Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Eugène Rambert

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 387-391).




EUGÈNE RAMBERT


1830-1886




Né le 6 avril 1830 près de Montreux (Suisse), Eugène Rambert, après avoir fait des études de théologie, se consacra à la littérature et fut successivement professeur à l’Académie de Lausanne et à l’École Polytechnique de Zurich. Revenu à Lausanne en 1881, il y mourut cinq ans après.

Eugène Rambert fut avant tout un critique qui unissait la lucidité à l’étendue des connaissances. Il avait néanmoins sa place marquée dans cette Anthologie par ses œuvres poétiques, qui, bien que trahissant un peu d’effort et de recherche, attestent une grande profondeur de pensée et de sentiment. Deux volumes de vers intitulés : Poésies et Chansons d’Enfants ont paru de son vivant ; un troisième, Dernières Poésies, a été publié après sa mort.

Les œuvres d’Eugène Rambert ont été éditées à Paris par Sandoz et Fischbacher, à Lausanne par F. Rouge.

a. l.





LE VIEUX LÉMAN




Ô vieux Léman, toujours le même,
Bleu miroir du bleu firmament,
Plus on te voit et plus on t’aime,
          Ô vieux Léman !


J’ai parcouru d’autres rivages,
Vu d’autres flots et d’autres deux.
Des lacs plus gais ou plus sauva.
Et l’Océan prodigieux ;

Je n’ai rien vu qui te ressemble,
Rien qui soit beau de ta beauté,
Qui mêle ainsi, qui fonde ensemble
La douceur ce la majesté.

À l’étranger, quand la tristesse
Jette sur nous son voile noir,
On donnerait gloire et richesse,
Tout ce qu’on a, pour te revoir.

En vain se hâtent les années
Sur nos pas semant les débris,
Espoirs déçus, roses fanées,
Désirs éteints, boutons flétris :

Ce désir grandit avec l’âge,
Le retour seul peut en guérir ;
Quand on est né sur ce rivage,
Sur ce rivage on veut mourir.

Ô vieux Léman, toujours le même,
Bleu miroir du bleu firmament,
Plus on grisonne et plus on t’aime,
Ô vieux Léman !


LE MERLE D’EAU




Est-il chanson, folle ballade,
 Joyeux rondeau,
Qui soit plus gai que la roulade
          Du merle d’eau ?

Quand ils sont deux — Monsieur, Madame —
          L’un écoutant,
— Pour écouter, Dieu fit la femme —
          L’autre chantant,

La note perle plus vibrante,
          Et le refrain
En sa roulade délirante
          N’a plus de fin.

Ils étaient là, ce matin même,
          Au bord de l’eau ;
Je les guettais caché, troisième,
          Sous un bouleau.

« Ah ! disait-il à sa merlette,
          Qui, gentiment,
À ses côtés faisait toilette
          Très longuement...

« Pourquoi perdre à lustrer ton aile
          Ce gai moment,
L’heure où fleurit la soldanelle,
          Timidement ?



« Partons, partons, partons en chasse !
          Partons au vol !
Guettons, fouillons le flot qui passe,
          Rasons le sol ! »
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C’est pour nous seuls, race choisie,
          Joyeux oiseaux,
Que Dieu créa la poésie
          Des vertes eaux !





LE SOLEIL DU LÉMAN




Ô lac ! tu l’as bien dit. Les heures sont rapides.
Tout passe : le moment, le jour et la saison...
En vain le ciel est pur, en vain les flots limpides ;
Le soleil, ton amant, s’incline à l’horizon.

Glissant d’un vol furtif sur la vague aplanie,
Ses rayons empourprés vont embellir Montreux,
Et ces bords enchantés, sacrés par le génie,
Et ce nid de Clarens qu’habite un peuple heureux.

Vous ne l’arrêtez point, doux et chers paysages;
Il est le voyageur ; il marche, il suit sa loi.
Qu’importent vos bosquets ? Qu’importent vos rivages ?...
Par delà l’horizon disparait l’astre-roi.

Mais il ne s’en va pas sans saluer encore
Les monts échelonnés aux limites des cieux.
De la pourpre du soir la neige se colore ;
Aux Alpes du Léman l’astre fait ses adieux.


En cercle autour de lui les voyez-vous rangées ?
Chaque tour de granit brille comme un fanal.
L’une a sur ses flancs nus des lueurs orangées ;
L’autre sent flamboyer son manteau virginal.

« C’est lui, c’est le soleil ! » se disent les montagnes.
« Heureuse parmi nous celle qu’il choisira,
Et qui, voyant pâlir le front de ses compagnes,
Sous son dernier rayon, seule, resplendira ! »

La voilà, la voilà, la cime qu’il couronne !
Sous le dernier rayon brille un dernier sommet,
Et tout au fond des eaux que la nuit environne :
« C’est lui, c’est le soleil ! » dit un dernier reflet.