Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Joséphin Soulary

Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeurtome 1, (1762 à 1817) (p. Illust.-394).



Joséphin Soulary

SOULARY





JOSÉPHIN SOULARY


1815




Joseph Marie, dit Joséphin Soulary, né à Lyon en 1815, est d’origine italienne. Ce furent ses aïeux, les Solari de Gênes, qui importèrent aux bords du Rhône l’industrie des velours brochés d’or et d’argent. Il fit ses études au séminaire de Montluel, d’où il passa au 48e régiment de ligne ; puis, en sortant du service militaire, fut employé à la préfecture du Rhône, où il devint plus tard chef de division.

« Nous n’avons pas affaire à un imitateur de Lamartine ou de Victor Hugo, dit Saint-René Taillandier ; rien ne le rattache non plus à l’école gauloise de Béranger, à l’école aristocratique d’Alfred de Vigny, à l’école humaine de Barbier ou de Brizeux. Le seul des maîtres chanteurs de nos jours avec lequel on puisse lui découvrir certaines affinités, c’est l’auteur de Rolla ; mais que de métamorphoses ils ont subies, ces emprunts involontaires !… Un sonnet ! oui, cette forme curieuse, bizarre, ce jouet charmant, mais qui n’est qu’un jouet, est le mode préféré, que dis-je ? le mode unique des inspirations de M. Soulary. Benvenuto de la rime, il cisèle ses petites coupes dans le bois ou dans la pierre avec une dextérité merveilleuse. Voulez-vous une larme de la rosée du matin dans la coque de noix de Titania ? Aimez-vous mieux une goutte de fine essence, le philtre de l’ivresse, le breuvage de l’oubli, ou bien un peu de ce poison que distillent les joies d’ici-bas ? Voici des aiguières de tout prix : celles-ci sont faites avec les pierres dures que taillent si patiemment les mosaïstes de Florence, celles-là sont de chêne ou d’érable. Voulez-vous des médaillons de jeunes filles, tout un musée de figures, de figurines, de silhouettes ? Le magasin de l’orfèvre esi richement pourvu. »

Ses œuvres se composent de trois volumes : Sonnets Humouristiques, Poèmes et Poésies, Les Jeux divins. A. Lemerre, éditeur.

A. L.
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LE SONNET




Je n’entrerai pas là, — dit la folle en riant, —
Je vais faire éclater ce corset de Procuste !
Puis elle enfle son sein, tord sa hanche robuste,
Et prête à contre-sens un bras luxuriant.

J’aime ces doux combats, et je suis patient.
Dans l’étroit vêtement qu’à sa taille j’ajuste,
Là, serrant un atour, ici le déliant,
J’ai fait passer enfin tête, épaules et buste.

Avec art maintenant dessinons sous ces plis
La forme bondissante et les contours polis.
Voyez ! la robe flotte, et la beauté s’accuse.

Est-elle bien ou mal en ces simples dehors ?
Rien de moins dans le cœur, rien de plus sur le corps,
Ainsi me plaît la femme, ainsi je veux la Muse.


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RÊVES AMBITIEUX




Si j’avais un arpent de sol, mont, val ou plaine,
Avec un filet d’eau, torrent, source ou ruisseau,
J’y planterais un arbre, olivier, saule ou frêne,
J’y bâtirais un toit, chaume, tuile ou roseau.


Sur mon arbre, un doux nid, gramen, duvet ou laine,
Retiendrait un chanteur, pinson, merle ou moineau.
Sous mon toit, un doux lit, hamac, natte ou berceau,
Retiendrait une enfant, blonde, brune ou châtaine.

Je ne veux qu’un arpent ; pour le mesurer mieux,
Je dirais à l’enfant la plus belle à mes yeux :
« Tiens-toi debout devant le soleil qui se lève ;

Aussi loin que ton ombre ira sur le gazon,
Aussi loin je m’en vais tracer mon horizon. »
— Tout bonheur que la main n’atteint pas n’est qu’un rêve.


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L’ANCOLlE




Mon cœur est enterré sous ce grand noisetier.
— C’était un soir d’hiver ; il gelait sur la plaine.
Ma chérie, au retour d’une course lointaine,
Se frayait dans la neige un douloureux sentier.

Le sommeil la prit là. Succombant à la peine,
Elle croisa ses mains sur son cœur, pour prier.
On la trouva couchée au pied du cendrier ;
Mais la mort avait bu, d’un trait, sa douce haleine.

Le printemps est venu. L’arbre a son habit vert ;
Une fauvette a fait son nid sous le couvert,
Et, juste où fut le corps, s’élève une ancolie.

Je voudrais la cueillir ; mais je n’ose, j’ai peur
Que l’âme de l’enfant, palpitante en la fleur,
De nouveau ne s’exhale avec mélancolie.



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Pour chaque enfant qui naît ici-bas, Dieu fait naître
Un petit fossoyeur expert en son métier,
Qui creuse incessamment sous les pieds de son maître
La place où l’homme un jour s’abime tout entier.

