Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Alphonse-Marie-Joseph Germain-Lacour




GERMAIN-LACOUR


1860




Joseph Germain-Lacour est né en 1860 à Moulins-sur-Orne. Le concours ouvert en 1885 par le Figaro révéla au nom de ce charmant poète, en même temps que celui de M. Jean Rameau. M. Germain-Lacour avait déjà publié deux petits recueils de vers : Sur tous les Tons (1883) et Avec des Rimes (1885), mais c’est seulement depuis qu’il a donné son véritable document, Les Clairières (1888). Ce livre, dont la forme est savante, où perce même une pointe de préciosité, exprime une âme de poète à la fois souffrante et saine, spirituelle et mélancolique. Rarement l’esprit va jusqu’à la gaîté, la mélancolie jusqu’à la tristesse. À Mi-Côte, tel est le titre d’une des plus jolies fleurs de ces Clairières ; il caractérise à merveille le fin talent de l’auteur, qui excelle dans l’observation familière des choses, dans la délicate analyse de lui-même.

Ses œuvres ont paru chez MM. Jouaust et A. Lemerre.

Auguste Dorchain.





À MI-CÔTE




Aujourd’hui restons en chemin ;
Reposons-nous : la cime est haute.
Nous monterons plus haut demain ;
Aujourd’hui restons à mi-côte.


Cherchons, au revers du coteau,
L’inclinaison des pentes douces,
Et, sur le sol, lepais manteau
Que font les gramens et les mousses.

Demandons aux arbres pensifs
L’abri de leur dôme qui tremble ;
Fuyons le vert sombre des ifs
Pour le vert adouci du tremble.

Sous ce rideau discret et sûr
Les clartés des cieux sont éteintes:
Goûtons l’attrait du clair-obscur
Et le charme des demi-teintes.

Les bruits lointains venus d’en bas
Vont s’apaisant dans les ramures,
Et nous écoutons les combats
Du silence avec les murmures.

Dans le vague du demi-jour
Les fleurs ont des nuances pâles
Oui nous rappellent tour à tour
Les turquoises et les opales.

Or, vibrant à chaque frisson,
Dans l’inconscience des causes,
L’âme se met à l’unisson
De l’indécision des choses.

Et c’est exquis. Et nous restons
— Ô Nature, c’est bien ta faute ! —
Pris au charme des demi-tons,
Paresseusement, à mi-côte.


(Les Clairières)




JEUNES FILLES




On ne les voit bien qu’à l’église,
Quand, dans la crainte du péché,
L’extase les immobilise
À genoux et le front penché.

Car les rencontrer dans la rue
Juste le temps d’être troublé,
Trop tôt l’image est disparue,
L’oiseau trop vite est envolé

Mais l’église, je veux m’y rendre.
Caché dans l’ombre d’un pilier,
Sar.s doute je saurai surprendre
Leur maintien grave et familier.

Elles seront là tout à l’heure ;
Et, tandis que je les attends,
Chacune a quitté sa demeure
Pour entendre la messe à temps.

Elles ne se douteront guère,
Quand elles seront à genoux,
Que dans la nef froide et vulgaire
Je leur ai donné rendez-vous ;

Rendez-vous à toutes ensemble :
C’est pour moi seul qu’elles viendront ;
S’il en manquait une, il me semble
Que toutes me feraient affront.


Pourquoi Dieu mit-il en nos âmes
Tant de regret du ciel perdu
Que l’amour de toutes les femmes
À chacun de nous semble dû ?

Voici des vierges, les plus pures :
Et j’ose penser en ce lieu
À m’attribuer les murmures
De leurs lèvres priant vers Dieu !

Et lorsque leur âme s’allège
Devant Lui, leur maître et leur roi,
Je fais ce rêve sacrilège
Qu’elles s’agenouillent pour moi !...

Oh ! c’est mal !... Et pourtant je pense
Que le pardon m’est accordé ;
L’expiation vaut l’offense :
Pas une ne m’a regardé !


(Les Clairières)





LES VIEUX PIGEONS




Immobiles, avec leurs ventres rebondis,
Ils traînent lentement leurs roucoulements graves,
Solennels et pensifs comme d’anciens burgraves
Qui regrettent, trop vieux, de n’être plus bandits.
Ils sont passés, pour eux, les voyages hardis !
Car l’âge sans égard pèse sur les plus braves.
Leurs ailes ont connu de subites entraves,
Et pour les longs trajets leurs vols sont alourdis.


hier qu’ils allaient, ce, sans compter les lieues,
Qu’ils regardaient, du haut des immensités bleues,
Le monde raguement perçu comme un décor.

Ils comparent ce temps aux tristesses présentes...
Mais, faibles et vieillis, ils admirent encor
Les reflets zinzolins de leurs gorges luisantes.


(Les Clairières)





FIERTÉ




Qu’un nouvel objet règne en ton âme, étouffant
Jusqu’au cher souvenir des récentes tendresses,
Soit! Mais n’immole pas sur l’autel que tu dresses
Tes amours d’autrefois à l’amour triomphant.

Prends garde de railler, — l’honneur te le défend, —
Pour plaire à Celle-ci, tes premières maîtresses ;
Elle a tout le présent et toutes les ivresses :
Réserve le secret de tes rêves d’enfant.

Qu’elles aient ton silence au moins, les Oubliées !
Et puisque, à tout ton être intimement liées,
Tu ne peux renier leur puissance d’alors,

Cache, pour l’y trouver aux heures plus amères,
Dans le coin de ton cœur où dorment les dieux morts,
L’asile inviolé des anciennes chimères.


(Les Clairières)




LES CLAIRIÈRES




Comme il n’est point de bois si noir et si profond
Où la splendeur des deux par endroits n’apparaisse,
Trouant de flèches d’or l’obscure forteresse
Que la branche rugueuse et la feuille lui font,

Il n’est point d’âme aussi, si triste jusqu’au fond,
Que ne visite un jour, en sa grande détresse,
Ou la calme pensée ou la puissante ivresse,
Avec l’oubli des maux où le cœur se morfond.

Or, bien que tout soit morne et sombre autour de l’être,
Que la moindre clarté malaisément pénètre
Entre le mal de vivre et la peur de mourir,

Mon âme sait pourtant de douces accalmies,
Et découvre, parmi tout ce qui fait souffrir,
Dans le Rêve et l’Amour ses clairières amies.


(Les Clairières)