Antiquités judaïques/Livre II/5

Œuvres complètes
Traduction par Julien Weill.
Ernest Leroux (1p. 115-117).

Chapitre IX.

1. Oppression des Israélites par les Égyptiens. — 2. Ordre de faire périr les nouveau-nés. — 3. Prédiction de Dieu à Amram. – 4. Naissance et exposition de Moïse. — 5. Moïse sauvé des eaux. — 6. Sa beauté ; son nom. — 7. Moïse enfant et le Pharaon.

1[1]. Comme les Egyptiens étaient voluptueux et nonchalants au travail et se laissaient dominer, en général, par tous les plaisirs et, en particulier, par l’appât du lucre, il advint qu’ils furent fort mal disposés pour les Hébreux, dont ils enviaient la prospérité. En effet, voyant que la race des Israélites était dans la fleur de son développement, que leurs vertus et leurs aptitudes naturelles au travail leur valaient déjà l’éclat de grandes richesses, ils se crurent menacés par cet accroissement. Les bienfaits dont ils étaient redevables à Joseph, après un si long temps, ils les avaient oubliés, et comme la royauté avait passé dans une autre dynastie, [2] ils faisaient subir de cruelles violences aux Israélites et imaginaient contre eux toute espèce de tourments. Ainsi, ils les astreignirent à diviser le fleuve en nombreux canaux, à bâtir des remparts pour les villes et des digues pour contenir les eaux du fleuve et les empêcher de rester stagnantes quand elles déborderaient ; bâtissant pyramides sur pyramides, ils épuisaient ceux de notre race en les assujettissant à toute sorte de nouveaux métiers et de fatigues. Ils demeurèrent quatre cents ans[3] dans ces souffrances ; les Égyptiens s’acharnaient à faire mourir à la peine les Israélites, et ceux-ci à paraître toujours au-dessus de leur tâche.

2. Pendant que leurs affaires en étaient là, un événement se produisit qui eut pour effet d’exciter davantage les Égyptiens à faire périr notre race. Un des hiérogrammates[4] — ces gens sont fort habiles à prédire exactement l’avenir — annonce au roi qu’il naîtra quelqu’un[5] en ce temps chez les Israélites, lequel abaissera la suprématie des Égyptiens, relèvera les Israélites, une fois parvenu à l’âge d’homme, surpassera tout le monde en vertu et s’acquerra une renommée éternelle. Le roi, effrayé, sur l’avis de ce personnage, ordonne de détruire tous les enfants mâles qui naîtraient chez les Israélites, on les précipitant dans le fleuve, et recommande aux sages-femmes des Égyptiens d’observer les douleurs de l’enfantement chez les femmes des Hébreux et de surveiller leurs accouchements. Il voulait, en effet, qu’elles fussent délivrées par des femmes qui, en qualité de compatriotes du roi, ne seraient pas tentées d’enfreindre sa volonté[6] ; ceux qui cependant dédaigneraient cet ordre, et oseraient sauver clandestinement leur progéniture, il enjoignait qu’on les fît périr avec elle. C’était un terrible malheur qui les menaçait ; non seulement ils étaient privés de leurs enfants, non seulement ces parents devaient prêter la main au meurtre de leurs rejetons, mais, de plus, la pensée que leur race allait s’éteindre par la disparition de ceux qui naîtraient et par leur propre fin leur présentait une image sinistre et désespérée. Ils étaient donc plongés dans cette affliction ; mais nul ne peut l’emporter sur la volonté divine, quelques ruses infinies qu’il emploie ; car cet enfant même qu’avait prédit le hiérogrammate s’élève en échappant à la surveillance du roi, et ses actions vont vérifier la prédiction qui le concerne. Les choses se passèrent de la façon suivante.

  1. Exode, I, 7.
  2. Ex., I, 8. Cf. pour tout le commencement de l’histoire de Moïse l’historien Artapanos, cité par Eusèbe, Praep. ev., IX, 18, 27.
  3. Ce chiffre, incompatible avec les données chronologiques du premier livre et celles que Josèphe présente plus loin, n’est qu’un chiffre rond, indiqué, d’ailleurs, par la Bible elle-même (Genèse, XV, 13).
  4. Nom des prêtres égyptiens qui interprétaient les Écritures.
  5. On trouve des légendes analogues dans Sanhédrin, 101 b. Rab Hama bar Hanina (Amora palestinien du IIIe siècle) dit que les mots « Ce sont là les eaux de Mériba » (Nombr., XX, 13) font allusion à la prédiction des astrologues égyptiens ; ceux-ci avaient annoncé que le sauveur des Hébreux devait périr par l’eau ; c’est pourquoi ils donnèrent à Pharaon l’avis de faire jeter les nouveau-nés dans le Nil ; ils ne savaient pas que l’eau dont il s’agissait était l’eau du rocher de Mériba.
  6. Josèphe corrige la Bible, d’après laquelle cet ordre est donné à des sages-femmes israélites (Exode, I, 15-21).