque les dieux savent tout, il me semble qu’un homme qui aborde un sanctuaire avec une bonne conscience doit faire cette prière : « Ô dieux, donnez-moi ce qui m’est dû. » Or, si les hommes pieux ont droit à quelque bien, il n’est dû que du mal aux méchants. Et les dieux ont raison, quand ils trouvent un homme sain et pur de crime, de le renvoyer couvert, non pas de couronnes d’or, mais de biens de toute espèce ; quand ils voient un homme tout flétri et tout gâté par le vice, de le livrer au châtiment, et d’appesantir d’autant plus sur lui leur colère, qu’il a fait preuve de plus d’audace en portant aux autels un cœur impur. » Puis, se tournant vers Esculape : « Ô Esculape, s’écria-t-il, je reconnais la sagesse profonde qui vous est propre, quand je vous vois défendre aux méchants de vous approcher, alors même qu’ils apporteraient ici tous les trésors de Sarde et de l’Inde : car, s’ils font ainsi des sacrifices et des offrandes, ce n’est pas pour honorer les dieux, c’est pour se racheter des châtiments qui leur sont dus ; et votre suprême équité vous empêche de leur en faire grâce. » Apollonius était encore dans l’adolescence lorsqu’il tenait ces sages discours et d’autres semblables.

XII. Voici encore un trait qui se rapporte à son séjour à Egées. Le gouverneur de Cilicie était un homme sans mœurs et de passions déréglées. Ayant un jour entendu vanter la beauté d’Apollonius, il quitta brusquement ce qu’il faisait (il présidait un tribunal à Tarse), et vint en toute hâte à Égées, prétextant une maladie et disant avoir besoin du secours d’Esculape. Il rencontra Apollonius qui marchait solitaire ; et, l’abordant, il lui dit : « Recommandez-moi au dieu. — Mais, répondit Apollonius, qu’avez-vous besoin de recommandation si vous êtes homme de bien ? Les hommes vertueux n’ont pas besoin d’introducteurs pour que les dieux leur fassent accueil. — C’est que vous êtes déjà l’hôte du dieu, Apollonius, et que je ne le suis pas encore. — Ce qui m’a valu cet honneur, c’est que j’aime la vertu : c’est par là que, autant qu’il est permis à un jeune homme, je suis le serviteur et le familier d’Esculape. Si vous êtes également attaché à la vertu, vous pouvez en toute confiance vous présenter au dieu et lui adresser votre prière. — C’est ce que je ferai, par Jupiter, mais laissez-moi d’abord vous en adresser une. — Qu’avez-vous à me demander ? — Ce qu’on demande aux beaux objets, c’est-à-dire qu’ils vous admettent au partage de leur beauté, et ne vous envient pas leurs charmes. » En parlant ainsi, il prenait un air voluptueux et ses yeux étaient gonflés par la luxure. Comme il continuait, et disait tout ce que disent les hommes infâmes et perdus de son espèce, Apollonius lui lançant un regard courroucé : « Vous êtes un fou, dit-il, et un misérable. » Puis, comme à cette parole le gouverneur avait frémi de colère, et avait même menacé de lui faire trancher la tête, Apollonius se mit à rire. « Oh ! s’écria-t-il, un jour viendra… » Et trois jours après, ce débauché fut égorgé sur la route même par des bourreaux, pour avoir conspiré contre les Romains avec Archélaüs de Macédoine. Tous ces faits, et quelques autres du même genre, sont rapportés par Maxime d’Égées, écrivain auquel sa réputation d’éloquence a valu une charge de secrétaire de l’empereur.

XIII. Le père d’Apollonius étant venu à mourir, Apollonius, à cette nouvelle, se rendit en toute hâte à Tyane, et l’ensevelit de ses propres mains auprès de sa mère, qui était morte aussi peu de temps auparavant. Il partagea l’héritage, qui était considérable, avec son frère, jeune homme vicieux et adonné à la boisson. Ce frère, âgé de vingt-trois ans, était hors de tutelle ; Apollonius, au contraire, y était soumis par les lois, n’ayant que vingt ans. Il séjourna de nouveau quelque temps à Egées, dont il convertit le temple en Lycée ou en Académie[13] : car on n’y entendait que philosophie. Il ne revint à Tyane que lorsqu’il fut majeur et maître de ses biens. Quelqu’un lui dit alors qu’il devrait corriger son frère et lui faire changer son genre de vie : « Cela, répondit-il, paraîtra un peu hardi. Le plus jeune corriger son aîné ! Cependant je travaillerai de mon mieux à guérir ce malade. » Il commença par lui donner la moitié de sa part d’héritage. « Mon frère a besoin, disait a ce propos Apollonius, de beaucoup de bien, et moi il me suffit de peu. » Ensuite il s’insinua auprès de lui, et l’amena avec adresse à écouter les conseils de la tempérance. « Nous avons, lui disait-il, perdu notre père, qui nous dirigeait et nous aidait de ses conseils ; tu me restes et je te reste ; si je fais des fautes, avertis-moi et viens à mon secours ; et s’il t’arrive à toi-même de t’écarter du devoir, permets-moi de te donner un avis. » Ainsi, en faisant comme les habiles écuyers, qui caressent les chevaux revêches et difficiles à conduire, il l’amena par la persuasion à se régler et à renoncer à ses vices ; or il en avait plusieurs : il avait la passion du jeu, du vin et des femmes ; il vivait dans les orgies, et il se promenait avec hauteur et arrogance, fier de sa chevelure qu’il teignait. Après avoir ainsi réussi avec son frère, Apollonius se tourna vers ses autres parents ; et ceux d’entre eux qui étaient un peu gênés, il les gagna en leur distribuant presque tout ce qui lui restait de sa fortune : il se réserva fort peu de chose. Selon lui, Anaxagore de Clazomène[14], qui avait abandonné ses terres aux bœufs et aux moutons, s’était montré sage plutôt pour les bêtes que pour les hommes, et Cratès de Thèbes[15], qui avait jeté ses richesses à la mer, n’avait été utile ni aux hommes ni aux bêtes. Pythagore est cité, avec éloge, pour avoir dit qu’un homme ne devait pas avoir commerce avec une autre femme que la sienne : « Cela regarde les autres, disait à ce sujet Apollonius ; car moi, j’entends bien ne pas me marier et n’avoir commerce avec aucune femme. » En cela, il surpassa Sophocle. Ce poète disait qu’en arrivant à la vieillesse, il avait senti qu’il échappait au joug impérieux des sens ; et Apollonius a toujours été d’une telle tempérance, qu’il n’a pas connu ce joug, même dans sa jeunesse : en effet, même alors il a résisté énergiquement aux appétits furieux de la chair, et il les a domptés. Je sais bien que, d’après un bruit calomnieux, il aurait été une fois esclave de l’amour, et qu’une passion l’aurait retenu toute une année en Scythie ; mais qu’il soit allé en Scythie et qu’il ait une seule fois ressenti l’amour, l’un n’est pas plus vrai que l’autre. Euphrate lui-même n’a jamais accusé Apollonius de ce genre de faiblesse, lui qui a composé contre notre philosophe tant d’écrits calomnieux, dont nous parlerons plus tard[16]. Apollonius s’était fait de cet homme un ennemi en le plaisantant sur son amour de l’argent, qui lui aurait fait tout faire, et en lui reprochant de faire de la philosophie métier et marchandise. Mais cela sera dit en son lieu.

XIV Euxène demandait un jour à Apollonius pourquoi il n’écrivait pas, bien qu’il eût de hautes pensées, et qu’il s’exprimât avec élégance et vivacité. « C’est, répondit Apollonius, que je n’ai pas encore gardé le silence. » À partir de ce moment, il crut devoir garder le silence, et s’abstint tout à fait de l’usage de la parole ; mais ses yeux et son esprit n’en étaient que plus actifs, sa mémoire n’en devint que plus riche. Pour la mémoire, à l’âge de cent ans, il surpassait encore Simonide, et il chantait un hymne à la Mémoire, où il est dit que le Temps détruit tout, mais que lui-même, grâce à la Mémoire, ne connaît ni la vieillesse ni la mort. Cependant, durant le silence d’Apollonius, son commerce n’avait rien de désagréable : car il répondait à ce que l’on disait par un mouvement d’yeux, par un geste de la main et de la tête. On ne le vit jamais triste et sombre, et il conserva toute la douceur et toute l’aménité de son caractère. Il avoua, du reste, que cette vie silencieuse, pratiquée pendant cinq ans entiers, lui fut très pénible : car il n’avait pas dit beaucoup de choses qu’il avait eu à dire, il avait feint de ne pas entendre des propos qui l’irritaient, et souvent, sur le point d’adresser à quelqu’un une réprimande, il s’était dit à lui-même : Prends patience, mon cœur ; prends patience, ma langue[17] ! Et il avait laissé passer, sans y répondre, plusieurs attaques dirigées contre lui.

