Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Hippolyte Buffenoir

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur*** 1842 à 1851 (p. 332-339).




HIPPOLYTE BUFFENOIR


1849




Hyppolyte-François Buffenoir, né à Vougeot (Côte-d’Or) en 1849, a débuté dans les lettres par un volume de vers ayant pour titre : Les premiers Baisers (1876). Il a publié ensuite successivement : Les Allures viriles (1880), La Vie ardente (1883), Cris d’Amour et d’Orgueil (1887), et à chacune de ces publications son tempérament poétique s’est affirmé avec une nouvelle force.

« Ce qui caractérise le talent de M. Buffenoir, dit un critique, cest un vif sentiment des beautés de la nature, une rare élégance dans le style, un don vraiment remarquable pour peindre les tendresses du cœur, les mélancolies et les tourments de la pensée, les plaisirs de l’esprit, en un mot la vie supérieure des âmes délicates et choisies. »

Suivant la trace des grands maîtres, ce poète chante la femme, les fleurs, les bois, les champs, la jeunesse et la liberté. L’idée de justice le hante. L’influence de Théocrite, d’Horace et de Lucrèce se fait sentir aussi chez lui, mais son originalité n’en est point atteinte, et il a bien sa note personnelle parmi les poètes contemporains.

En prose, M. Buffenoir a publié Les Drames de la place de Grève, roman ayant un cadre historique ; Robespierre, aperçus sur la Révolution ; Les bons Moments, récits et impressions ; Un Séjour à Palerme, notes sur la Sicile, ainsi que deux autres romans intitulés : Le Député Ronquerolle et Sœur Marie la Blanche.

Les œuvres poétiques de M. Buffenoir ont été éditées par Jouaust, Dentu et A. Lemerre.

A. L. LE SOLEIL ET L’HOMME

I


Ainsi donc, tout se meut, la terre et les planètes ;
Et le Soleil lui-même, Herschel l’a démontré,
S’avance incessamment dans l’éther azuré,
Comme on y voit parfois voyager les comètes.

La terre autour de lui tourne en se réchauffant :
Le voyant de si loin, notre regard débile
Le contemple, l’admire, et le croit immobile,
Tandis qu’au fond des deux il marche triomphant.

Il marche ! Il est poussé par la loi générale
Qui met en mouvement les mondes infinis,
Et par l’attraction les maintient réunis,
Sans qu’ils puissent quitter leur route sidérale.

Mais quel chemin parcourt, là-haut, l’astre géant
Qu’autrefois adorait l’humanité naissante ?
Quelle courbe décrit sa marche incandescente
Dont la clarté féconde a vaincu le néant?

Vers quel point lumineux et précis de l’espace,
Vers quel globe de feu se sent-il entraîné ?
À quelque autre soleil est-il subordonné,
Ou suit-il, un moment, une force qui passe ?

Herschel ne l’a pu dire, et d’autres après lui
Ont vainement cherché la loi de son orbite.
Il se meut, rien de plus ! Et la terre, petite,
Ne sait que tressaillir quand ses rayons ont lui !


II

Ô Soleil, n’es-tu point, en ta course inconnue,
Le symbole effrayant de nos tristes destins ?
— Quelle route est fixée à nos pas incertains,
Et quel but atteindra leur marche continue ?

Inquiets, nous allons dans l’immense univers,
Usant à son contact nos forces créatrices,
Esclaves des saisons, et soumis aux caprices
Des printemps enchantés et des mornes hivers.

Nous ignorons la loi qui pèse sur nos têtes,
Qui berce nos instincts et nos sensations,
Qui transforme nos jours en superbes conquêtes,
Ou fait d’eux un tissu de désillusions.

Ah ! nul Herschel encor n’a trouvé la formule
Des mouvements cachés dans le cœur des mortels,
Soit qu’ils viennent baiser le marbre des autels,
Et qu’une ardente foi les presse et les stimule;

Soit qu’ils restent debout, impassibles et froids,
Sans malédiction comme sans espérance;
Soit qu’enfin, se drapant dans leur indifférence,
Ils végètent obscurs sans devoirs et sans droits !

Où donc aboutiront nos ivresses si brèves ?
Vers quel astre éclatant s’envolent nos amours ?
— L’Idéal entrevu nous échappe toujours,
Et notre bien suprême est un amas de rêves !


Tu brilles, ô Soleil, de la même clarté
Qui frissonna longtemps à ta première aurore !
Tu ne décroîs jamais, et tes rayons encore
Ont de tes premiers feux la douce intensité.

Tu gardes sans faiblir l’éternelle jeunesse,
Et tu restes pour nous l’immuable flambeau,
Tandis que l’homme, hélas! avant même qu’il naisse,
Est voué par la mort à la nuit du tombeau !

(Cris d’Amour et d’Orgueil)

DEVANT UN VIEUX BRONZE

REPRESENTANT CÉSAR

I

Dans le musée où dort superbement l’Histoire,
Je reconnus de loin le masque de César,
Et je frémis soudain, comme si plein de gloire
Le héros, revenant de gagner la victoire,
Avait été vivant et debout sur son char.

Qui ne se sentirait l’âme bouleversée
Devant ce fier regard, ce visage guerrier,
Ces traits où l’énergie est noblement tracée,
Devant ce large front, abri de la pensée,
Ceint d’un double rameau de chêne et de laurier ?

