Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Félicien Champsaur

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 192-196).




FÉLICIEN CHAMPSAUR


1858




Félicien Champsaur est né à Digne (Basses-Alpes). Mais arrivé de bonne heure à Paris, il s’est rapidement initié aux secrets de la grande ville, qu’il connaît dans ses replis les plus cachés. Romancier des mœurs intimes, chroniqueur hardi et parfois redoutable, il excelle à peindre les corruptions du boulevard, du théâtre et des salon. Chez lui, il n’y a pas de scission, du reste, entre le poète et le prosateur. — Ce ne sont pas les bois et leurs parfums que l’on respire dans les vers de M. Champsaur, mais les senteurs pénétrantes et artificielles s’échappant des coins les plus étrangement mondains. C’est l’iris et l’ylang-ylang qui sont répandus dans le volume si bien nommé : Parisiennes (1887). — La muse de M. Champsaur se garde de vêtir aucun costume antique. Pas de solennité dans sa démarche. Légèrement effrontée et le nez au vent, elle porte le chapeau à la dernière mode, à la mode de demain, et se promène avec des mouvements qui ne rappellent en rien la Sapho grecque, mais en tout la Sapho nouvelle.

Tant de modernité est absolument naturel à M. Champsaur. Rien de voulu dans sa curiosité et son goût pour les mystères que produit et recèle une civilisation avancée comme la nôtre. — Physionomie originale, écrivain preste, rompu avec les rythmes comme avec le joyeux savoir, M. Champsaur est, parmi les jeunes gens, l’un de ceux qui mérite le plus d’attirer et de retenir l’observateur et le critique.

E. Ledrain.




LE BAL DES ROSES




La maison est charmante, et vaste le jardin.
On est en mai. Partout des fleurs, partout la sève,
et la terre, à l’éveil, semble sortir d’un rêve.
On est en mai.
On est en mai. Le vent souffle et pleure soudain.

Venant du nord-ouest, il paraît anodin,
puis il s’enfle. Aux taillis de roses il enlève
pétales et pistils. Il tempête sans trêve
et défait ce que fit Avril incarnadin.

Toute fleur effeuillée entre, en plein, dans la danse,
tournoyant au mistral qui donne la cadence,
et plus d’une périt dans ce bal attristant.

La maison, très tranquille, a les fenêtres closes.
Un bruit, de là, s’envole. On dirait qu’on entend
un air mêlant ses sons au tourbillon des roses.





FOLIE BLONDE




Maîtresse, tu naquis à la clarté lunaire ;
l’astre pervers donna de ses rayons afin
d’en former tes cheveux, — et le reste, où ma faim
de ta caresse fauve est comme dans une aire.


Mie aux cheveux si blonds que c’est de la lumière,
ma rousse volupté, Reine au casque d’or fin,
si tu fuis, de ma vie, oh ! ce sera la fin !
Mon désir, loin de toi, la nuit, sous la lune, erre

ainsi qu’un insensé. Blonde, par qui je veux
mourir de pâmoison, ma bouche en tes cheveux,
sans doute la brune est une blonde ratée.

Que mon amour leur semble à la lune pareil,
pour vos charmes divins, mais noirs, je suis athée,
corps bruns, avant l’hymen, baisés par le Soleil !





L’HEURE GRISE




Le soir qui monte fait la nature indistincte ;
le bourg et son clocher, le torrent caillouteux
s’étendent adoucis en des contours douteux.
Le paysage a pris une incertaine teinte.

Dans les bouleaux le Vent murmure la complainte
de la mort du soleil en souffles ténébreux.
L’air, veuf de la clarté, geint comme un amoureux ;
au vent se joint le pleur d’une cloche qui tinte.

C’est la fin d’un beau jour dans la belle saison.
Tombé, le soleil traîne encore à l’horizon
de grands lambeaux pourprés qui soudain s’interrompent.

L’étoile du berger scintille, et, dans l’air chaud,
parmi les vagues bruits des terres qui s’estompent,
on entend, au lointain, le cri doux d’un crapaud.




L’ARGENT




Il prend son pauvre cœur, la journée au sommeil
sinclinant, et s’en va pour l’offrir à sa belle.
La charmante écoutait, à l’abri de l’ombrelle,
en fixant l’horizon où coulait le soleil.

Des blessures du cœur, à flots, le sang vermeil
s’épandait. La mignonne, à présent infidèle,
repoussait son ami ; mais il était fou d’elle,
et des baisers d’hier implorait le réveil.

Le cœur perdait son sang, l’astre en feu sa lumière,
et, l’heure pour tous deux semblant l’heure dernière,
un train sifflait, au loin, par-dessus les grands bois.

Elle lève sur lui ses yeux, où l’amour manque,
et dit avec raison, de sa très douce voix :
« Enveloppe ton cœur dans un billet de banque ! »


(Un Mystérieux Amour)





HALTE




En campagne, le soir. L’homme était un grand vieux.
Il avait pour seul bien une ânesse docile,
et, dans tout le pays, passait pour imbécile :
très âgés l’un et l’autre, ils s’aidaient de leur mieux.

C’étaient de braves gens. Ils allaient en tous lieux,
mangeant n’importe quoi, n’ayant nul domicile.
Lorsqu’on est ainsi pauvre, on n’est pas difficile,
et leur grande bonté se lisait dans leurs yeux.


La lune se levait
La lune se levait Au bord de la grand’route,
ils étaient arrêtés. Le ciel servait de voûte
à leur hôtellerie et d’astres s’emplissait.

La lune, dans l’azur, semblait la douce hôtesse.
Qui donc règne là-haut ? Sur ce que nul ne sait,
le vieux était songeur, ainsi que son ânesse.





LES SOUVENIRS




Les corbeaux sont venus.
Les corbeaux sont venus. Allumant un cigare,
il se rappelle. Ici, la brune, aux yeux troubleurs,
lui dit qu’elle l’aimait. À présent, les douleurs !
Un train passe. Fumée ; en lair, elle s’égare.

C’est novembre. L’hiver, entré sans crier gare,
a tué les chansons et sombri les couleurs.
Tout est triste avec lui qui pense aux jours où leurs
baisers fêtaient les bois d’avril, — loin de la gare.

Parmi les souvenirs tant cruels et si beaux,
un vol éparpillé de funèbres corbeaux
croasse. (Où vos baisers, bouche petite et rose ?...

Avec les soleils morts ? .. ) Sous les grands arbres nus,
par bandes, maintenant, autour de quelque chose, —
un cœur qu’on a jeté, — les corbeaux sont venus.