XV. Ce temps de silence, il le passa partie en Pamphylie, partie en Cilicie : dans ses excursions à travers des pays si voués à la mollesse, il ne parla pas une fois, on ne l’entendit même pas proférer une syllabe. Quand il arrivait dans une ville agitée par une émeute (et il y avait souvent des émeutes à l’occasion de spectacles déshonnêtes), il paraissait en public, et par ses gestes, par sa physionomie, indiquait la réprimande qu’il aurait voulu exprimer : aussitôt tout tumulte cessait, et il se faisait un silence aussi profond que dans les mystères. Mais calmer des hommes qui se disputent au sujet de mimes et de chevaux, ce n’est pas encore là un bien grand succès : car ceux que de si futiles motifs ont jetés dans le désordre, quand ils voient paraître un homme, rougissent d’eux-mêmes, se font les premiers des reproches, et reviennent facilement à la raison ; mais quand une ville est pressée par la famine, il n’est pas aisé de trouver un langage assez insinuant et assez persuasif pour changer ses sentiments et calmer sa colère. Apollonius, lui, dans de telles circonstances, obtenait tout par son seul silence. Ainsi il vint dans la ville d’Aspende, qui est située sur le fleuve Eurymédon, et qui est la troisième des villes de la Pamphylie. Les habitants se nourrissaient de vesces et de légumes grossiers qu’on ne mange que par nécessité : les riches avaient caché le blé, dont ils faisaient trafic hors du pays. Une foule composée de personnes de tout âge était soulevée contre le gouverneur, et déjà l’on menaçait de le brûler vif, bien qu’il se fût jeté aux pieds de la statue de l’empereur, qui était alors plus redoutée et plus sacrée que celle de Jupiter Olympien : c’était la statue de Tibère, d’un prince sous le règne duquel on condamna, comme criminel de lèse-majesté, un homme pour avoir frappé un de ses esclaves qui avait sur lui une drachme d’argent frappée à l’effigie de Tibère. Apollonius s’approcha donc du gouverneur, et lui demanda par signes ce dont il s’agissait : le magistrat protesta de son innocence, déclara qu’il souffrait le même tort que le peuple, et que, si on ne le laissait parler, il périrait, et avec lui le peuple tout entier. Alors Apollonius se tourna vers la foule, et fit signe qu’il fallait écouter le gouverneur. Tout le monde se tut, par respect pour Apollonius : on déposa même sur les autels voisins le feu qui avait été apprêté. Cela rassura le gouverneur, qui désigna au peuple plusieurs citoyens comme ayant amené cette famine en cachant le blé dans divers endroits de la province. Comme les Aspendiens voulaient aussitôt se porter sur les terres des accapareurs, Apollonius leur fit signe de n’en rien faire, mais de faire plutôt comparaître les coupables, et d’obtenir le blé de leur consentement. Quand ils eurent été amenés, peu s’en fallut qu’Apollonius ne rompît le silence pour lancer contre eux des invectives, tant il était touché des larmes du peuple : car il était entouré de femmes et d’enfants qui criaient, de vieillards qui gémissaient de voir leur mort avancée par la faim. Mais, par respect pour la loi du silence, il écrivit les reproches qu’il avait à faire sur des tablettes qu’il donna à lire au gouverneur. Les tablettes portaient ces mots : « Apollonius aux Aspendiens accapareurs de blé. La terre est la mère commune, elle est juste ; mais vous, vous en avez fait votre mère à vous seuls. Si vous ne cessez pas vos pratiques, je ne souffrirai pas que vous restiez plus longtemps sur son sein. » Ils furent frappés de terreur, le marché fut rempli de blé, et la ville revint à la vie.

XVI. Lorsque le temps qu’il s’était prescrit pour son silence fut écoulé, il se rendit à Antioche la grande, et entra dans le temple d’Apollon Daphnéen, auquel les Assyriens rapportent une fable arcadienne. Selon eux, Daphné, fille du fleuve Ladon (car ils ont un Ladon[18]), fut métamorphosé en cet endroit. Ils ont en vénération un laurier, celui-là même qui fut le fruit de cette métamorphose. Le temple est entouré d’un cercle de cyprès d’une hauteur extraordinaire, et de ce lieu jaillissent des fontaines abondantes et tranquilles, où l’un dit que se baigne le dieu. C’est là, assure-t-on encore, que poussa le premier cyprès, qui était autrefois un jeune assyrien du nom de Cyparisse, et la beauté de l’arbre donne du crédit à cette métamorphose. Peut-être trouvera-t-on que je manque à la gravité de mon sujet en m’arrêtant à conter toutes ces fables. Mais ce n’est pas là mon objet. J’arrive à ce qui l’est réellement. Apollonius fut frappé de voir combien l’aspect du temple était charmant, et combien ce temple était négligé : il était abandonné a des hommes ignorants et demi-barbares. « Ô Apollon, s’écria-t-il, change ces muets en arbres, afin qu’ils rendent du moins quelque son, comme ces cyprès ! » Puis, remarquant que les fontaines étaient calmes et qu’aucune d’elles ne faisait entendre le moindre murmure : « On est si muet en cet endroit, dit-il, que les ruisseaux mêmes ne font pas de bruit. » Et encore, en regardant le Ladon : « Ta fille n’est pas seule métamorphosée, tu l’es toi aussi, puisque de Grec et d’Arcadien, tu es devenu Barbare. » Quand il se fut mis à enseigner, il évita les lieux fréquentés et tumultueux, disant que ce qu’il lui fallait, ce n’étaient pas des corps, mais des âmes d’hommes ; il fréquenta les lieux solitaires et les temples qui ne se fermaient pas. Au lever du soleil, il faisait en secret certaines cérémonies, auxquelles il n’admettait pas d’autres témoins que ceux qui avaient observé le silence pendant quatre ans. Le reste du temps, s’il était dans une ville grecque, et si les rites observés en cet endroit lui étaient connus, il l’employait à s’entretenir sur les dieux avec les prêtres rassemblés, et à les redresser s’ils s’écartaient de la tradition. Lorsqu’il se trouvait dans une ville barbare, qui avait ses coutumes particulières, il s’informait de l’auteur et de la raison de ces rites, et se faisait instruire de la manière de les pratiquer ; s’il lui venait à l’esprit quelque chose de mieux que ce qui se faisait, il le disait. Après cela, il revenait à ses disciples, et les engageait à lui faire telles questions qu’ils voudraient. Il disait que, pour philosopher à sa manière, il fallait converser avec les dieux à la pointe du jour, puis parler des choses divines, enfin s’entretenir des affaires humaines. Après avoir répondu à toutes les questions posées par ses disciples, et avoir passé avec eux assez de temps, il se mettait à enseigner la foule ; ce qu’il ne faisait cependant jamais avant midi, mais à partir de midi précis. Lorsqu’il pensait avoir assez parlé, il se faisait oindre et frotter, puis se jetait dans l’eau froide, disant que les bains chauds sont la vieillesse des hommes. « Les bains chauds ayant été fermés à Antioche, à cause de grands scandales, l’empereur, dit-il, vient de prolonger notre vie, bien que nous ne méritions guère cette faveur. » Et comme les Éphésiens voulaient lapider leur gouverneur, parce que les bains n’étaient pas chauffés, Apollonius leur dit : « Vous reprochez à votre gouverneur de ne pas vous donner des bains bien chauds, et moi je vous reproche de prendre des bains chauds. »

XVII. L’éloquence d’Apollonius n’avait pas une couleur dithyrambique, elle n’était pas boursouflée de mots empruntés à la poésie, ni semée d’expressions inusitées. Il n’avait rien d’outré dans son atticisme, car il ne voyait d’agrément que dans un atticisme modéré. Il ne donnait rien à la subtilité, et n’allongeait pas inutilement ses discours. Jamais on ne le vit user d’ironie, ni discuter avec ses disciples[19]. Mais lorsqu’il parlait, c’était comme un prêtre du haut du trépied ; il disait sans cesse : « Je sais, Il me semble, Que faites-vous ? Il faut savoir… ». Ses sentences étaient brèves et solides comme le diamant, ses expressions étaient d’une grande propriété et parfaitement appropriées aux choses, tout ce qu’il disait avait autant de retentissement que les édits d’un prince. Un de ces hommes qui disputent sur des riens lui demanda un jour pourquoi il ne cherchait pas. « J’ai cherché dans ma jeunesse, répondit Apollonius ; maintenant il n’est plus temps pour moi de chercher, mais de dire ce que j’ai trouvé. » Et comme le même interlocuteur lui demandait comment doit enseigner le sage : « Comme un législateur, répondit-il ; car il faut, que le législateur prescrive aux autres ce dont il est bien persuadé lui-même. » C’est en parlant ainsi qu’il se fit écouter à Antioche des hommes les plus étrangers à la science.

XVIII. Ensuite l’idée lui vint d’entreprendre un long voyage, et sa pensée se porta sur l’Inde et les sages Indiens qu’on appelle Brachmanes ou hommes des forêts. Il disait, qu’il convient à un jeune homme de voyager et de voir du pays. Il se promettait aussi de beaucoup profiter à visiter les mages, dont il se proposait en passant d’étudier la science. Il découvrit son dessein à ses disciples, qui étaient au nombre de sept ; et comme ils essayaient de le détourner de ce projet et de tourner d’un autre côté son ardeur, il leur dit : « J’ai pris conseil des dieux, et je vous ai déclaré leur volonté pour vous éprouver et voir si vous êtes assez forts pour me suivre dans mon entreprise. Mais, puisque l’énergie vous manque, adieu, et philosophez à votre aise : pour moi, il me faut marcher où la sagesse et la Divinité me conduisent. » Après avoir ainsi parlé, il quitta Antioche avec deux serviteurs qui lui venaient de la maison paternelle, et dont l’un était habile à écrire vite, l’autre à bien écrire.

