Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Georges Nardin

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 112-115).




GEORGES NARDIN


1856




Georges Nardin, né à Bercy en 1856, a publié diverses études ou critiques d’art et des articles à la Revue Contemporaine. Il s’est fait connaître dans le monde poétique par un recueil de vers, Les Horizons bleus (1880), volume plein de promesses, où nous avons particulièrement remarqué Les Digitales et Les Violettes, strophes de jeunesse d’un sentiment pur et d’une heureuse allu

Les poésies de M. Georges Nardin ont été éditées par G. Charpentier.

a. l.


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LES DIGlTALES




Les genêts d’or étaient en fleurs
Et les cerises étaient mûres ;
L’églantine aux frêles couleurs
Brillait dans les buissons de mûres ;
L’air était plein d’enchantements,
Et sous les brises matinales,
Secouant de purs diamants,
Se balançaient les digitales.


Les oiseaux étaient éveillés :
On les entendait par centaines,
Dans les taillis ensoleillés
Où les voix claires des fontaines
Mêlaient leurs babils continus...
Jeanne, à mon bras, par intervalles,
Cueillait entre ses doigts menus
Les clochettes des digitales.

Son chapeau de paille voilait
D’ombre son gracieux visage ;
Sa gorge était comme du lait ;
Et la toile de son corsage
Se soulevant d’un tendre émoi,
Malgré ses craintes virginales,
Nous nous sommes aimés, ma foi !
Parmi les hautes digitales.

... Ces jours étaient déjà lointains :
Dans le vallon, sur les collines,
Le gris hiver, soirs et matins,
Étendait ses froides bruines ;
Dans les bois, plus d’oiseaux chantants ;
La neige volait en rafales...
Hélas ! ce n’était plus le temps
Où fleurissaient les digitales !

Que de tristesses dans les cieux !...
Ma compagne, aux caresses franches,
Pour jamais a clos ses beaux yeux,
Doux et fleuris comme pervenches...

Il ne bat plus, son cœur aimant...
Dieu ! que ses lèvres étaient pâles !...
La mort m’a pris ce corps charmant,
Svelte ainsi que les digitales.

Depuis, que me font les beaux jours,
Les voix des sources bruissantes,
Et les prunelles de velours,
Et les paroles caressantes ?
J’irai toujours désespéré,
Subissant les douleurs fatales...
Jusqu’à l’heure où, las, je boirai
Le suc mortel des digitales !


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LES VIOLETTES





Je t’apporte des violettes.
Accepte-les comme autrefois,
Quand nous les cueillions dans les bois,
Si fraîches sous leurs gouttelettes.
Mignonne, ainsi qu’au premier jour
De notre inaltérable amour,
Je t’apporte des violettes.

Elles ornaient ta gorge pleine,
Tes seins en étaient embaumés,
Et quand nous nous étions aimés,
Leur suave et troublante haleine,
Qui ravissait encor nos sens,
Montait, comme un mystique encens,
Du milieu de ta gorge pleine.


Les violettes me sont chères :
Ce sont elles qui m’ont appris
Que, tous deux, nous étions épris,
À ton émoi des plus sincères
Quand tu les reçus de ma main.
Plus que la rose et le jasmin,
Les violettes nous sont chères.

Et ce sont tes fleurs préférées :
Te souvient-il ? tu les glanais
Dans la mousse, au pied des genêts ;
Par les rougeoyantes vesprées,
Quand je te serrais sur mon cœur,
Tes baisers avaient leur senteur ;
Car ce sont tes fleurs préférées.

Si je te survis, bien-aimée,
En pleurant sur toi comme un fou,
Je planterai dans la terre où
Tu dormiras inanimée,
Des violettes : leur parfum
Semblera, sur ton corps défunt,
Ton âme exquise, ô bien-aimée !





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