Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Lucien Paté

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur*** 1842 à 1851 (p. 185-192).




LUCIEN PATÉ


1845




Lucien Paté est né à Chalon-sur-Saône le 6 mars 1845. Après s’être fait recevoir licencié en droit et licencié ès lettres, il publia divers poèmes intitulés : Lacrymæ rerum (1871), Mélodies intimes (1874), À Molière (1876), À Corneille (1876) ; puis, en 1879, il les réunit en un volume avec un grand nombre de poésies nouvelles. D’autres pièces de vers parurent ensuite isolément ou dans plusieurs Revues.

Parlant du recueil qui contient les principales œuvres du poète, M. Paul Stapfer s’exprime ainsi : « S’il fallait définir d’un mot M. Lucien Paté, je dirais qu’il est virgilien. J’appelle ainsi un poète qui voit la nature avec les yeux de l’âme et qui ne se contente pas de la peindre, mais qui la sent profondément. »

Entré dans l’administration des Beaux-Arts en 1873, M. Lucien Paté y exerce aujourd’hui les fonctions de secrétaire de la Commission des monuments historiques. Grâce à ses éminenies qualités littéraires, il apprécie avec autorité, dans le journal L’Illustration, les principales œuvres de nos auteurs contemporains.

Les poésies de M. Lucien Paté ont été publiées par M. G. Charpentier.

André Lemoyne.


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LE VIEUX PÊCHER




C’était le vieux pêcher, le grand arbre, l’aïeul
Aux bras ouverts, couvrant tout un mur à lui seul.
L’automne, à le charger de parures vermeilles,
À l’envi du printemps, épuisait ses corbeilles.
Tantôt c’étaient des fleurs à nourrir vingt ruchers,
Et mille essaims joyeux s’y voyaient attachés,
Et le mur, pour voiler son visage morose,
Semblait tenir ouvert un large éventail rose.
Tantôt c’étaient des fruits qu’on eût dit de velours,
Gonflés d’un divin suc et que l’œil jugeait lourds.
Pour mouler une coupe on en eût pris l’empreinte,
Et, dans un pur paros, Praxitèle, sans crainte,
Eût modelé sur eux le sein de ses Vénus.
On eût dit les appas innombrables et nus
De Cérès prenant vie un moment dans cet arbre ;
Puis ils avaient encor ce que n’a point le marbre,
Un frais duvet de pourpre avec de doux parfums.

Tels on vous admirait, pauvres rameaux défunts !
Mais pour tout ici-bas vient l’heure de la tombe :
Qu’on vive un siècle, un jour, homme, rose ou colombe,
Chacun tour à tour paye au destin son tribut ;
Nombreux sont les chemins, mais unique est le but,
Et devant le néant tous les êtres sont frères.

Moi, j’ai fait tristement les apprêts funéraires ;
J’ai pris en main la hache, ainsi qu’un fer sacré,
Et, redoublant mes coups sur ce corps vénéré,
J’ai couché le vieil arbre endormi dans l’allée,

Comme un ami dont l’âme ailleurs s’en est allée.
Puis, prêtre de Cybèle et pensif bûcheron,
Creusant l’antique sol tout à l’entour du tronc,
J’ai mis au jour surpris ses racines âgées,
Dans le terrain fertile avidement plongées.
Le fer a tranché tout.

Le fer a tranché tout. Quand viendra la saison
Où l’opaque brouillard rétrécit l’horizon ;
Quand, sous le noir manteau des grandes cheminées,
Les veilles par l’hiver nous seront ramenées ;
Un soir que les amis, cercle aimable et charmant,
Seront nombreux autour de mon feu de sarment,
Je jetterai dans l’âtre, où le vent monotone
Chantera sa chanson, triste écho de l’automne,
Le débris desséché du vieil arbre péri,
Et tous rappelleront son souvenir chéri,
Et, tendant les deux mains aux flammes odorantes,
Rediront sa beauté, ses pêches transparentes,
De loin, en approchant, les sentiers embaumés,
Et ses rameaux en fleurs, des abeilles aimés.


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MON ÂME




Au doux éclat de ton visage,
Comme au rayon du firmament,
Ma pauvre âme sur ton passage
S’était ouverte doucement.

Mais voilà que ta main distraite
A cueilli mon âme en rêvant,
Comme on cueille une pâquerette
Que l’on effeuille ensuite au vent.

Tes doigts ont meurtri son calice,
Pétale à pétale arraché,
Et tes yeux ont vu mon supplice
Sans que ton cœur en fût touché.

Et maintenant par toute plaine
Errent, sans parfum ni couleur,
Au gré mouvant de chaque haleine,
Les débris de mon âme en fleur.


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À LAMARTINE




Les voiles sont tombés : salut à ton image,
Lamartine ! La foule étreint ton piédestal,
Pour fêter de plus près, dans un plus tendre hommage,
Ton retour éternel à ton pays natal.

La tombe s’est ouverte, et la mort rend sa proie.
Parmi nous pour toujours te revoilà vivant.
Ton berceau s’illumine, et ta ville avec joie
Donne encore une fois le jour à son enfant.