XIX. Apollonius, arrivé dans l’antique ville de Ninive, y vit une statue représentant une femme barbare : c’était la statue d’Io, fille d’Inachus, qui avait sur le front deux petites cornes naissantes. Comme il était arrêté en cet endroit et montrait qu’il connaissait mieux ce qui avait rapport à cette statue que les prêtres et les devins, il fut abordé par un citoyen de Ninive, nommé Damis. Nous avons déjà dit que ce Damis fut le compagnon de ses voyages, le dépositaire de toute sa philosophie, et qu’il nous a laissé sur son maître de nombreux renseignements. Il se sentit pris d’enthousiasme pour Apollonius et séduit par la perspective de ses voyages : « Partons, lui dit-il, Dieu sera votre guide, vous serez le mien. Je me flatte que vous ne vous repentirez pas de m’avoir pris pour compagnon de route. Si je ne sais rien de plus, je sais du moins le chemin de Babylone, pour en être revenu depuis peu ; je sais toutes les villes, tous les villages que nous devrons traverser, et dans lesquels nous trouverons beaucoup de bonnes choses ; je sais toutes les langues des Barbares, celle des Arméniens, celle des Mèdes, celle des Perses, celle des Cadusiens, et il n’en est aucune que je ne possède parfaitement. — Mon ami, répondit Apollonius, je sais toutes les langues, sans en avoir appris aucune. » Et comme Damis manifestait son étonnement : « Ne vous étonnez pas, ajouta Apollonius, si je comprends toutes les langues des hommes, je comprends même leur silence[20]. » En entendant ces paroles, Damis se sentit saisi d’un respect religieux pour Apollonius, qu’il considéra comme un dieu. À partir de ce moment, il s’attacha à lui, gagnant chaque jour en sagesse, et gravant dans sa mémoire tout ce qu’il entendait. Cet Assyrien parlait avec peu d’élégance : mais, si l’habileté de la parole lui faisait défaut, comme à un homme élevé parmi les Barbares, il était parfaitement en état de relater ce qui se faisait ou se disait, de noter ce qu’il voyait ou entendait, de tenir un journal de tout cela, et même il le tenait aussi bien que personne. Il intitula ce journal les Reliefs. On y voit qu’il n’a rien voulu laisser ignorer de ce qui concernait Apollonius : tous les discours qu’il a tenus, toutes les paroles qui lui sont échappées, Damis en a pris note. Il n’est pas hors de propos de rapporter sa réponse à une objection qui lui a été faite au sujet de sa minutieuse exactitude. Un oisif, un envieux, lui en faisait un reproche, disant que Damis avait eu raison de rapporter les pensées et les maximes d’Apollonius ; mais qu’en recueillant les menus détails il avait fait à peu près comme les chiens qui se jettent sur tout ce qui tombe d’une table. « Eh bien ! répondit Damis, quand les dieux sont à table, il y a des serviteurs qui ont soin de ne pas laisser perdre la moindre goutte d’ambroisie. » Tel est le compagnon, tel est l’ami passionné qu’Apollonius rencontra à Ninive, et avec lequel il passa la plus grande partie de sa vie.

XX. Quand ils entrèrent en Mésopotamie, le percepteur des péages établi au pont de l’Euphrate les fit passer au bureau, et leur demanda ce qu’ils apportaient avec eux. « J’apporte, répondit Apollonius, la Continence, la Justice, la Force, la Tempérance, la Bravoure, la Patience, » et il énuméra encore plusieurs vertus dont les noms sont au féminin. Le percepteur, ne songeant qu’au droit d’entrée, lui dit : « Donnez-moi la liste de toutes ces esclaves. — Non pas, s’écria Apollonius : ce ne sont pas des esclaves, ce sont des maîtresses. » La Mésopotamie est le pays situé entre le Tigre et l’Euphrate, fleuves qui descendent de l’Arménie et de l’extrémité du Taurus, et qui entourent cette province. On y trouve quelques villes, mais surtout des villages. Les populations qu’enferment ces deux fleuves sont des Arméniens et des Arabes : la plupart sont nomades ; ils s’imaginent habiter une île, à tel point que, lorsqu’ils se dirigent vers un des fleuves, ils disent qu’ils descendent à la mer : pour eux, le cercle que forment le Tigre et l’Euphrate, ce sont les bornes du monde. Cela vient de ce que ces deux fleuves, après avoir fait en quelque sorte le tour de la Mésopotamie, se jettent dans la même mer. Selon quelques auteurs, l’Euphrate se déverse en grande partie dans des marais, et va se perdre dans la terre. Selon d’autres, dont l’opinion est plus hardie, il coulerait sous terre jusqu’en Égypte, et là reparaîtrait pour mêler ses eaux à celles du Nil. Si je voulais tout dire et ne rien omettre de ce que rapporte Damis, j’aurais à raconter ce que fit Apollonius au milieu de ces Barbares : mais il me tarde d’arriver à des faits plus importants et plus merveilleux. Cependant je ne veux pas négliger de faire remarquer ici deux choses : d’abord le courage dont fit preuve Apollonius en s’aventurant ainsi à travers des nations barbares, adonnées au brigandage, et qui n’étaient pas encore soumises aux Romains ; puis la pénétration qui lui fit, à la manière des Arabes, comprendre la voix des animaux. C’est un secret qu’il apprit en voyageant parmi les Arabes, les hommes du monde qui le connaissent le mieux et savent le mieux s’en servir. Chez ce peuple, en effet, il n’est presque personne qui n’entende les oiseaux prédire l’avenir aussi bien que les devins ; on y acquiert le talent de comprendre les animaux en mangeant, selon les uns, le cœur, selon les autres, le foie d’un dragon.

XXI. Apollonius ayant passé Ctésiphon, et étant entré sur le territoire de Babylone, trouva là des gardes établis par le roi ; on ne pouvait aller plus loin qu’après avoir déclaré son nom, sa patrie, et le motif de son voyage. Ces gardes étaient commandés par un satrape, sans doute un de ceux qu’on appelle les Yeux du Roi. Car le Mède qui venait de monter au trône ne se croyait pas en sûreté, et, l’esprit toujours préoccupé de dangers réels ou chimériques, il vivait dans des craintes et dans des terreurs continuelles. Apollonius et ses compagnons sont donc conduits devant le satrape. Celui-ci venait de faire disposer sa tente sur un char de guerre, et allait partir pour quelque voyage. À la vue de cet homme défait et décharné, il poussa un cri comme une femme effrayée, se voila la face, et, le regardant à peine, comme s’il eût été un démon, lui demanda : « D’où viens-tu, et qui t’a envoyé vers nous ? — Je viens ici de moi-même, répondit Apollonius ; je veux voir si, même malgré vous, on peut faire de vous des hommes. — Qui es-tu, toi qui viens ainsi sur les terres du roi ? — Toute la terre est à moi, et j’ai droit d’aller où il me plaît. — Il faut me répondre, si tu ne veux pas subir la torture. — Je veux bien la subir, pourvu que ce soit de vos mains : je vous ferai voir que vous aurez touché à un homme. » L’eunuque fut étonné de l’entendre parler, sans l’aide d’un interprète, et répondre sans difficulté et sans embarras. « Par les dieux, qui es-tu ? » demanda-t-il en changeant de ton, et cette fois parlant avec douceur. Apollonius reprit : « Eh bien ! puisque vous m’interrogez maintenant sans rudesse et sans dureté, je vais vous répondre. Je suis Apollonius de Tyane ; je vais voir le roi des Indiens, pour m’instruire de ce qui se fait chez ce peuple. Je serais heureux de voir aussi votre maître ; car ceux qui lui ont parlé disent qu’il ne manque pas de mérite. N’est-ce pas ce Vardane[21] qui a été autrefois détrôné, et qui vient de rentrer dans son royaume ? — C’est lui-même, homme divin : car il y a déjà longtemps que le bruit de ton nom est venu jusqu’à nous. À un homme sage, notre roi céderait même son trône d’or, et il est probable qu’il vous fera conduire, chacun sur un chameau, jusque dans l’Inde. Pour moi, je veux que tu sois mon hôte, et de toutes ces richesses (il montrait ses trésors), je te donne ce que tu voudras prendre, quand tu voudrais y puiser non pas une fois, mais dix fois. » Apollonius refusa d’accepter de l’argent. « Accepte au moins, reprit le satrape, une amphore de ce vin de Babylone, dont le roi donne à ses dix satrapes, des rôtis de porc et de chèvre, de la farine, du pain et tout ce que tu voudras : car sur la route qu’il te reste à parcourir, dans l’espace de plusieurs stades, il n’y a que des bourgades où tu auras de la peine à trouver des provisions. » Puis, après quelques moments de réflexion : « Grands dieux ! s’écria l’eunuque, que fais-je ? Je sais que ce sage ne mange pas de viande et ne boit pas de vin, et je lui offre une nourriture épaisse et malséante ! — Il dépend de vous, répondit Apollonius, de m’offrir une nourriture légère : donnez-moi du pain et des fruits. — Je vais te donner du pain levé, de grosses dattes dorées, et les divers légumes qui viennent dans les jardins arrosés par le Tigre. — J’aime mieux les légumes sauvages que les plantes cultivées et qui sont les produits de l’art. — Ils valent mieux, dit le satrape, mais l’absinthe qui croît en abondance dans les terres autour de Babylone rend ces légumes désagréables et amers. » Apollonius finit par accepter les dernières offres du satrape, et lui dit : « Il est bon de bien commencer, comme de bien finir, » voulant ainsi lui faire regretter les menaces qu’il lui avait faites d’abord et le langage inhumain qu’il avait tenu.