Je contemplai longtemps cette tête puissante
Où domine l’orgueil des plans audacieux,
Où rayonne une ardeur fatale et menaçante,
Où se trahit enfin la force éblouissante
Du plus grand des Romains et des ambitieux.

J’admirais ce vieux bronze arraché de la terre,
Respecté par le temps et sauvé de l’oubli ;
Et, mon avide esprit revenant en arrière,
J’évoquais les splendeurs d’une vaste carrière,
Le tragique destin par César accompli.


II

Si le nom de cet homme excite notre envie,
S’il est bon quelquefois d’interroger sa vie,
C’est qu’il fut courageux et méprisa la mort,
C’est que sa volonté ne fut qu’un long effort
Pour dompter chaque jour la fortune rebelle
Et mériter sans cesse une palme nouvelle ;
C’est qu’il osait braver le sort aventureux,
C’est qu’il aimait la gloire, et c’est qu’il fut heureux.

Il ne se borna pas à planter son épée
Dans le cœur de la Gaule, à soumettre Pompée,
Le fils de Mithridate et d’autres généraux...
Un plus noble désir tourmentait le héros :
Il voulait que son nom, afin de lui survivre.
À la postérité fût légué par un livre,
cho de ses combats, où du moins l’avenir
Irait chercher toujours son ardent souvenir. É

Et c’est là sa grandeur, sa gloire la plus pure
C’est là le monument qui résiste et qui dure !
Tout le reste a sombré dans l’immense néant,
Comme un vaisseau perdu qu’engloutit l’Océan.

Tout s’est évanoui, ses légions fidèles,
Ses hardis vétérans prenant les citadelles,
Ses envieux cachés, ses esclaves soumis,
Ses courtisans joyeux, ses rivaux, ses amis.


III

L’œuvre du conquérant, ses hauts faits militaires
Dorment ensevelis sous les ombres du temps;
Mais la ronce funèbre et les pariétaires,
Ces fleurs de l’abandon, des dédains insulcants,
Ô César, n’atteindront jamais tes Commentaires!

Tu savais que la tombe épargne le penseur,
Et que le pâle oubli respecte son génie :
Aussi, lorsque Brutus, sanglant triomphateur,
À ses Dieux immola ta longue tyrannie,
Tu le considéras comme un libérateur.

Tu savais que la mort illumine l’empreinte
Dont l’écrivain de race a marqué son chemin,
Et qu’il devient plus grand sous sa rigide étreinte :
C’est pourquoi noblement dans le Sénat romain
Tu tombas et mourus sans murmure et sans plainte,

Et c’est pourquoi, de loin reconnaissant César
Dans le musée ou dort superbement l’Histoire,
Je frémis tout à coup, comme si plein de gloire
J’avais vu le héros revenant sur son char,
Couronné des lauriers d’une double victoire !

(Cris d’Amour et d’Orgueil) LA TOMBE D’UN OISEAU


Sous le vivant gazon du jardin embaumé,
A l’ombre d’un rosier, l’oiseau défunt repose ;
Et là, parmi les rieurs, son corps inanimé
Lentement se transforme et se métamorphose.

Hélas ! que deviens-tu, petit être charmant
Qui voltigeais hier dans la cage dorée,
Et, dès l’aube attentif, célébrais si gaîment
Le bienfaisant retour de l’aurore empourprée !

Affectueux ami, ta grâce va passer
Dans l’arbuste fécond et les plantes écloses ;
Ton âme va revivre et va s’éterniser
Dans la séduction et le parfum des roses !

Ton svelte souvenir et tes douces chansons
Nous séduiront demain sous des formes nouvelles ;
Tu vas t’épanouir au sein des verts gazons,
Et ton rosier funèbre aura des fleurs plus belles !

Quand l’orgueilleuse mort viendra glacer mon cœur,
Et forcera ma Muse à replier son aile,
Je voudrais, comme toi, petit oiseau fidèle,
Reposer au milieu d’un parterre enchanteur.

Mon être anéanti retrouverait la vie
Dans l’arôme subtil, dans l’ombrage tremblant,
Et sentirait encor la fraîche poésie
Des rameaux pleins de sève enlacés par le vent.

 
Amie, en attendant le terme du voyage,
Marchons à la clarté des plus beaux de nos jours,
Et laissons retentir dans l’écho du rivage
Le chant mélodieux des naïves amours !

(Cris d’Amour et d’Orgueil)


TENDRESSE

Quandd tu viendras rêver sur le banc solitaire,
Près du saule qui tremble au vent léger du soir
Sous le feuillage ému quand tu viendras t’asseoir,
Pense qu’il est quelqu’un qui t’aime sur la terre.

Que tes yeux, effleurant les nénuphars dorés,
Ne versent point de pleurs ; mais que la souvenance
De nos chers rendez-vous, par l’amour consacrés,
Chasse au loin l’amertume intime de l’absence.

Songe bien que je suis sous la ramure aussi,
Puisque en toi mon image est toujours si vivante,
Et que l’amour si pur, dont ton cœur est saisi,
Pour mes jours attristés s’alarme et s’épouvante.

Songe encore et surtout que j’ai pour toi vraiment
Une tendresse exquise, un complet dévouement,
Et que ton souvenir, autour de moi, sans cesse
Voltige, frais et doux, ainsi qu’une caresse.

(Allures viriles)