Annales de pomologie belge et étrangère/de la Vigne



De la Vigne



Notre position géographique nous place sur la limite de la culture de la vigne. Cet arbrisseau si précieux pour la France et pour d’autres contrées de l’Europe, n’est encore pour nous qu’un objet de luxe. Sa culture exige des soins et de la dépense dont ne nous indemnisent pas toujours la qualité et la quantité des produits qu’elle nous donne. La vigne a surtout de l’importance comme élément de la fabrication du vin ; or, cette industrie est nulle dans notre pays, sauf dans une partie de la province de Liége ; et la fabrication des vins mousseux, dont nous avons entendu vanter les produits, a pris jusqu’ici peu de développement, et ne doit être mentionnée que pour mémoire. Mais, même dans les contrées du nord, comme la nôtre, où la production du raisin n’est que le privilége des rares et excellentes années, la vigne est l’un des plus beaux ornements des jardins ; dans certaines expositions, et moyennant quelques précautions que nous indiquons plus loin, le raisin arrive à un degré de maturité tel, que sans pouvoir lutter avec les produits du midi, il a une saveur fort agréable ; enfin, nous obtenons dans nos serres des résultats remarquables, qui ont acquis une certaine célébrité. C’est ainsi que le raisin qui a été servi, à Paris et à Reims, lors des fêtes du sacre du roi Charles X, provenait des serres de la ville de Gand. Enfin, nous nous flattons de l’espoir que les Annales de Pomologie franchiront nos frontières. Nous avons donc pensé qu’elles seraient incomplètes, si elles ne contenaient pas la monographie de la vigne.

La vigne est chez nous un arbrisseau sarmenteux et grimpant, à racines fibreuses, chevelues, au moins aussi traçantes que pivotantes. Le bois en est dur, fistuleux, à tube rempli d’une substance médullaire. Le tronc acquiert, dans certaines contrées, un volume considérable. L’écorce, de couleur cannelle sur le jeune bois, est brune sur le vieux. L’épiderme se fend et se divise en lanières longitudinales qui tombent d’elles-mêmes. Les feuilles sont alternes, à cinq lobes inégaux, rarement trilobées, plus ou moins velues, laciniées et dentées, selon la variété ; elles sont à limbe plane, fortement nervurées et portées sur un pétiole cylindrique, renflé à sa base, quelquefois contourné et opposé à une grappe ou à une vrille insérée sur le même nœud. Les mérithalles sont plus ou moins longs. Les fleurs, rassemblées en grappe, sont petites et composées d’un calice à cinq dents, d’une corolle capuliforme à cinq pétales verdâtres, de cinq étamines à anthères jaunâtres et d’un stigmate sessile.

Le fruit est une baie charnue dont la forme est presque toujours sphérique, mais qui varie de couleur et de volume, selon la variété ; il est couvert d’une pellicule mince et lisse, dorée dans les raisins blancs et poudrée d’une poussière glauque, appelée fleur, dans les raisins de couleur ; la pulpe en est fondante, sucrée, plus ou moins parfumée, et contient d’une à cinq semences ligneuses ou pepins.

Dans la vigne, la séve se porte toujours vers les sommités. Cet arbrisseau ne fructifie que sur les pousses de l’année. Les yeux, que l’on nomme encore bourre, à cause du duvet qui enveloppe les rudiments du bourgeon, sont à bois et à fruit. Ils produisent, en effet, un bourgeon dont la tigette porte des feuilles et des grappes. Ces gemmes se forment de bonne heure dans l’aisselle des feuilles. Ils sont toujours accompagnés, en nombre indéterminé, de sous-yeux qui restent ordinairement latents, à moins qu’une cause favorable ne provoque leur évolution. Aussi longtemps que le bourgeon, produit de l’œil principal, pousse avec une vigueur normale, ils restent stationnaires. Mais, si l’on rabat ce premier bourgeon sur sa couronne, ou si la gelée ou tout autre accident vient à le détruire, on voit alors plusieurs sous-yeux existant dans cette couronne, se gonfler et fournir de nouveaux bourgeons, capables aussi de donner du fruit.

Dans une vigne convenablement taillée, tous les yeux nés l’année précédente et conservés sur le cep, se gonflent aussitôt que la température est favorable ; le bourgeon en sort, se développe et montre bientôt des feuilles et des grappes toujours opposées les unes aux autres, et que surmonte le prolongement du sarment, qui finit par ne produire, à son sommet, que des feuilles et des vrilles également opposées. Dans les jeunes ceps, comme dans ceux qui ont une grande vigueur, le bourgeon est souvent dépourvu de grappes ; il en est de même lorsqu’il est le résultat d’un œil qui a percé à travers l’écorce d’un bois âgé de plus d’un an. Plus une vigne est vigoureuse, plus les mérithalles sont distants ; mais, dans tous les cas, ils sont plus rapprochés à la base et au sommet des bourgeons qu’au centre.