XXII. Apollonius et ses compagnons, étant partis, rencontrèrent à vingt stades de là une lionne tuée dans une chasse. C’était une bête d’une grosseur énorme, et telle qu’on n’en avait jamais vu de pareille. Les habitants du bourg, qui étaient accourus en foule, et les chasseurs mêmes poussaient des cris de surprise, comme à la vue d’une chose extraordinaire ; et en effet c’en était une. Quand on ouvrit cette lionne, on trouva dans son corps huit petits. Or, les lionnes portent six mois, elles ne mettent bas que trois fois pendant leur vie : elles font la première fois trois lionceaux, deux la seconde, un la troisième, et celui-là, je pense, plus grand et plus féroce que les autres. Il ne faut pas ajouter foi à ceux qui disent que les lionceaux viennent au monde en déchirant le ventre de leur mère : il semble en effet que la nature ait inspiré aux petits des animaux pour leurs mères, et aux mères pour leurs petits, un amour réciproque en vue de la conservation de l’espèce. Apollonius, après avoir vu cette portée monstrueuse, se tut quelque temps ; puis, s’adressant à Damis : « Notre séjour chez le roi de l’Inde, lui dit-il, sera d’un an et huit mois : il ne nous laissera pas partir plus tôt. Le nombre des lionceaux nous fait conjecturer les mois, et la lionne l’année. Il faut comparer le complet au complet. — Mais, dit Damis, que signifient les huit passereaux d’Homère, dévorés à Aulis par un dragon, avec leur mère ? Calchas, interprétant ce songe, prédit que Troie ne serait prise qu’après neuf ans de siège[22]. Peut-être, d’après Homère et Calchas, notre voyage doit-il durer neuf ans. — Homère, répondit Apollonius, a raison de comparer les passereaux à des années : car ils sont nés, et ils vivent ; mais des animaux qui ne sont pas encore complètement formés, qui ne sont pas nés, qui ne seraient peut-être jamais venus au monde, comment les comparerais-je à des années ? Les monstres naissent rarement, ou s’ils naissent, ils meurent vite. Croyez-moi donc, et allons prier les dieux qui nous révèlent ainsi l’avenir. »

XXIII. Comme Apollonius s’avançait vers la terre de Cissie[23] et approchait de Babylone, un dieu lui envoya un songe. Voici quel était ce songe. Des poissons, jetés sur le rivage s’y débattaient et faisaient entendre des gémissements humains ; ils se plaignaient d’être hors de leur demeure habituelle, et suppliaient un dauphin qui nageait près de la terre de leur porter secours ; ils faisaient pitié comme des exilés qui se lamentent loin de leur patrie. Ce songe ne l’effraya nullement, il en vit tout de suite la signification et la portée ; mais, voulant faire peur à Damis, qu’il savait un peu timide, il lui dit ce qu’il avait vu, et feignit d’en être effrayé comme d’un présage sinistre. Aussitôt Damis de pousser des cris, comme si lui-même avait eu cette vision, et d’engager Apollonius à ne pas pousser plus avant. « J’ai bien peur, disait-il, que nous ne ressemblions à ces poissons, et que nous n’allions chercher notre perte loin de notre pays. Nous serons réduits à nous lamenter sur une terre étrangère, et, ne sachant comment échapper aux derniers périls, il nous faudra tendre des mains suppliantes vers quelque roi ou quelque prince, qui nous méprisera comme les dauphins ont méprisé les poissons. — Allons, dit Apollonius en riant, vous n’êtes pas encore philosophe si un tel songe vous fait peur : je vais vous dire ce qu’il signifie. La terre de Cissie, où nous sommes, est occupée par des Erétriens, que Darius, il y a cinq cents ans, a transportés d’Eubée en ces lieux[24] ; on dit qu’il leur est arrivé, comme aux poissons de notre songe, d’avoir tous été pris d’un coup de filet. Les dieux, si je ne me trompe, m’ordonnent, à moi qui passe si près d’eux, de faire pour eux tout ce qui dépendra de moi. Peut-être sont-ce les âmes des Grecs condamnés à cet exil qui m’inspirent la pensée d’être utile aux habitants de ce pays. Détournons-nous donc un peu de notre route, et informons-nous seulement du puits auprès duquel ils résident. » On dit que ce puits est plein de bitume, d’huile et d’eau : quand on répand ce qu’on y a puisé, ces trois liquides se séparent l’un de l’autre. Le voyage d’Apollonius en Cissie est attesté par sa lettre au sophiste de Clazomène : en effet, telle était sa bonté, tel était son zèle, qu’après avoir vu les Érétriens il songea au sophiste de Clazomène[25], et il lui écrivit ce dont il avait été témoin et ce qu’il avait fait pour ces malheureux ; en même temps il lui recommandait, quand il réciterait son Discours sur les Érétriens, de ne pas épargner même les larmes.

XXIV. Ce que nous venons de dire au sujet des Érériens s’accorde avec la relation de Damis. Ils habitent dans la Médie, non loin de Babylone, à une distance d’un jour de marche pour un coureur. Il n’y a pas de villes dans la Cissie : on n’y trouve que des bourgades, et des populations nomades qui ne descendent de cheval que rarement. Les Érétriens sont établis au centre de la Cissie ; ils se sont entourés d’un large fossé, qu’ils ont rempli d’eau en détournant le cours d’un fleuve, et cela, dit-on, afin de se mettre en sûreté contre les incursions des Barbares de la Cissie. Toute cette terre est arrosée d’eaux bitumineuses, dont l’amertume rend le terrain peu propre aux plantations. Les hommes n’y ont pas une longue vie : le bitume, mêlé à l’eau qu’ils boivent s’attache à leurs entrailles. Ils tirent leur nourriture d’une colline qui est sur la limite de leur bourg et qui s’élève au-dessus de la plaine infertile ; ils l’ensemencent comme un champ. Selon la tradition répandue dans le pays, le nombre des Erétriens faits prisonniers par les Perses était de sept cent quatre-vingts ; tous n’étaient pas en état de porter les armes, car il y avait dans ce nombre des femmes, des vieillards et sans doute aussi des enfants. La plus grande partie de la population d’Érétrie s’était enfuie sur le mont Capharée et sur les plus hautes montagnes de l’Eubée. Il n’y eut que quatre cents hommes, et peut-être dix femmes, qui furent transportés en Cissie ; les autres périrent pendant le voyage de l’Ionie et de la Lydie à la haute Asie. La colline leur ayant fourni des carrières, et plusieurs d’entre eux étant habiles ouvriers, ils bâtirent des temples à la manière des Grecs, tracèrent une agora suffisante pour la réunion d’un si petit nombre d’hommes, et dressèrent deux autels à Darius, un à Xerxès plusieurs à Daridée[26] ; ce prince régna quatre-vingt-huit ans, d’après le calcul des Grecs, après la captivité des Érétriens. Sur leurs tombeaux on lit : « Un tel, fils d’un tel » ; les caractères sont grecs, mais nos voyageurs disent qu’ils n’en avaient pas encore vu de semblables. Ils ajoutent qu’ils ont vu encore des vaisseaux sculptés sur les tombes de ceux qui, en Eubée, avaient été bateliers, pécheurs de coquillages, ou qui avaient fait le commerce maritime ou celui des étoffes de pourpre. Voici une élégie qu’ils lurent sur la tombe de quelques marins et de leurs patrons :


« Nous qui jadis fendions les flots de la mer Égée, nous reposons au milieu du pays d’Ecbatane. Adieu, Érétrie, autrefois notre gloire ! Adieu, Athènes, voisine de l’Eubée, et, toi, mère chérie, adieu ! »


Damis rapporte qu’Apollonius releva et ferma de ses propres mains les tombeaux qui étaient tombés en ruine, qu’il fit aux mânes des libations et leur apporta toutes les offrandes prescrites, mais sans immoler de victimes et sans verser de sang. Puis, les larmes aux yeux, et saisi d’enthousiasme, il s’écria au milieu de toutes ces tombes : « Ô vous, que le sort a conduits en ces lieux, Érétriens, si vous êtes éloignés de votre patrie, du moins vous avez une sépulture, et ceux qui vous ont arrachés à vos demeures ont péri, dix mois après votre enlèvement, non loin de votre île[27], et sont restés sans sépulture. Et ce qu’ils ont souffert dans le golfe d’Eubée est une marque de la colère des dieux. » À la fin de sa lettre au sophiste de Clazomène, Apollonius dit encore : « Ô Scopélianus ! dans ma jeunesse je me suis intéressé à vos Erétriens, et j’ai fait tout ce qui a été en mon pouvoir en faveur de ceux d’entre eux qui étaient morts et de leurs descendants. » Ce qu’il fit pour les vivants, il nous reste à le dire. Quand les Érétriens avaient bien ensemencé leur colline, les Barbares voisins venaient en été et emportaient la moisson, et ceux qui avaient eu tout le mal se trouvaient réduits à la famine. Dès qu’il fut arrivé auprès du roi, Apollonius fit prendre des mesures pour que les Érétriens pussent jouir seuls de leur récolte.

