Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Robert Caze

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 43-48).




ROBERT CAZE


1853-1886




Robert Caze naquit à Paris, en 1854, d’une famille originaire du Languedoc. À dix-sept ans il s’engagea et prit part aux deux sièges de Paris : soldat pendant le premier, il devint, durant le second, secrétaire du délégué des Relations extérieures de la Commune. Réfugié en Suisse après le mois de mai 1871, il y fit paraître ses premiers vers, Les Poèmes de la Chair (1873), puis Hymnes à la Vie (1875). De retour à Paris, il publia Ritournelles (1879) et les Poèmes rustiques (1880). Il trouvait encore le temps de collaborer activement à plusieurs journaux et d’écrire quatre romans. Robert Caze venait de donner aux intimes deux plaquettes de vers, Les Parfums (1885) et Les Mots (1886), ainsi qu’un cinquième roman, lorsqu’il mourut des suites d’un coup d’épée : c’était son quatrième duel, et chaque fois il avait été grièvement blessé. Méridional, il avait toute la fougue de sa race. Sa vie ?... Une lutte incessante. — Son talent ?... Celui d’un sincère artiste réellement épris de l’ldéal. Nul doute que les curieux de lettres rechercheront pieusement les rarissimes volumes qui forment son œuvre poétique et les placeront à côté de ceux des meilleurs poètes de sa génération.

Les vers de Robert Caze ont été édités à Paris chez Sagnier, puis à Delémont (Suisse) et de nouveau à Paris cher Sandoz et Fischbacher.

Rodolphe Darzens.




LES LITS




J’aime l’intérieur simple des paysans,
Le dressoir en noyer plein de vaisselle peinte,
La table sur laquelle on a mis une pinte
De cidre ou de vin frais qui date de deux ans.

À côté du portrait naïf des vieux parents,
Au mur est accroché le plâtre d’une sainte
Qui protège la ferme, et dont la tête est ceinte
D’une couronne en rieurs aux tons fort apparents.

Épinal a mis là ses candides images :
Le portrait d’un héros, la prière des Mages
Complètent l’ornement qu’on eut à peu de frais,

Et le soleil y vient, ne laissant qu’un coin sombre
Où repose un enfant souriant, rose et frais,
iuqucl une femme est assise dans l’ombre.


(Les Poèmes de la Chair)





DEVANT LA MER




J’ai souvent écouté ta musique, ô Wagner !
Et j’ai courbé le front devant ton fort génie,
Mais le rythme puissant de ta fauve harmonie
            Ne vaut pas le chant de la mer.


Vieil athlète pensif, fait de bronze et de fer,
Hugo, salut ! Salut à toi, maître, qui sèmes
L’amour profond de l’art en nous ; mais tes poèmes
            Ne sont pas si grands que la mer.

Peintres, vous avez pris le rose de la chair,
Le bleu du ciel, le noir des nuits, l’or des étoiles ;
Vous mêlez l’Idéal au Réel ; mais vos toiles
            N’ont pas les tons chauds de la mer.

Oh ! je veux m’imprégner de ton parfum amer,
Caresser longuement tes plantes, vertes tresses,
Et dormir dans ton lit à l’abri des tristesses,
            Fille superbe, blonde mer !


(Hymnes à la Vie)





SOUPER




Les gens de ferme sont à table,
Muets, ils sont venus s’asseoir.
La soupe, comme un encensoir,
Fume, tassée et délectable.

Ils ont tous une odeur d’étable :
Les plats luisent sur le dressoir.
Les gens de ferme sont à table,
Muets, ils sont venus s’asseoir.


Un loqueteux épouvantable
Ouvre la porte et dit : « Bonsoir !
— Du pain, le lard hors du saloir,
Manges, la ferme est charitable ! »
Les gens de ferme sont à table.


(Ritournelle)





INTÉRIEUR D’AUBERGE




Derrière le comptoir en bois,
La sommelière, fille rousse,
Chantonne, d’une voix très douce,
Un air allemand d’autrefois.

Un client mange des anchois,
Et dans son bock la bière mousse ;
Un autre, un gros pansu qui tousse,
Ingurgite un flacon d’Arbois ;

Un troisième monsieur jubile
À la lecture du journal.
L’estaminet est tout tranquille :

Ni propos crus, ni mots acerbes ;
On n’entend que l’eau d’un canal
Qui coule en bas, parmi les herbes.


(Poèmes rustiques)




SONNET-PRÉFACE




Dans un ancien meuble laqué,
Noir, rehaussé de filets d’or,
Je conservais plus d’un trésor
Subtilement alambiqué.

L’eau de roses de la Mosquée
Près du nard et du myrte odore ;
Cèdre et styrax : toute une flore
Artificielle et fabriquée.

Ce sont mes rubis, mes saphirs,
Plus reluisants que des soleils
Et plus légers que des zéphyrs.

Prodigue entre les richissimes,
Je donne aujourd’hui ces merveilles
À mes amis les plus intimes.


(Les Parfums)





LITANIE DES NOMS DE FEMMES




Indécis, quelques-uns ont le vague du rêve :
                    Laure, Édith, Geneviève.
Quelques-uns font hurler la dive poésie :
                    Gertrude, Anastasie.

Ceux-ci semblent des fleurs que la lumière baise :
                    Gabrielle, Thérèse.
Ceux-là sont des concerts riches en harmonie :
                    Florentine, Herminie.
D’autres sont les dompteurs de la chair trop rebelle
                    Éliane, Isabelle,
Et d’autres en la voix fondent avec délice :
                    Louise, Jeanne, Alice.
Mais le nom éternel, le beau nom que l’on prie,
                    C’est votre nom, Marie.
Semper excelsis sit tibi gloria,
                    Beata Maria !


(Les Mots)