Les yeux ou gemmes dans la vigne sont d’une seule sorte, c’est-à-dire constitués de façon à fournir du bois et du fruit. Il n’y a donc qu’une seule production à étudier. Les yeux apparaissent dans le cours de l’été, et se conservent, malgré la chute des feuilles, leurs premières nourrices, jusqu’au moment de leur éclosion. Il est bon de faire remarquer aussi que la vigne reperce facilement sur les vieux bois ; ce qui permet, au moyen du rapprochement, d’amener presque assurément l’émission de bourgeons qui résulte des yeux latents auxquels cette taille raccourcie vient rendre la vitalité.

L’histoire de la vigne, s’il s’agissait de l’aborder, embrasserait celle du monde entier.

L’Ancien Testament nous montre Noé s’empressant, après le déluge, de planter des sarments qu’il avait sauvés des eaux ; les Juifs, missionnaires de Moïse, qui rapportent du pays de Chanaan une grappe si volumineuse que deux hommes suffisent à peine pour la porter ; la fête des tabernacles se célébrant à la suite des vendanges, en action de grâces d’un produit si précieux pour la Judée, dont les vignes ont été vantées par les plus anciens historiens.

Selon la mythologie, c’est Osyris ou Bacchus, qui, de l’Arabie, transporte la vigne dans toutes les contrées où il pénètre. À Rome, dès sa fondation, on voit Romulus favoriser la culture de la vigne, pour la production de ses fruits, et Numa, pour la vinification ; on y ordonna que tout vin employé pour le service des autels, devait provenir d’une vigne soumise à la taille.

Si la Belgique était une contrée où la vigne jouât un rôle aussi important qu’en France, par exemple, il y aurait un intérêt majeur à chercher une méthode de classement convenable des nombreuses variétés ; mais la difficulté d’établir une classification rationnelle est si grande, qu’aucun auteur viticole n’a pu y parvenir d’une manière satisfaisante. Au reste, le feuillage plus ou moins velu, lisse, découpé ou lacinié ; la couleur, la forme et le volume des grains, leur arôme particulier, sont autant de moyens bien suffisants pour reconnaître les espèces et les variétés qu’on cultive chez nous.

On multiplie la vigne de boutures, de crossettes, de marcottes enracinées ou chevelées, de provins ou couchage, de semis et par la greffe sur elle-même.

Les boutures sont des sarments de la dernière pousse, d’une longueur d’environ 40 centimètres, que l’on plante en terre.

Les crossettes diffèrent des boutures, parce qu’on leur conserve, à l’extrémité inférieure, un talon en bois de deux ans.

On appelle marcottes enracinées, celles qu’on obtient par le provignage total ou partiel d’un cep.

On provigne un cep en entier en le déchaussant complétement au-dessous de la souche que l’on couche dans une tranchée peu profonde et que l’on comble ensuite. On taille à deux yeux, au-dessus du sol, chacune des extrémités des sarments qui sortent de terre. Ces sarments, alimentés par la souche et les nombreuses racines qui se développent de leurs yeux enterrés, poussent vigoureusement. Lorsque après un an, on les sépare de leur souche, ils ont le nom de chevelées, qu’ils doivent aux faisceaux de racines formés à chaque œil sur la longueur de leur partie enterrée. Le provignage partiel ne diffère du précédent que parce qu’on n’agit que sur quelques sarments et non sur tous ceux du cep. Les chevelées se mettent beaucoup plus tôt à fruit que les boutures ou crossettes.

Le provignage peut se faire en plaçant les sarments couchés dans un panier ou dans un pot. Il en résulte l’avantage qu’après avoir sevré le sarment au-dessous du panier ou du pot, on lève le tout en une motte que l’on transporte et plante à volonté, sans risque pour les racines.

La greffe en fente sur tige et sur racines, ainsi que celle en navette, sert à multiplier le cépage que l’on désire et à changer, sans perte de récolte, celui qui ne convient pas.

Il n’y a que les pomologues qui essayent de semer, dans le but d’obtenir des variétés dont la nature se montre, du reste, prodigue par tous les moyens qu’elle emploie pour disséminer les graines et favoriser leur fécondité.

La vigne, pour produire sous notre climat peu favorable à sa culture, a besoin d’abris. Le plus simple est le mur surmonté d’un chaperon. On peut, dans cette situation, lui imposer trois formes différentes : 1o  la tige surmontée d’un cordon simple ; 2o  la thomery ou à cordons horizontaux ; 3o  la palmette.

Dans ces trois cas, la plantation est la même. On choisit de préférence des chevelées enracinées. On trace une rigole dirigée à angle droit vers le mur et profonde de 16 à 20 centimètres. On y couche, dans toute sa longueur, la partie de la chevelée qui a été enterrée. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit longue de plus de 50 centimètres. On taille à deux yeux le sommet qui restait du sol et qu’on redresse contre le mur. On comble la rigole de terre à moitié de sa profondeur, pour laisser arriver plus facilement aux racines les influences de l’air atmosphérique ; on achève de la remplir en septembre. La plantation se fait en mars et avril.

