Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Frédéric Bataille

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur*** 1842 à 1851 (p. 362-367).




FRÉDÉRIC BATAILLE


1850




Frédéric bataille, né à Mandeure (Doubs) le 17 juillet 1850 a exercé dans ce département, de 1870 à 1884 les modestes fonctions d’instituteur de village. Il est aujourd’hui professeur au lycée Michelet. Collaborateur de divers journaux et Revues de province et de Paris, il a publié plusieurs volumes de poésies : Premières Rimes (1875), Une Lyre (1883), Le Clavier d’Or, recueil de sonnets (1884), La Veille du Péché (1886), Le vieux Miroir, recueil de fables (1887).

M. Bataille est à la fois un penseur et un moraliste. La plupart de ses productions sont inspirées par le culte du beau et du juste, et elles attestent, sous une forme précise et harmonieuse, son aversion pour la bassesse et la lâcheté ainsi que son profond amour pour les âmes nobles et patriotiques.

Les œuvres de M. Bataille ont été éditées par MM. Sandoz et Fischbacher et par A. Lemerre.

A. L.

VESPERA



Comme un manteau de deuil semé d’abeilles d’or,
L’ombre calme descend des collines prochaines.
Les ailes des ramiers, closes sur les vieux chênes,
Frissonnent dans le vent apaisé qui s’endort.


On entend expirer les derniers sons du cor :
Tel un soupir d’adieu dans les brumes lointaines.
De la mousse discrète où chantent les fontaines,
Mystérieusement monte un tremblant accord.

Des parfums pénétrants de rose et d’herbes mûres
Glissent dans les gazons et les vertes ramures ;
Et tandis que ta voix, comme un hymne des cieux,

Transporte ma pensée au paradis des songes,
Je regarde, charmé par tes divins mensonges,
L’étoile de Famour se lever dans tes yeux.

(Le Clavier d’Or)


LES CHÊNES

Les chênes vigoureux plantés au haut des cimes
Étendent leurs bras forts au-dessus des chemins
Où passent les espoirs et les regrets humains,
Entre les cieux profonds et les profonds abîmes.

Redressés sous l’effort des aquilons divins,
Leurs fronts majestueux ont des gestes sublimes,
Et leurs pieds, qu’ont rongés mille ans les vers infimes,
Vont aspirer la sève éternelle aux ravins.

Leur frondaison abrite un monde d’harmonies,
Et, pareille à la lyre énorme des génies,
Vibre en puissants accords dans les airs radieux.


Ô chênes, vieux géants des forêts vénérables,
La foudre et le temps seuls vous savent vulnérables,
Et votre mort ressemble à la chute des Dieux!

(Le Clavier d’Or)


LE MOIS DE MAI

Les fleurs, suaves cassolettes,
Frissonnent dans l’air embaumé ;
Les prés ravis font leurs toilettes
Pour recevoir le mois de Mai.

Ce joli prince à toque verte
Accourt aux souffles printaniers,
La perruque en touffe, couverte
De la neige des églantiers.

Dès qu’il paraît sur la colline,
Suivi d’un vol de papillons,
La belle Nature s’incline
Dans un sourire de rayons.

Le matin, avec l’alouette,
Il se promène à travers champs ;
Sur ses pas fleuris, le poète
Prélude à ses plus tendres chants.

Ses yeux bleus s’ouvrent en pervenches
Au bord ombreux des frais sentiers,
Et voient passer parmi les branches
L’hymen roucoulant des ramiers.


Il a pris pour pendants d’oreilles
Les clochetons blancs du muguet ;
Ses pendeloques nonpareilles
Sont des troènes en bouquet.

Avec sa couronne de roses,
Il va dans les buissons charmants
Surprendre les divines choses
Que se répètent les amants.

Ainsi qu’un sceptre de jeunesse,
Il tient un rameau d’aubépin,
Et semble cacher la tristesse
Des calices sans lendemain.

Sous sa tunique de charmille,
Ainsi qu’une étoile d’argent,
La stellaire chaste scintille
Dans la paix douce du couchant.

Quand il rôde, contant fleurettes
Aux jouvencelles des chemins,
Une chaîne de pâquerettes
Pend à chacune de ses mains.

La brise tiède lui secoue
Au nez des grappes de lilas,
Et, douce, autour des flancs lui noue
Le chèvrefeuille en falbalas.

Il a commandé pour ses fêtes
L’orchestre inspiré des grands bois;
Pattis des buissons, les fauvettes
Ont salué ses jeux sournois.


Les merles avec les linottes
Improvisent pour lui des chœurs
Tout vibrants d’amoureuses notes,
Chaudes comme leurs petits coeurs.

Le pinson lui siffle une aubade
Sur le pommier de mon jardin,
Le rossignol sa sérénade
Sur le vieux chêne au front hautain.

Des essaims bourdonnants d’abeilles
Viennent, comme des échansons,
Lui verser les gouttes vermeilles
Du miel, au rythme des chansons.

Assis sur un divan de mousses
Tout constellé de boutons d’or,
Le soir, au long des pentes douces,
Il rêve et dans un nid s’endort.

Un peu frileux, il se réveille
Avec les sèves des forêts,
Et sa bouche qui s’ensoleille
Boit la lumière à larges traits.

Il a mis à sa boutonnière
Un rameau de myosotis,
Comme pour dire à sa manière :
« N’oubliez pas mes paradis. »

Oh ! mon cœur s’en souvient encore
De l’ivresse des anciens jours,
Des rêves saints, des chants d’aurore,
De nos baisers, de nos amours !


À ma première fiancée,
Quand tu reviens, beau mois des fleurs,
Sourit encore ma pensée
Dans un rayon mouillé de pleurs.

(Une Lyre)


VOS YEUX

Les yeux bleus ont du jour la pure transparence ;
Ils gardent la douceur des matins du printemps,
Et sous l’or délicat de leurs cils palpitants
L’étoile de l’amour sourit à l’espérance.

Les yeux noirs ont des nuits la mystique attirance ;
Mais sous l’ébène froid de leurs cils abondants
Les éclairs qui brûlaient notre cœur à vingt ans
Sont des flèches de feu cruelles d’assurance.

Lis fleuri dans l’azur, la Blonde est un éden ;
Lotus mystérieux, la Brune est un abîme :
Et le gouffre m’attire autant que le jardin !

Brune et Blonde, Dieu fait votre regard sublime,
Femmes, quand vous pleurez sur l’humaine douleur ;
Dans les larmes vos yeux ont la même couleur.





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