Mais l’enfant cette fois n’est plus l’enfant fragile :
C’est l’homme au front superbe, au geste souverain,
Qui, laissant au tombeau sa dépouille d’argile,
Se lève tout à coup, fait de gloire et d’airain.

Plus de mort maintenant, plus de lente agonie.
Les partis se sont tus, et chacun à tes pieds,
Sur ce socle où d’en haut va planer ton génie,
Dépose le fardeau de ses inimitiés.


On eût rêvé pour toi que la guerre civile
T’eût fait périr debout, dans ta gloire immolé,
Tel que trois jours entiers t’a vu l’Hôtel-de-Ville,
Plus noble que d’Anglas et plus beau que Molé.

De ce peuple en fureur, qui brisait ses entraves,
Quand ta voix éloquente osait dompter les flots,
Certes, tu méritais la sainte mort des braves :
Le poète avait droit de finir en héros.

Si la mort fut rebelle, en est-ce à toi la faute ?
Eh ! qui plus fièrement a jamais survécu ?
Qui donc jamais chez soi rentra tête plus haute
Et prit plus simplement le chemin du vaincu ?

Rome eut-elle jamais de plus belles victimes ?
En fut-il de plus pure au pays de Platon ?
Fallait-il mettre encor dans tes mains magnanimes
Le poison d’Annibal ou le fer de Caton ?

Rendons grâce au destin qui sauva la patrie
D’un meurtre maternel et d’un crime odieux.
Mais toi, d’assez de coups ton âme fut meurtrie
Pour qu’il te fût permis d’en porter plainte aux dieux !

Avoir été le barde et l’enchanteur suprême,
Le grand consolateur, lui seul inconsolé,
La voix dont un écho, sur les lèvres qu’on aime,
Se trouve à nos soupirs incessamment mêlé ;

Avoir ouvert sa porte à toutes les misères ;
Avoir à tout venant prodigué son trésor,
Puis offert sa poitrine à tous les adversaires,
Sans pâlir ni compter plus ses jours que son or ;


Avoir été celui qu’on flatte et qu’on encense.
Le fier triomphateur, exempt de tout affront ;
Avoir eu, sans le sceptre, une toute-puissance,
Et, plus qu’un diadème, une auréole au front ;

Puis déchoir, puis tomber, puis n’être plus qu’une ombre ;
Voir ses chants immortels outragés par l’oubli ;
Traîner ses jours vieillis sous un ciel toujours sombre,
Pauvre et calomnié, frappé, mais non sali !

Ah ! nous fûmes ingrats, injustes, cruels même !
Ta plainte à se répandre eut trop de fois raison,
Et nous n’avons que trop mérité fanathème
Pour t’avoir fait trouver l’exil dans ta maison !

C’est que l’exil n’est pas seulement hors de France ;
Il est où sont les cœurs opprimés ou trahis ;
Il est où nulle main n’apaise une souffrance ;
Il est où l’on est seul, même dans son pays !

Eh bien ! dans ce martyre et cette solitude,
Le sort, qui si longtemps te bannit sous ton toit,
Le sort, qui t’accablait d’une atteinte si rude,
Eut, parmi ses rigueurs, une faveur pour toi.

Il t’épargna ce deuil, amer aux plus stoïques,
Et qui t’eût fait saigner tout le sang de ton cœur,
De voir, sous la moisson de ses morts héroïques,
Le sol français foulé par le pied d’un vainqueur.

Aujourd’hui que, le front sorti de nos décombres,
Nous relevons la tête à des soleils plus beaux,
Nous voulons rendre aussi le jour aux grandes Ombres,
Et nous faisons jaillir la clarté des tombeaux.


Pour en dorer nos cieux nous rallumons ta gloire
Dont l’éclat sort plus pur de ses voiles d’un jour,
Et pour l’éternité nous dressons ta mémoire
Dans son rayonnement de génie et d’amour !


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LA PLAINTE




J’ai dit aux bois toute ma peine,
Et les bois en ont soupiré ;
J’ai dit mon mal à la fontaine,
Et la fontaine en a pleuré ;

Je l’ai dit à l’oiseau qui chante,
Et l’oiseau tristement s’est tu ;
Je l’ai dit à l’étoile ardente,
Qui par un signe a répondu ;

Je l’ai dit à la fleur cachée
Dans l’herbe épaisse sous mes pieds ;
Je l’ai dit à la fleur penchée
Sur ma tête, dans les sentiers ;

Et vite elles ont sur ma plaie
Répandu, prises de pitié,
Fleurs du gazon ou de la haie,
Le parfum de leur amitié !

Ah ! lorsque toute la nature
Ainsi prend part à mes douleurs ;
Quand le vent qui passe et murmure
Sur son aile emporte mes pleurs,


Voudras-tu pas aussi m’entendre,
Réponds, toi qui les fais couler,
Et, plus douce alors et plus tendre,
Voudras-tu pas me consoler ?