Les deux yeux sur lesquels on a taillé la chevelée, en la plantant, sont destinés : le supérieur à prolonger la tige, l’inférieur à fournir un sarment, dont on fera un courson pour fournir des bourgeons à fruit. Cette production, après avoir concouru à l’alimentation de la tige, sera supprimée dans les treilles à cordons, lorsqu’elles seront arrivées au point où ceux-ci seront établis, afin de ne pas nuire à leur formation. Elle sera conservée dans la palmette et deviendra branche à fruit.

Chaque année, on taille successivement le bourgeon de prolongement, selon sa vigueur, pour que les yeux, qui sont conservés sur sa longueur, puissent se développer convenablement ; et, si les bourgeons qui en résultent, prenaient trop de force, il conviendrait de leur faire subir un pincement, dans le but de maintenir la séve à leur base. Le bourgeon terminal croît ; on le maintient par un palissage vertical, et il est rare qu’on doive jamais le pincer ; s’il s’emportait, on le ramènerait, à la taille suivante, à sa juste proportion.

À chaque taille, on coupe chaque rameau latéral d’un an sur ses deux yeux les plus rapprochés de son insertion, et chacun des rameaux de deux ans ou davantage, sur l’œil de ses deux sarments le plus près de la tige, et finalement cette dernière, sur ses deux yeux les plus bas. On continue à tailler ainsi chaque année.

S’il s’agissait d’établir une treille à un cordon (le moyen est commun à la vigne à cordon simple comme à celle à la Thomery), on agit comme nous venons de le dire, jusqu’au moment où la vigne a atteint la hauteur où doit régner le cordon.

La formation de la vigne à un cordon est fort simple. On taille le prolongement de la vigne à deux ou trois yeux au-dessus de l’œil qui se trouve le mieux placé pour la hauteur, mais plutôt un peu au-dessous de la ligne qu’il doit occuper que plus élevé. On palisse ensuite horizontalement la portion qui le dépasse, de façon que la courbe existe au niveau de l’œil qui doit former le bras opposé. Cette position favorise la croissance, et à mesure qu’il pousse, on le tient plus verticalement, pour qu’il prenne plus de force. À la taille suivante, on rapproche les deux bras à 25 centimètres de la vigne. On ne forme des coursons qu’au-dessus des cordons, à une distance de 16 à 18 centimètres les uns des autres, en annulant les yeux qui naissent au-dessous. Ces coursons sont taillés, comme nous l’avons dit tout à l’heure pour les branches latérales à fruit. Dans les vignes à cordons, on a soin de supprimer toutes les branches qu’on a formées provisoirement sur les tiges. On les maintient dans les treilles en palmette, dont on arrête la tige, en la coupant rez le courson le plus élevé ; de même qu’on arrête la longueur de chaque bras, en le coupant au niveau du dernier courson de son extrémité.

La différence qui distingue la vigne à un cordon, dont nous venons de parler, d’une treille à la Thomery, consiste tout simplement en ce que, dans le premier cas, la vigne est seule appliquée contre le mur, et a son cordon à une élévation plus ou moins grande, déterminée par la disposition du jardin, et en ce que, dans le second cas, l’espalier est entièrement couvert de ceps plantés les uns près des autres, à distance calculée, et formant chacun un cordon établi à une hauteur qui dépend du rang qu’il occupe. Il résulte de cette disposition plusieurs rangées de cordons horizontaux superposés les uns sur les autres.

Nous allons expliquer uniquement la disposition des ceps, leur plantation et leur conduite ; la formation des bras étant la même que celle que nous venons de décrire.

La seule difficulté que présente la formation d’une Thomery, consiste à combiner le nombre de ceps nécessaires pour couvrir le mur, et à espacer régulièrement les pieds et les cordons qu’ils forment. Supposons un mur de 3 mètres de hauteur ; on peut y établir sept cordons : le premier à 20 centimètres du sol, et les autres à 40 centimètres d’intervalle, soit entre eux, soit de distance du chaperon. On plante les pieds en les distançant aussi de 40 centimètres. Le premier cep forme le cordon no 1 ; le deuxième, le no 2, et ainsi de suite jusqu’au septième cep, qui constitue le no 7. On établit autant de séries de sept plants que peut en comporter la longueur de l’espalier. À mesure que les ceps arrivent à la hauteur où doit régner leur cordon, on le forme. Dans cette disposition, chaque cordon a 2 mètres 80 centimètres de longueur (1 mètre 40 centimètres par bras). Nous préférons cette disposition, parce qu’elle rend plus facile l’emploi des châssis vitrés. On peut toutefois espacer davantage les pieds et les cordons, mais il est de règle que la distance entre les cordons soit égale à celle qu’il y a entre les pieds. À Thomery, près de Fontainebleau, où cette forme a pris naissance, les intervalles sont de 50 à 55 centimètres.

En France, où le climat favorise la maturité du raisin, on la hâte encore par l’emploi des châssis mobiles, placés devant les treilles, depuis la fin de décembre. C’est que la qualité de ce fruit dépend du degré de sa maturité. Chez nous, où la température est si défavorable, nous devons suivre cet exemple, non avec la prétention d’obtenir des fruits forcés, mais dans le légitime désir d’assurer leur maturité au moins pour leur époque naturelle. Nous dirons, à l’article Pêcher, comment on dispose ces châssis vitrés.