Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Jules Truffier

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 116-119).




JULES TRUFFIER


1856




Jules Truffier, est né à Paris le 25 février 1856 ; le poète Léon Valade nous apprend en quel endroit :


Si tu n’es pas bourré de prose
Et de raison comme un greffier,
Tête d’un rayon bleu férue,
C’est pour être né dans la rue
De la lune, ô pâle Truffier !


Entré au Conservatoire en 1871, il obtint deux ans après le premier accessit de comédie et débuta à l’Odéon. En 1875 il passa à la Comédie française, dont il est actuellement sociétaire. — Poète léger qui s’adonne facilement au madrigal et aux concettis, il a publié trois volumes de Sous les Frises (1879), Trilles galants (1880), Dimanches et Fêtes (1886). De plus, il écrivit plusieurs pièces : Petit-Jean ; Saute, Marquis ; La Phèdre de Pradon. Il collabora avec André Gill (La Corde au cou), Léon Valade (Les Papillotes), Millanvoye (Le Dîner de Pierrot), etc., etc.

Les ouvrages de J. Truffier ont été édités par Tresse et Stock et par P. Ollendorff.

a. l.


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ARITHMÉTIQUE




Un et un font deux. La plaisante chose !
— Quand, seuls, à l’abri de tout importun,
Ma bouche se colle à ta lèvre rose :
                  Un et un font un !

Deux et deux font quatre. Oh ! la bonne histoire !
— Quand mes bras fermés, en leur cercle brun,
Tiennent prisonniers tes deux bras d’ivoire :
                  Deux et deux font un !

Deux et un font trois. Risible chimère !
— Scellant pour jamais notre amour commun,
Survienne un baby dont tu sois la mère :
                  Deux et un font un !





ANTITHÈSES MADRIGALESQUES




Pourquoi vos yeux que j’adore
Et dont l’éclat me conduit
Lancent-ils des feux d’aurore
Puisqu’ils sont couleur de nuit ?

Et, si peu qu’elle le touche,
Pourquoi mon front pâlissant
Blêmit-il sous votre bouche
Puisqu’elle est couleur de sang ?


Pourquoi, mi-hors du corsage,
Vos seins gonflés et polis
Font-ils rougir mon visage
Puisqu’ils sont couleur de lis ?

Et pourquoi votre âme, où sombre
L’espoir de mon amour pur,
Me fait-elle un destin sombre
Puisqu’elle est couleur d’azur ?





POUR UNE BRUNE




Enfants, quand nous avions, sans trop de barbarismes,
Épelé Cicéron, Quinte-Curce ou César,
Le maître, satisfait, nous lisait, au hasard,
Un conte oriental plein d’étranges lyrismes.

Nos esprits, allumés aux rayons de ses prismes,
Eussent fait bon marché des richesses d’un czar,
Pour aller, chevauchant le fabuleux lézard,
En plein bleu, par delà les monts, les mers, les isthmes...

Hélas ! nous remontions dans nos brumeux dortoirs,
Ne rêvant que princesse aux bras blancs, aux yeux noirs,
Pour laquelle on brûlait d’une ardeur sans seconde !...

— Or, en vous regardant, madame, je revois
Un portrait enivrant des reines de Golconde
Qui m’ont parlé d’amour pour la première fois.




LAIDEUR




Juin. — Le plein midi. Le soleil rutile
Dans un parc immense aux bleus horizons ;
Du chêne géant aux humbles gazons,
Tout fête, à l’envi, son éclat fertile.

Sur le socle blanc, d’un antique style,
La froide statue a ses pâmoisons ;
Les oiseaux entre eux mêlent leurs chansons,
Et les amoureux maint propos futile.

Cependant, tandis qu’en ce jour d’été
La nature est joie, amour et beauté,
À l’ombre que fait Vénus Aphrodite,

Un pauvre être tors, difforme, au milieu
Des fleurs, pleure, seul, sa laideur maudite.
Et fait de sa vie un reproche à Dieu !





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