Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Hélène Vacaresco

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 436-442).




HÉLÈNE VACARESCO


1866




Mademoiselle Hélène Vacaresco est née à Bucharest, le 3 octobre 1866, d’une famille ancienne qui déjà, en plusieurs de ses membres, avait joint à ses autres illustrations la renommée des lettres et de la poésie. Soit par cette hérédité, soit par une grâce fortuite, Mlle  Vacaresco a reçu le don, et elle l’a manifesté de très bonne heure : son recueil de vers, intitulé bien à propos Chants d’Aurore, a paru en 1886, quand l’auteur atteignait à peine sa vingtième année. Née et élevée en Roumanie, trouvant des traditions littéraires dans sa famille, elle a préféré notre langue pour dire ses rêves : ce choix indique la proche influence du génie latin chez une roumaine, et aussi le prestige de notre littérature, que les poètes français lui sont reconnaissants d’avoir si bien senti. Venue d’un pays, lointain du moins par la distance, Mlle  Vacaresco n’est pas du tout étrangère aux formes que revêt notre poésie dans le moment actuel ; elle connaît et accepte toutes les exigences d’une prosodie qui ne fut jamais plus rigoureuse. Elle ne s’y soumet d’ailleurs que pour mettre mieux en relief une originalité déjà très vive. Qu’ils fassent résonner en français des chansons roumaines, écho d’une histoire tourmentée et guerrière, ou qu’ils peignent, avec des nuances douces et tendres, des tableaux d’intime bonheur, semblables à des pressentiments plutôt qu’à des souvenirs, les Chants d’Aurore sont pénétrés de la plus évidente qualité poétique, l’inspiration.

Ce volume a été édité par A. Lemerre.

Ch. de Pomairols.




LE PACHA


CHANSON MAHOMÉTANE




Je l’aime ! il a le sang des chrétiens sur sa dague.
Plus fier que l’ouragan qui flagelle la vague,
               Il rit dans le combat hagard ;
Il rit d’un rire amer qui tremble sur sa bouche,
Et l’éclair de ses yeux est cent fois plus farouche
               Que l’éclair bleu de son kandjar.

Je l’aime ! il est plus beau qu’un matin de bataille ;
Devant lui le ciel plane et la terre tressaille ;
               Les rubis aux rayons de feu
Ornent son yatagan si poli qu’une haleine
En ternirait l’éclat, et qu’on soulève à peine
               Dans le fourreau de velours bleu.

Pourtant tu ne sauras jamais que je t’adore,
Jeune pacha vainqueur qui revins à l’aurore
               Sur ton cheval aux fins naseaux ;
La forêt n’entend pas le murmure du seigle,
La mer n’écoute point gémir la source, et l’aigle
               Ne sait pas le chant des oiseaux.




Viens dans la plaine immense où la nuit va descendre,
La gloire du soleil se meurt au fond des cieux,
Les blés, que l’ombre emplit d’une rumeur plus tendre,
Sous les baisers du vent semblent onduler mieux.


Et moi, je souffre aussi bien plus ; la nuit sans doute
Vient assombrir le cœur déjà triste au matin.
Je suis à tes côtés, tu marches sur ma route,
Mais ton amour me semble impossible et lointain.

Et je rêve à ma tombe au sein des hautes herbes
Que le soir frôlera d’un rayon plus vermeil,
Tandis que tu viendras sous les couchants superbes
Par la plaine infinie où se meurt le soleil.





CHANSON ROUMAINE




LE maïs verdit parmi l’herbe verte.
Ma petite porte au vent s’est ouverte.

Elle s’ouvre au vent, ne la fermez pas.
Le maïs d’avril est éclos là-bas.

Lorsque le zéphyr l’ouvre en la nuit brune,
Ce n’est pas pour toi, doux œil de la lune.

Le vent au matin l’ouvre avec émoi.
Regard du soleil, ce n’est pas pour toi.

Ma porte en chantant s’ouvre d’elle-même
Sous les pas joyeux de celui que j’aime.

Ma petite porte ouvre son battant
Pour fêter celui que mon rêve attend.

Celui que je veux est hautain et tendre.
Ma porte en chantant s’ouvre pour l’attendre.