XXV. Quant au séjour d’Apollonius à Babylone et à ce qui concerne cette ville, voici ce que je trouve dans les auteurs. Les murailles de Babylone[28] ont quatre cent quatre-vingts stades de tour, un plèthre et demi de hauteur, et un demi-plèthre d’épaisseur[29]. L’Euphrate la traverse et la coupe en deux parties à peu près égales ; sous le lit de ce fleuve il y a une galerie souterraine, qui fait communiquer ensemble secrètement les habitations royales qui sont sur les deux rives. On dit qu’une ancienne reine de Babylone, Mède de naissance[30], joignit ainsi les deux rives du fleuve par des moyens jusqu’alors inconnus. Elle fit amasser sur les rives des pierres, du cuivre, de l’asphalte, et tout ce dont se servent les hommes pour les constructions exposées à l’eau. Le fleuve fut ensuite détourné dans un lit provisoire, et, l’ancien lit étant resté à sec, on creusa un fossé de deux brasses, afin qu’on pût par là, comme par terre, pénétrer dans les palais des deux rives ; la voûte de cette galerie fut faite de niveau avec le fond du lit de l’Euphrate ; puis, quand les fondations et les murs furent terminés, comme le bitume a besoin d’eau pour prendre la solidité de la pierre, l’Euphrate fut ramené dans son lit, au-dessus de cette voûte encore humide, et la galerie prit consistance. Les palais des rois de Babylone sont couverts en cuivre, ce qui les fait étinceler au loin ; les chambres des femmes, les appartements des hommes et les portiques ont, au lieu de peintures, des décorations en argent, en or plaqué ou même en or massif. Les dessins de leurs tapisseries sont empruntés aux traditions des Grecs ; on y trouve des Andromèdes, des Amymones, et la figure d’Orphée y revient sans cesse. Les Babyloniens aiment beaucoup Orphée, peut-être en considération de sa tiare et de ses braies ; car ce ne peut guère être à cause des chants et des accords par lesquels il charmait les hommes. On voit aussi sur ces tapisseries Datis saccageant l’île de Naxos, Artapherne assiégeant Érétrie, et les prétendues victoires dont s’enorgueillissait Xerxès : c’était par exemple la prise d’Athènes, le passage des Thermopyles, et, ce qui est encore plus dans le goût des Mèdes, les fleuves taris, la mer enchaînée, et le mont Athos percé. Damis dit encore être entré avec Apollonius dans une salle dont la voûte, faite en dôme, représentait le ciel : cette voûte était en saphir, pierre qui, par sa couleur bleue, imite en effet celle du ciel ; tout en haut étaient sculptées en or les statues des dieux adorés dans ce pays, qui semblaient planer au milieu des airs. C’est là que le roi rend la justice : aux quatre coins de la voûte étaient suspendues quatre bergeronnettes, pour lui rappeler Némésis, et l’avertir de ne pas se croire plus qu’un homme. Les mages qui fréquentent le palais disent avoir eux-mêmes mis en cet endroit ces figures symboliques, qu’ils appellent les langues des dieux.

XXVI. Sur les mages, Apollonius n’a dit que le nécessaire, à savoir qu’il s’est entretenu avec eux, et qu’il les a quittés après avoir appris d’eux différentes choses, et leur en avoir enseigné d’autres. Quant aux entretiens qu’il eut avec les mages, Damis ignore ce qu’ils purent être : car, lorsqu’Apollonius allait trouver les mages, il lui défendait de le suivre. Damis dit seulement qu’il se rencontrait avec les mages à midi et à minuit, et qu’un jour qu’il demandait : « Que faut-il penser des mages ? » il n’obtint pas d’autre réponse que celle-ci : « Ils savent beaucoup de choses, mais il y en a qu’ils ignorent. »

XXVII. Du reste, nous reviendrons sur ce sujet. Comme Apollonius entrait à Babylone, le satrape chargé de la garde de la grande porte, apprenant qu’il venait pour visiter la ville, lui fit remarquer une statue d’or du roi, devant laquelle on était obligé de s’agenouiller, si l’on voulait être admis dans l’intérieur. Les ambassadeurs de l’empereur romain sont seuls dispensés de cette cérémonie ; mais un ambassadeur des nations barbares ou un particulier voyageant par curiosité, s’il refusait de s’agenouiller devant l’image royale, était considéré comme infâme, et on ne le laissait pas entrer. Telles sont les occupations misérables qui, chez les Barbares, semblent réclamer les soins d’un satrape. Quand Apollonius eut vu la statue, il demanda quel était cet homme. « C’est le roi, lui répondit-on. — Cet homme, devant qui vous vous prosternez, si seulement il obtient que je dise de lui que c’est un homme de bien, il sera fort honoré. » Et en disant ces mots, il passa la porte. Le satrape étonné le suivit, et, le prenant par la main, lui demanda par l’intermédiaire d’un interprète, son nom, son pays, sa profession, et le but de son voyage. Puis, après avoir inscrit sur son registre les réponses d’Apollonius avec son signalement, il lui dit d’attendre. Il courut de ce pas chez les personnages qu’on appelle les Oreilles du roi, leur décrivit Apollonius, et leur dit qu’il refusait d’adorer le roi et ne ressemblait en rien aux autres hommes. On lui ordonna de l’amener, mais avec des égards et sans violence.

XXVIII. Lorsqu’Apollonius fut en leur présence, le plus ancien lui demanda pourquoi il méprisait leur roi. « Je ne le méprise pas encore, répondit Apollonius. — Est-ce à dire que vous vous proposez de le mépriser ? — Oui, certes, si je me trouve en rapport avec lui et que je ne voie pas en lui un homme de bien. — Quels présents lui apportez-vous ? — Le courage, la justice et toutes les vertus. — Supposez-vous qu’il ne les a pas ? — Je ne suppose rien ; mais, s’il les a, je lui apprendrai à s’en servir. —C’est en s’en servant qu’il a recouvré ce royaume, après l’avoir perdu, et qu’il a relevé ce grand édifice non sans peine ni sans difficulté. — Combien y a-t-il de temps qu’il est remonté sur son trône ? — Nous entrons dans la troisième année ; il s’en est déjà écoulé deux mois[31]. » Alors Apollonius, selon sa coutume, élevant sa pensée et ses discours : « Ô gardiens de la personne du roi, ou quel que soit votre titre, Darius, père de Cyrus et d’Artaxerxe, qui, si je ne me trompe, a occupé ce trône pendant soixante ans[32], sentant sa mort prochaine, offrit, dit-on, un sacrifice à la Justice, et l’invoqua en ces termes : « Ô ma maîtresse, quelle que vous soyez ! » il montrait ainsi qu’il désirait depuis longtemps la justice, mais ne la connaissait pas, et ne croyait pas la posséder. Or il sut si peu élever ses enfants qu’ils prirent les armes l’un contre l’autre, que l’un fut blessé, et l’autre tué par son frère. Et vous voulez que votre roi, qui n’a pour ainsi dire pas eu le temps de s’asseoir sur le trône, réunisse toutes les vertus, qu’il en soit le modèle ! Cependant, s’il devient meilleur, c’est vous qui trouverez à y gagner, et non moi. » Le Barbare se tournant alors vers son voisin : « Cet homme, dit-il, nous est envoyé comme un présent par quelqu’un des dieux. Sa vertu, mise en rapport avec celle du roi, rendra notre prince encore plus honnête, plus modéré et plus aimable ; car toutes ces qualités se peignent sur les traits de cet étranger. » Aussitôt ils entrèrent dans le palais, pour annoncer à tous qu’il y avait à la porte, un sage grec, qui promettait un excellent conseiller.

