Anthologie japonaise ; poésies anciennes et modernes/Hyakou-nin-is-syou/Seul, une nuit

SEUL, UNE NUIT













Asibiki-no yama-dori-no o-no sidari o-no
Naga-naga-si yo-wo hitori ka-mo nem[1].



Longue comme les pennes abaissées du faisan des chaînes de montagnes, cette nuit, dormirai-je solitaire ?

Cette pièce, extraite du 拾遺集 Siû-ï-siû et composée par Kaki-no Moto-no hito-maro, est à peu près intraduisible. Je l’ai donnée seulement comme spécimen d’un genre que les poëtes japonais apprécient à un haut degré et qui consiste à présenter une succession de mots qui font image à leurs yeux et préparent l’esprit à l’idée fondamentale du distique, dont le second vers est la conclusion. L’expression asi-biki manque dans les dictionnaires de Gochkiewitch et de Hepburn. En revanche, les dictionnaires indigènes japonais fournissent des explications étendues à son égard.

Suivant le glossaire de la langue antique intitulé Syô-tsiu Ko-gon-teï, Asi-biki (阿志比紀) est un mot initial (冠辞 kamuri kotoba) qui se rattache aux montagnes.

Suivant le grand lexique intitulé Wa-kun-siwori, le mot Asi-biki est une locution de transition (枕詞 makura kotoba) qui se rattache à l’idée de « montagnes ». — Dans le Nihon Ki (Annales du Japon), on l’écrit 脚日木. — Suivant le Si-ki, on fait usage de ce mot parce que, dans les montagnes, on traîne le pied (en japonais asi). — Dans le Man-yô-siû, les expressions 足病 asi-no yamaï, 足痛 asi-no itami, etc., ont le même sens. — On a rapproché du même mot, asimiki, dans lequel asi correspond à sibi « abondant », d’où asibiki exprimerait l’idée que « les arbres sont abondants au pied des montagnes ». — Dans les temps postérieurs, asi-biki signifie simplement « montagne ». La pièce suivante, composée par Kwan-zin, en est la preuve :














Asibiki-no konata kanata-ni mitsi-va are-do
Myako-ye iza-to i’u hito-no naki.

Quoiqu’il y ait de tous côtés des chemins dans la montagne, il n’est personne qui dise : Allons à la capitale !


Ajoutons que l’expression asibiki est employée pour faire image et pour se rattacher au nom du faisan, parce que ce nom signifie littéralement « oiseau des montagnes ». Un nom d’oiseau qui ne rappellerait pas l’idée de « montagnes » ne pourrait s’associer avantageusement avec le mot asibiki, qui sert au poëte à peindre la longueur de la nuit que l’amant doit passer loin de sa bien-aimée.

  1. Hyakŭ-nin-is-syu, pièce iii ; Hito-yo gatari, vol. I, fo 26 ; Si-ka-zen-yô, p. 12.