Et moi, pour emplir les soirs pleins d’ennui,
Je file à ma porte en rêvant de lui,

Car je poserai mon front sur sa bouche
Et ma main qui tremble en sa main farouche.

Il me contera l’horreur des combats.
La pierre du seuil souhaite son pas.

Il me chantera la terre conquise.
Son souffle léger est cher à la brise.

Il dira qu’il m’aime et je le croirai.
Le soleil puissant emplira le pré.

Le maïs verdit parmi l’herbe verte.
Ma petite porte au vent s’est ouverte.

Elle s’ouvre au vent, ne la fermez pas.
Le maïs d’avril est éclos là-bas.





AURORE




Je disais : Viens avant que le soleil ne vienne.
La chaleur de ta main est plus douce à la mienne
Qu’aux oiseaux le printemps, aux abeilles le miel.
Tu disais : N’est-ce pas qu’il est bon d’être ensemble
Sous la branche du saule ou la feuille du tremble,
               À l’heure où l’aube rit au ciel,

Où rien ne voit encor, mais où tout semble attendre
Le fiancé, l’élu, le dieu superbe et tendre,
               Le rayonnant vainqueur
Qui séduit la nature et l’arrache à ses rêves,
Fait germer les bourgeons et bouillonner les rêves
               Et tressaillir ton jeune cœur.

Pour nous le crépuscule exquis et déjà rose,
La fraîcheur des forêts qui charme et qui repose,
Les nuages laiteux frangés d’un or vermeil,
Disparaissaient devant i’amour heureux d’éclore.
Je disais : Près de toi que m’importe l’aurore ?
Tu disais : Près de toi que me fait le soleil ?
Car l’amour a cela de sublime et d’immense,
Que tout s’abîme en lui, que tout en lui commence.
Tout ce que peut donner l’univers radieux,
Tout ce qui chante et rit, et murmure et rayonne,
Ne vaut pas ton regard doux comme un soir d’automne,
Et le ciel s’embellit du regard de tes yeux.

Ami, je crois nous voir passer sous la feuillée,
À l’aube, au fond des bois, par la route mouillée,
Gais éveilleurs de nids et frôleurs de roseaux ;
Je crois m’entendre encor te dire que je t’aime,
Avant que le soleil ne le sache, avant même
               Que ne le disent les oiseaux !





SONNET




Sous l’ogive gothique ou le jour entre à peine
Par les vitraux bleuis qu’irise le carmin,
Le moine fait gémir sur l’or du parchemin
Le supplice d’un Dieu qui vers la croix se traîne.


Les mains jointes, en pleurs, Marie et Madeleine
Parmi les fleurs d’argent suivent l’Agneau divin,
Et le ciel semble encor plus doux et plus prochain
À l’ascète courbé sur l’œuvre surhumaine.

Là-bas dans les vallons où neige le printemps,
Les amoureux s’en vont par les chemins tentants,
Croyant sur eux aussi que le ciel s’ouvre et chante.

L’homme vêtu de bure et la sandale au pié
Voie le démon railleur se tordre foudroyé,
Parmi les floraisons que trace sa main lente.





CHANT GUERRIER




Lorsqu’on a bien joué du sabre et de la lance,
Lorsque la voix d’airain des clairons a chanté,
Avec le geste fier du vainqueur qui s’élance
Il est beau de mourir dans sa virilité,

Tomber raide, les yeux pleins d’un éclair farouche,
Parmi les forts, parmi les braves, tout puissant,
Et les bras étendus et le rire à la bouche,
Dans le val inondé de soleil et de sang.

Baisé par les rayons, frôlé de l’herbe haute,
Après la lutte, après l’hymne altier des combats
Et le piétinement des chevaux, côte à côte
Avec mes frères morts je veux dormir là-bas.


Mon épouse filant sur le seuil de la porte
Rêvera de revoir au détour des sentiers
Revenir le galop du cheval qui m’emporte
Sous la floraison blanche et frêle des pruniers.

Mais lorsqu’on a joué du sabre et de la lance,
Lorsque la voix d’airain des clairons a chanté,
Avec le geste lier du vainqueur qui s’élance
Il est beau de mourir dans sa virilité.