XXIX. La nouvelle en vint au roi comme il sacrifiait, assisté des mages, car ils président aux cérémonies sacrées. S’adressant à un d’entre eux, il lui dit : « Voici l’accomplissement du songe que j’ai eu cette nuit, et que je vous ai rapporté quand vous êtes venu à mon lever. » Le roi avait rêvé qu’il était Artaxerxe, fils de Xerxès, qu’il avait pris la taille et la figure de ce roi, et il craignait que ce changement dans sa personne ne présageât quelque changement dans ses affaires. Dès qu’il apprit qu’il était visité par un sage grec, il se rappela l’Athénien Thémistocle qui, après avoir quitté la Grèce, vint trouver Artaxerxe et lui rendit des services comme il en reçut des bienfaits. « Faites-le monter, dit-il ; car il ne saurait entrer en relation avec moi dans de meilleures circonstances que celles d’un commun sacrifice et de communes prières. »

XXX. Apollonius entra accompagné d’une foule de courtisans qui espéraient ainsi plaire au roi : car le roi avait paru heureux de l’arrivée de cet étranger. En traversant les diverses salles du palais, Apollonius ne porta ses regards sur aucun des objets qu’on a coutume d’admirer ; il passa avec l’indifférence d’un voyageur sur une route, et causant avec Damis, il lui dit : « Vous me demandiez dernièrement le nom de cette femme de Pamphylie qui, dit-on, fut l’élève de Sapho, et composa sur les modes ionien et pamphylien les hymnes que l’on chante à Diane Pergéenne[33]. — Je vous l’avais en effet demandé, mais vous ne me l’avez pas dit. — C’est vrai, mon ami ; mais je vous ai expliqué les modes et les noms de ces hymnes, et je vous ai montré comment le mode éolien, en se transformant, est devenu le mode le plus haut de tous, le mode pamphylien. Puis nous avons passé à d’autres discours, et vous ne m’avez pas redemandé le nom de cette femme poète et musicienne. Elle s’appelait Démophile, et l’on dit que, comme Sapho, elle eut des femmes pour élèves, et qu’elle composa plusieurs poèmes, soit chants amoureux, soit hymnes en l’honneur des dieux. Son hymne à Diane est inspiré des poésies de Sapho, et se chante sur les mêmes modes que ces poésies. » Ainsi Apollonius ne se laissa pas éblouir par l’appareil de la royauté : loin d’y arrêter les yeux, il s’entretint d’autres choses, et n’eut pour ainsi dire de regards que pour ces objets éloignés.

XXXI. Le roi le vit venir de loin, car le vestibule du temple était assez étendu, et dit à ceux qui étaient près de lui qu’il connaissait déjà cet étranger. Dès qu’il fut près de lui : « Je ne me trompe pas, s’écria-t-il ; c’est cet Apollonius que mon frère Mégabate m’a dit avoir vu à Antioche, admiré et vénéré par les gens de bien, et qu’il m’a dépeint tel que je le vois en ce moment. » Quand il l’eut en sa présence et eut reçu son salut, le roi l’invita en grec à prendre part à son sacrifice : il se proposait de sacrifier au Soleil un cheval blanc, du plus haut prix, de la race niséenne, qui avait été couvert de harnais magnifiques comme pour une fête. « Ô roi, lui dit Apollonius, vous pourrez sacrifier à votre manière, mais permettez-moi de sacrifier à la mienne. » Et, prenant de l’encens : « Soleil, s’écria-t-il, accompagnez-moi aussi loin qu’il vous conviendra et que je le désirerai ! Faites-moi la grâce de gracier les bons, de ne pas gracier les méchants et de n’être pas connu d’eux ! » Après cette prière, il jeta l’encens dans le feu : il observa de quel côté la flamme montait, de quel côté elle était plus sombre, combien de pointes elle formait, et en quels endroits, puis, approchant sa main du côté où le feu paraissait le plus pur et le plus favorable : « Maintenant, dit-il, ô roi, sacrifiez selon vos rites nationaux : car les miens, les voilà ! » Et il se retira pour ne pas prendre part à un sacrifice sanglant.

XXXII. Il revint après le sacrifice et fit au roi cette question : « Possédez-vous parfaitement la langue grecque, ou bien n’en savez-vous que ce qui est nécessaire à la conversation, et ne vous en servez-vous que pour être agréable aux Grecs qui peuvent vous être présentés ? — Je la sais aussi bien que celle de mon pays. Vous pouvez me dire ce que vous voudrez, car je suppose que c’est pour cela que vous m’avez adressé cette question. — Précisément. Écoutez moi donc. Le but fixé à mon voyage, c’est l’Inde. Mais je n’ai pas voulu passer par votre royaume sans m’y arrêter : car on m’avait dit que vous êtes un homme, et je le reconnais à votre ongle[34] ; d’ailleurs, je désirais connaître la science de vos mages, et m’assurer s’ils sont aussi savants qu’on le dit sur les choses divines. Pour moi, je professe la doctrine de Pythagore de Samos. J’y ai appris à honorer les dieux comme vous avez vu, à sentir leur présence, qu’ils soient visibles ou non, à m’entretenir quelquefois avec eux, et à ne porter d’autre étoffe que celle qui est faite avec des productions de la terre : ce n’est pas la dépouille d’une brebis, c’est un vêtement de lin, présent pur d’éléments purs, l’eau et la terre. C’est pour suivre les pratiques de Pythagore que je laisse croître mes cheveux, comme vous le voyez ; et c’est encore pour obéir à ses préceptes, que je garde mon corps pur de toute nourriture qui a eu vie. Je ne serai ni pour vous ni pour tout autre un compagnon de table, de plaisirs et de molle existence ; mais si vous êtes préoccupé de quelque difficulté, je suis prêt à vous en indiquer la solution ; car je sais ce qu’il faut faire, et je lis dans l’avenir. » Tels sont, selon Damis, les discours que tint Apollonius. Apollonius lui-même en a fait le sujet d’une lettre : il a reproduit dans ses lettres beaucoup d’autres discours tenus par lui en diverses circonstances.

XXXIII. Le roi déclara qu’il était plus heureux et plus fier de l’arrivée d’Apollonius qu’il ne le serait s’il avait ajouté à ses richesses celles des Perses et des Indiens. Il se déclara son hôte et lui ouvrit son palais. Mais Apollonius lui dit : « Ô roi ! si vous veniez dans ma patrie, à Tyane, et que je voulusse vous recevoir dans ma demeure, est-ce que vous accepteriez ? — Non, sans doute, à moins que vous n’eussiez à m’offrir un édifice assez vaste pour me recevoir dignement, moi, mes gardes et toute ma suite. « Eh bien ! je répondrai de même. Si je demeurais dans un palais, la disproportion d’une telle demeure avec ma condition serait pour moi une gêne : car les sages souffrent plus du superflu que les grands de la privation du nécessaire. Je ne veux donc recevoir l’hospitalité que d’un simple particulier comme moi ; mais je viendrai au palais toutes les fois que vous m’appellerez. »

XXXIV. Le roi le laissa libre pour ne pas l’incommoder sans le vouloir. Apollonius se logea chez un Babylonien, homme de bien, et du reste d’une naissance distinguée. Pendant son repas un des eunuques qui portent les messages du roi se présente devant lui et lui dit : « Le roi vous accorde dix grâces, et vous laisse libre de les choisir ; il désire cependant que vous ne lui demandiez pas des choses de peu de prix, car il veut vous donner, à vous et à nous, une preuve de sa munificence. » Apollonius accepta les faveurs du roi, et dit : Quand devrai-je faire mes demandes ? — Demain. » Et le messager alla trouver tous les parents et les amis du roi, pour les inviter à se rendre à la séance où Apollonius ferait ses demandes et serait honoré des bienfaits du roi. Damis nous dit qu'il avait d'abord supposé qu'Apollonius ne demanderait rien : car il connaissait son caractère, et il l'avait entendu adresser aux dieux cette prière : Faites, ô dieux ! que j'aie peu, et que je ne sente le besoin de rien.  » Mais, le voyant pensif et comme absorbé en lui-même, Damis se dit qu'il ferait quelque demande, et qu'il y réfléchissait. Quand le soir fut venu, Apollonius lui dit : « Damis, je suis à me demander comment il se fait que les Barbares croient à la chasteté des eunuques et les admettent dans les appartements des femmes. — Mais, Apollonius, un enfant en verrait la raison : l'opération qui leur a été faite leur a enlevé le principe des désirs amoureux, et voilà pourquoi on peut leur ouvrir les appartements des femmes, et même, pour peu que la fantaisie leur en prenne, les admettre dans leur lit. — Que leur a-t-on retranché, selon vous? la faculté d'aimer, ou celle de connaître les femmes? — Les deux. Car si l'on retranchait à tout le monde cette partie qui allume le feu de l'amour, personne ne songerait à aimer. — Demain, reprit Apollonius, après un moment de silence, vous apprendrez que les eunuques sont aussi capables d'aimer, et que les désirs, qui entrent dans le cœur par la vue, ne sont nullement éteints en eux, mais que le foyer en reste toujours chaud et brûlant, car il doit arriver quelque chose qui prouvera que votre raisonnement n'est pas bon. D'ailleurs, quand les hommes connaîtraient un art assez puissant, assez souverain pour extirper de l'esprit toute concupiscence, ce ne serait pas une raison pour mettre les eunuques au nombre des personnes chastes : car, en supposant qu'ils le soient, ce n’est que par force et par impuissance d’aimer. Qu’est-ce donc que la chasteté, si ce n’est la résistance aux désirs et à l’emportement des sens, si ce n’est l’abstinence volontaire et la victoire remportée sur cette sorte de rage qu’on appelle la passion ? — Nous reviendrons sur ce sujet, dit Damis ; mais que répondrez-vous demain aux offres brillantes du roi ? Il serait temps d’y penser. Peut-être ne demanderez-vous rien ; mais prenez garde qu’il ne paraisse y avoir quelque orgueil à refuser les bienfaits du roi ; songez que vous êtes à Babylone, et que nous sommes entre les mains du roi. N’allez pas encourir le reproche de mépriser le roi. Songez que, si nous avons assez de ressources pour aller jusque dans l’Inde, nous n’en avons pas assez pour le retour, et que nous n’aurons guère de moyen de nous en procurer. » C’est ainsi que Damis mettait toute son adresse à engager Apollonius à ne pas refuser les faveurs qui lui étaient offertes.