Connaissez-vous le vôtre ? Il est hideux peut-être,
Et vous tremblez de voir à l’œuvre l’ouvrier ;
Par un regard si doux le mien s’est fait connaître,
Qu’à sa merci mon cœur m’a livré sans quartier.

C’est un bel enfant rose et blanc ; sa lèvre est douce ;
De caresse en caresse à ma fosse il me pousse ;
On ne saurait aimer d’assassin plus charmant !

Espiègle, as-tu fini ? Dépêchons. L’heure approche.
Donne avec un baiser ton dernier coup de pioche,
Et dans ma tombe en fleurs pose-moi doucement !


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FLEURETTE




Japerçois le moineau venir
Jusqu’à mon seuil piquer la graine ;
La bise noire se déchaîne ;
La neige aux branches va tenir.


Un jour d’été, — quel souvenir ! —
Nous traversions tous deux la plaine,
Arrachant des fleurs à main pleine ;
Tu boudais ; et, pour te punir,

Je semai sur ta tête aimée
Toute une gerbe parfumée.
Il faisait si chaud, — souviens-toi ! —

Que, dans cette pluie étoilée,
Une fleurette d’aimez-moi
Sur ton front demeura collée.


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LA LAITIÈRE




La Jeanne, ma laitière, est une fille accorte ;
Dans sa lèvre jamais le rire n’est tari ;
Son œil est grand ouvert, son corset dru nourri,
Le contour a crevé l’étoffe, mais qu’importe ?

Je crois voir, le matin, lorsqu’elle ouvre ma porte,
Comme un tableau flamand de lumière pétri,
Tant les vertes senteurs du pacage fleuri
Circulent sur ses pas dans l’air frais qu’elle apporte.

Sa marche est un essor, sa voix une chanson.
Elle donne son cœur tout d’un trait, sans façon,
Comme un bouquet naïf aux rustiques mélanges.

Jeanne est ce fruit des bois, plein d’un suc abondant,
Dont les âpres tissus font jaillir sous la dent
Des parfums inconnus et des saveurs étranges.


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LES OISEAUX BLEUS




Comme un froment tombé du crible,
J’ai semé mon âme à tous vents,
Dans les ronces, les flots mouvants,
Sur les flancs du roc insensible.

Au logis il me faut rentrer.
Le maître dont l’humeur est prompte
Va vouloir qu’avec lui je compte,
Et je n’ai rien à lui montrer.

Qui voudra venir à mon aide
Et faire un miracle pour moi ?
On m’a tant dit qu’avec la foi
Le mal n’est jamais sans remède !

Vous êtes fée, ô blanche sœur !
Et chacun vous sait la puissance
De rendre au regret l’espérance,
À l’amertume la douceur.

Si vous vouliez, ô ma sœur blonde !
Tout aussitôt de votre sein
S’échapperait un bel essaim
D’oiseaux bleus volant à la ronde.

Fouillant ravin, creux et buisson,
De leurs yeux verts, de leurs becs roses,
Ils reprendraient à toutes choses
Les épaves de ma moisson.


Quelque fine perle peut-être,
Larme tombée en bon terrain,
Se trouverait mêlée au grain !
Qui serait content ? C’est le maître.

Il dirait : « Sois le bien reçu !
Car ta corbeille est plus que pleine :
Quelque vierge, en sa douce peine,
Y mit du poids à ton insu. »


ENVOI


Les oiseaux bleus sont vos pensées ;
Dès que vous leur donnez l’essor,
Elles s’en vont rechercher l’or
De mes croyances dispersées ;

Et je retrouve en un seul jour
Les biens perdus de ma jeunesse,
Mais accrus par votre largesse
D’un rayon du plus pur amour.


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CONFITEOR




À l’heure où la tête lassée
Fléchit au sommeil qui la prend,
Cruel qui contraint la pensée
À remonter son dur courant !


De quelque titre qu’on te nomme,
Toi qui viens pour me délier,
Retire-roi ! Tu n’es qu’un homme,
Et je veux tous les oublier.

Où je vais tu ne peux me suivre,
Laisse-moi donc en paix aller ;
Ce monde où tu dis qu’on va vivre,
Le connais-tu, pour m’en parler ?

Je pars sans plainte ni faiblesse,
Ainsi qu’un hôte maltraité
S’enfuit d’un logis dont l’hôtesse
Fait payer trop cher sa bonté.

Ai-je été contempteur impie
Du destin qui me fut offert ?
À ta voix qui me dit : « Expie ! »
Je puis répondre : « J’ai souffert ! »

Pour mon salut tu veux m’absoudre ?
Absous-moi donc d’avoir vécu !
Se repentir, c’est se résoudre
À confesser qu’on est vaincu.

Lutteur forcé de l’existence
Et lutteur toujours empêché,
Moi j’appelle « ma résistance »
Ce que tu nommes « mon péché. »

Quelle eau laverait, quel baptême
Effacerait ma volonté ?
Mon péché ?… Mais c’est tout moi-même
Dans le temps et l’éternité.



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