XXXV. Apollonius répondit à Damis en feignant d’abord de lui fournir des arguments : « Vous oubliez de me citer des exemples. Ne pourriez-vous pas me dire qu’Eschine, fils de Lysanias, vint en Sicile attiré par les richesses de Denys ? Que l’or de Sicile détermina Platon à braver trois fois Charybde ? Qu’Aristippe de Cyrène, Hélicon de Cyzique et Phyton, exilé de Rhégium, se plongèrent si bien dans les trésors de Denys que c’est à peine s’ils s’en purent tirer ? Et Eudoxe de Cnide, lorsqu’il alla en Égypte, n’avoua-t-il pas qu’il n’avait pas eu d’autre motif que l’argent pour faire ce voyage, et ne fit-il pas marché avec le roi ? Sans relever un plus grand nombre de ces petites faiblesses, ne dit-on pas que l’Athénien Speusippe avait à un tel point la passion de l’or, qu’il alla en Macédoine, aux noces de Cassandre, et qu’il y récita en public, moyennant salaire, quelques froides pièces de vers composées pour cette circonstance ? Voulez-vous que je vous le dise, Damis ? Le sage est exposé à de plus grands périls que ceux qui vont sur mer ou à la guerre. L’envie s’attache à lui, qu’il se taise ou qu’il parle, qu’il se roidisse ou se relâche, qu’il néglige une chose ou qu’il la recherche, qu’il aborde quelqu’un ou qu’il passe sans l’aborder. Le sage doit être cuirassé contre l’amour de l’or ; il doit songer que, s’il se laisse vaincre par la paresse, par la colère, par l’amour, par le vin, s’il cède à quelque autre folie du moment, on lui pardonnera peut-être encore ; mais que s’il est esclave de l’or, il n’y a pas pour lui de pardon à espérer ; il devient odieux à tout le monde, comme un homme chargé de tous les vices : on se demande en effet pourquoi il se laisserait dominer par l’amour de l’or, s’il ne s’était laissé dominer par le goût de la bonne chère, de la toilette, du vin et des femmes. Peut-être vous imaginez-vous qu’une faute commise à Babylone tire moins à conséquence qu’une faute commise à Athènes, à Olympie ou à Delphes. Vous ne savez donc pas que pour le sage la Grèce est partout ; que pour lui il n’y a pas de pays désert ni barbare, parce qu’il vit sous les regards de la Vertu, et que, s’il porte ses yeux sur un petit nombre d’hommes, des milliers d’yeux sont fixés sur lui ? Je suppose, Damis, que vous soyez dans la compagnie de quelque athlète, qui s’exerce soit à la lutte, soit au pancrace. S’il avait à combattre à Olympie, ou s’était transporté en Arcadie, vous lui diriez de se conduire en homme de cœur ; si les jeux Néméens ou les jeux Pythiques, allaient s’ouvrir, ces jeux les plus illustres et les plus estimés des jeux de ceux de toute la Grèce, vous l’engageriez à se bien préparer à entrer en lice ; mais, je vous le demande, si Philippe célébrait ses jeux Olympiques à l’occasion de la prise de quelques villes, ou si son fils Alexandre instituait quelque jeux gymniques après une de ses victoires, conseilleriez-vous à votre ami de ne pas se préparer à disputer le prix et de dédaigner ce prix parce qu’il devrait être décerné à Olynthe, en Macédoine, ou en Égypte, et non chez les Grecs et dans leurs stades ? » Damis nous dit que ces discours le firent rougir des conseils qu’il avait donnés à Apollonius, et qu’il lui demanda pardon de ses conseils, dont l’idée ne lui était venue que parce qu’il ne connaissait pas encore bien son maître. Allons, du courage ! reprit Apollonius. Ce que j’ai dit n’est pas pour vous faire un reproche, mais pour vous donner une idée de mon caractère. »

XXXVI. Le jour suivant, l’eunuque vint dire à Apollonius que le roi le faisait appeler. J’irai, dit-il, quand j’aurai terminé ce que je dois aux dieux. » Lorsqu’il eut achevé son sacrifice et ses prières, il partit, et sur son chemin il fut, par son extérieur, l’objet de la curiosité et de l’admiration générale. Dès qu’il fut entré, le roi lui dit : « Je vous accorde dix grâces, comme à un homme supérieur à tous ceux qui nous sont venus de Grèce. — Je n’en demanderai qu’une, répondit Apollonius, mais celle-là, je l’estime plus que mille autres, et je la demanderai avec instance. » Puis il se mit à raconter l’histoire des Érétriens depuis Datis. Je demande que ces malheureux ne soient pas inquiétés sur les limites de leur colline, mais qu’ils puissent en paix habiter le morceau de terre que leur a donné Darius : il serait trop cruel qu’après avoir été privés de leur territoire ils ne pussent même pas posséder celui qu’on leur a donné en échange. — J’y consens, dit le roi. Jusqu’à hier, les Erétriens étaient les ennemis de mes pères et les miens, ils nous avaient attaqués, et ils ne recevaient aucune protection, pour que leur race s’éteignît. Désormais je les compterai au nombre de mes amis, et je leur donnerai, pour régler les affaires de leur pays, un satrape que je choisirai parmi mes meilleurs serviteurs. Mais pourquoi ne voulez-vous pas accepter les neuf autres grâces ? — Ô roi ! c’est parce que je ne me suis pas encore fait d’amis dans ce pays. — Et vous, est-ce que vous êtes au-dessus de tout besoin ? —Oh ! non, j’ai besoin de fruits et de pain pour me régaler et festiner selon mes goûts. »

XXXVII. Comme il parlait ainsi, le palais retentit de cris poussés par les eunuques et les femmes. On venait de surprendre un eunuque en flagrant délit avec une des concubines du roi, et les gardiens de l’appartement des femmes le traînaient par les cheveux, comme c’était l’usage pour les esclaves du roi. Le plus ancien des eunuques déclara que depuis longtemps il s’était aperçu de l’amour du coupable pour cette femme ; qu’il lui avait défendu de lui parler, de lui toucher le cou ou la main, et de la soigner à l’exclusion des autres, et qu’il venait de le surprendre avec elle et consommant son crime. Apollonius jeta un coup d’œil à Damis, comme pour lui dire : « N’avais-je pas raison de prétendre que les eunuques sont capables d’amour ? » Alors le roi dit à ceux qui l’entouraient : « Il ne conviendrait pas qu’en présence d’Apollonius nous nous fissions juges en matière de tempérance : il est meilleur juge que nous. Dites-nous, Apollonius, quel châtiment mérite cet homme. — Et quel autre peut-il mériter que de vivre ? » Cette réponse surprit tout le monde. Le roi rougit : « Eh quoi ! s’écrie-t-il, vous ne croyez pas digne de mille morts celui qui a ainsi osé souiller mon lit ? — Aussi n’ai-je pas le dessein de lui pardonner, mais de le punir, et de la manière qui lui sera le plus sensible. Laissez-le vivre malade et impuissant à satisfaire ses désirs ; certes, il ne trouvera de plaisir ni dans les repas ni dans les spectacles qui feront votre joie et celle de vos amis : mais souvent, pendant son sommeil, il se réveillera en sursaut avec des battements de cœur, comme il arrive, dit-on, à ceux qui aiment. Et quelle souffrance pourrait le consumer aussi misérablement ? quelle faim pourrait ainsi lui déchirer les entrailles ? Il faudra qu’il aime bien la vie, ô roi ! pour ne pas vous prier d’abréger ses jours, ou pour ne pas se donner la mort, en déplorant de n’avoir pas été assez heureux pour mourir aujourd’hui. » C’est ainsi qu’Apollonius sut, dans son avis, allier la douceur à la prudence. Le roi suivit cet avis, et fit grâce de la mort à l’eunuque.

XXXVIII. Un jour que le roi devait aller à la chasse dans un de ces parcs où les Barbares renferment des lions, des ours et des panthères, il invita Apollonius à chasser avec lui. « Vous avez oublié, ô roi ! lui répondit Apollonius, que je n’assiste pas même à vos sacrifices. D’ailleurs, je ne vois pas l’agrément qu’il y a à s’attaquer à des bêtes maltraitées et tenues en esclavage contrairement à leur nature. » Une autre fois le roi lui demanda le moyen d’affermir et d’assurer son pouvoir : « C’est, répondit-il, d’honorer beaucoup de vos serviteurs, et de n’avoir confiance qu’en un petit nombre. » Le gouverneur de Syrie avait envoyé au roi une ambassade au sujet de deux ou trois villages près du Pont de l’Euphrate ; il disait que ces villages avaient été autrefois sous la domination d’Antiochus et de Séleucus ; qu’ils étaient en ce moment soumis au roi, bien qu’appartenant aux Romains ; qu’ils n’avaient rien à souffrir des Arméniens ni des Arabes, mais que le roi, dépassant les limites de son vaste royaume, en tirait un revenu comme s’ils étaient à lui et non aux Romains. Le roi fit retirer les députés et dit à Apollonius : « Ces villages, les rois dont les noms viennent d’être prononcés les ont cédés à mes ancêtres pour l’entretien des bêtes sauvages que nous prenons et que nous envoyons au-delà de l’Euphrate ; mais les Romains font semblant de l’avoir oublié et veulent changer d’une manière injuste ce qui était établi. Que pensez-vous de cette ambassade ? — J’y trouve, répondit Apollonius, de la modération et de la justice, puisque, pouvant même malgré vous garder des villages qui sont dans leurs États, ils aiment mieux les tenir de votre consentement. » Il ajouta qu’il ne fallait pas, pour des villages moins considérables que d’autres, qui appartiennent à de simples particuliers, entreprendre la guerre contre les Romains ; il faudrait au contraire l’éviter, même pour de plus grands objets. » Le roi étant tombé malade, Apollonius lui parla de l’âme si souvent et d’une manière si divine, que le roi s’en trouva tout réconforté, et dit à ceux qui l’entouraient : « Apollonius m’a enseigné à ne tenir ni au trône, ni même à la vie. »

XXXIX. Le roi montrait un jour à Apollonius la galerie souterraine de l’Euphrate, et lui demandait : « Que pensez-vous de cette merveille ? » Apollonius, pour réprimer le faste de ces paroles, lui dit : « La vraie merveille, ô roi ! ce serait si vous pouviez traverser à pied un fleuve aussi profond et aussi peu guéable que celui-ci. » Et, comme le roi lui montrait les murailles d’Ecbatane et disait : « C’est une demeure de dieux. — De dieux, je le nie, répondit Apollonius ; d’hommes, je ne le crois pas : les Lacédémoniens, eux, n’ont pas de muraille à leur ville. » Une autre fois le roi avait vidé un procès qui intéressait plusieurs villages, et se vantait auprès d’Apollonius d’avoir tout terminé en deux jours. « Vous avez mis du temps, lui dit Apollonius, à voir ce qui était juste. » D’immenses sommes d’argent lui étant venues des pays soumis à son empire, il ouvrit ses trésors à Apollonius et les lui montra, essayant de faire naître en lui le désir de l’or ; mais Apollonius, sans s’étonner, lui dit : « Tout cela, ô roi ! pour vous ce sont des richesses, mais pour moi c’est de la paille. — Que dois-je faire, demanda le roi, pour en faire un bon usage ? —Les employer, car vous êtes roi. »

XL. Apollonius tint encore devant le roi plusieurs discours du même genre ; puis, le voyant disposé à suivre ses préceptes, et ayant tiré de ses entretiens avec les mages tout ce qu’il en pouvait attendre, il dit à Damis : « Allons, partons pour l’Inde. Les voyageurs qui abordaient chez les Lotophages{{lié}[35], après avoir goûté du lotos, oubliaient leur patrie : et nous, bien que cette terre ne produise rien de semblable, nous nous y arrêtons plus longtemps qu’il ne faut et qu’il n’est convenable. — Je suis tout à fait de votre avis, dit Damis ; mais j’attendais que le temps fixé par le présage de la lionne fût accompli. Or il ne l’est pas encore, car il n’y a qu’un an et quatre mois que nous sommes ici. Si nous partions maintenant, n’aurions-nous pas à nous en repentir ? — Soyez tranquille, le roi ne nous laissera pas partir avant que le huitième mois soit écoulé : vous voyez comme il est bon, comme il mériterait mieux que de régner sur des Barbares ! »

XLI. Lorsqu’enfin Apollonius eut pris la résolution de partir, et que le roi lui eût donné son congé, il se ressouvint qu’il avait différé les grâces royales jusqu’au jour où il aurait des amis, et il lui dit : « Ô le meilleur des rois ! je n’ai rien fait pour mon hôte, et je dois une récompense aux mages ; je vous prie d’acquitter envers eux la dette de ma reconnaissance : ce sont des hommes savants, et qui vous sont entièrement dévoués. » Le roi, transporté de joie, lui répondit : « Je vous les ferai voir demain, magnifiquement récompensés et capables d’inspirer l’envie. Mais, puisque vous n’avez besoin pour vous-même de rien de ce que je puis donner, souffrez que ces gens reçoivent de moi quelque argent et ce qu’ils pourront désirer. » En disant ces mots, il désignait Damis et les autres compagnons d’Apollonius ; mais ceux-ci refusèrent. Alors Apollonius : « Vous voyez, ô roi ! combien j’ai de mains, et comme elles se ressemblent toutes. — Au moins, dit le roi, acceptez un guide pour vous conduire et des chameaux pour vous porter : car le voyage est trop long pour que vous le puissiez faire à pied. — Cela, je l’accepte de votre bonté, ô roi ! car on dit que la route est trop difficile pour ceux qui n’ont pas de monture ; d’ailleurs le chameau est un animal très sobre et facile à nourrir, même quand le fourrage vient à manquer. Je crois qu’il faut aussi faire provision d’eau, et en porter dans des outres comme du vin. — Pendant trois jours l’eau vous manquera ; après cela vous trouverez en abondance des rivières et des sources. Vous suivrez le chemin du Caucase : le pays est bien pourvu de vivres, et les habitants nous regardent comme des amis. Mais, Apollonius, quel présent me rapporterez-vous de l’Inde ? —Un bien agréable ; car si je gagne quelque chose dans le commerce des sages indiens, vous me trouverez meilleur qu’aujourd’hui. » À cette dernière parole, le roi l’embrassa et lui dit : « Puissiez-vous en effet revenir, me rapportant un présent si précieux ! »

  1. Voyez Diogène de Laërte, VIII, i, 4, et les Vies de Pythagore par Porphyre et Jamblique. Pythagore vivait au vie siècle avant J.-C.
  2. Iliade, XVII, 59
  3. Empédocle est du ve siècle avant J.-C.
  4. « On appelle mages les prêtres et les devins chez les Perses, les Saces, les Mèdes et plusieurs autres peuples barbares. » (Lucien, Les hommes à longue vie, ch. 6.)
  5. Démocrite d’Abdère, philosophe du ve siècle avant J.-C.
  6. Anaxagore de Clazomène, philosophe du ve siècle avant J.-C, qui eut parmi ses auditeurs Périclès, Euripide et Socrate.
  7. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  8. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  9. Il est dit plus bas (III, 23-24 ; VI, 21) qu’avant d’être dans le corps d’un sage, l’âme d’Apollonius avait été dans celui d’un pilote. Ces deux traditions sont-elles contradictoires ou peuvent-elles s’accorder ? Nous ne savons. Qu’il nous suffise de les signaler toutes les deux.
  10. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  11. Il était surnommé l’Obscur ; l’exemple cité par Philostrate donne une idée de l’obscurité dont il aimait à envelopper ses pensées. Il vivait au ve siècle avant J.-C.
  12. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  13. Allusion aux célèbres entretiens de Platon dans l’Académie, d’Aristote dans le Lycée.
  14. Voyez la noie au ch. II.
  15. Cratès de Thèbes, philosophe cynique (IVe siècle avant J.-C).
  16. Voyez surtout les livres V, VI et VII, passim.
  17. Allusion à un vers d’Homère, dans lequel Ulysse se dit à lui-même : « Patience, mon cœur ! tu as supporté des maux bien plus cruels. » (Odyssée, XX, v. 18.)
  18. Le véritable Ladon est un fleuve d’Arcadie. On en cite encore d’autres du même nom, mais moins célèbres, en Élide et en Béolie. Le fleuve qui baignait Antioche se nommait l’Oronte.
  19. Il y a ici une allusion à Socrate. En plusieurs endroits il com-pare Socrate et Apollonius, toujours à l’avantage du dernier. (Voyez IV, 2 ; I, 2 ; VIII, 7 ; VII, 11.)
  20. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  21. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  22. Iliade, II, v. 307.
  23. La Cissie est le pays de Suse (Susiane). Eschyle (Perses, v. 17) et Strabon (liv. XV) parlent d’une ville du nom de Cissia, qui n’est peut-être pas autre que Suse.
  24. Hérodote (liv. IV, ch. 119), dit en effet que Datis et Artapherne envoyèrent à Suse (c’est-à-dire à Cissia), comme esclaves, tous les habitants d’Érétrie, l’une des principales villes de l’Eubée.
  25. Ce sophiste de Clazomène est un certain Scopélianus qui eut quelque célébrité dans le Ier siècle de l’ère chrétienne, et sur lequel Philostrate donne quelques détails dans ses Vies des sophistes (I, 21). À la fin du chapitre suivant, Philostrate donne un fragment de la lettre que lui écrivait Apollonius.
  26. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  27. Allusion à la bataille de Salamine.
  28. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  29. D’après des appréciations qui sont nécessairement approximatives, le plèlhre correspond à 31 mètres, le stade à un hectomètre et 85 mètres. (Voyez Alexandre, Dictionnaire grec-français, Tableaux des mesures de longueur, etc.)
  30. Sémiramis.
  31. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  32. Voyez les Éclaircissements historiques et critiques.
  33. C’est la Diane adorée à Perga, ville de Pamphylie.
  34. Allusion à un proverbe grec : À l’ongle on reconnaît le lion.
  35. Allusion à un épisode de l’Odyssée (liv. IX, v. 84 et suiv.)