ANALISE TRANSCENDANTE.
Éclaircissemens sur le développement de 
en fonction des sinus et cosinus d’arcs multiples ;
Par
M. Pagani Michel, ingénieur à Genève.
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M. Poisson a fait connaître le premier que le développement de
en fonction des sinus et des cosinus d’arcs multiples, composé de deux parties, l’une réelle et l’autre imaginaire, qui s’anéantit lorsque
est un nombre entier positif, doit, pour être exact, conserver ces deux parties, lorsque
est un nombre fractionnaire ou négatif ; et que, par conséquent, le développement donné par Euler est en défaut pour ce cas. Si l’on fait, pour plus de simplicité,

on a l’équation

Si
les deux termes du second membre de cette équation subsistent, et l’on a pour
deux valeurs imaginaires. D’après M. Poisson, ces deux valeurs sont deux racines distinctes ; et il a montré comment on pourrait les tirer toutes d’une même formule, en mettant à la place de
les arcs 
dont le nombre est
et qui, ayant tous le même cosinus que
donnent la même valeur pour
Cependant M. Lacroix, dans les a\operatorname{d}itions à son Traité de calcul différentiel et de calcul intégral (tom. III. pag. 605), observe que la théorie de M. Poisson, quoique très-satisfaisante, laisse encore à désirer quelques éclaircissemens, à quoi il ajoute plus loin : une plus ample connaissance du sujet ne serait pas inutile, car il présente encore d’autres difficultés, lorsqu’on y introduit la considération des équations différentielles. Cela paraît d’autant plus nécessaire que, d’après un procédé de M. Deflers (voyez même volume, pag. 616), il semblerait que la quantité
n’est que le développement d’une fonction toujours nulle, quel que soit
et quelque valeur que l’on donne à
Avant de développer mes observations sur ce sujet, je crois nécessaire de distinguer d’abord, dans toute fonction irrationnelle, la quantité et la valeur. Par quantité d’un radical, j’entends le nombre qui, multiplié par une expression de la racine du même degré de l’unité, positive ou négative, et élevé ensuite à la puissance du degré marqué par l’exposant de ce même radical, produit la fonction qui en est affectée. La quantité est donc toujours équivalente à un nombre réel et positif, et elle est unique, quel que soit son exposant. J’appelle valeur d’un radical, l’expression, soit réelle, soit imaginaire, qu’on obtient en multipliant la quantité du même radical par une quelconque des racines de l’unité, positive ou négative, et telle qu’en l’élevant à la puissance indiquée par le radical, on ait la fonction placée sous le signe. D’où l’on voit qu’un radical doit avoir autant de valeurs différentes qu’il y a d’unités dans son exposant.
Cela posé, lorsqu’on veut obtenir, par les séries, la quantité d’un radical
il est évident qu’il faut développer la fonction
d’après la formule du binôme de Ne\thetaon, en prenant le signe convenable pour avoir une série convergente ; et la limite de la série donne la quantité de
Nommons
cette limite, et nous aurons visiblement
mais on voit que chaque valeur de
est, en général, de la forme
d’où il suit que les
valeurs du radical
seront toutes comprises dans la formule
pourvu que l’on donne à
et à
successivement toutes les valeurs dont ces lettres sont susceptibles, d’après le degré du radical.
Nous avons tacitement supposé que la fonction
avait une forme réelle ; mais, si cette fonction avait une forme imaginaire, le développement par la formule du binôme aurait lui-même une forme imaginaire, et l’on n’aurait plus la quantité, mais bien une valeur de
Dans ce cas, toutefois, il ne serait pas difficile d’en obtenir la quantité, et par suite toutes les valeurs. En effet, soit
le développement de
Nous avons vu plus haut que toutes les valeurs de
sont comprises dans la formule
étant la quantité du radical, et
une des racines du degré
de
ou
il faut donc que, parmi ces racines, il s’en trouve une pour laquelle on ait

Cette équation nous donne

d’où

La dernière est une équation de condition qui doit avoir lieu toutes les fois que l’expression
est valeur d’une racine d’une fonction réelle, et fera connaître, dans ce cas, les nombres
et
après quoi on aura la quantité
exprimée par
ou par
Toutes les valeurs de
seront donc données par l’une des deux formules

dans lesquelles il faudra mettre à la place de
et
les nombres qui satisfont à la condition
sans cesser cependant d’être compris parmi ceux qui expriment la racine
me de
ou
et où il faudra de plus mettre successivement pour
et
toutes les valeurs qui répondent à cette même racine
me.
Le développement de
étant, comme nous l’avons dit,
nous aurons ici
et par conséquent la quantité de
sera représentée par
ou par
; d’où il suit que toutes les valeurs de
seront comprises dans les formules

Il ne nous sera pas difficile maintenant de rendre raison de toutes les singularités apparentes que présente le développement de la fonction
Et d’abord on voit, par les formules
que cette fonction est de la forme
ou
et
étant deux constantes ; et voilà pourquoi l’équation différentielle

est satisfaite par la supposition de
aussi bien que par celle de 
En second lieu, l’équation
nous apprend qu’on
lorsque
et vice versâ. On voit donc pourquoi
qui est égal à
devient infini toutes les fois qu’on a
et pourquoi aussi on a
pour tous les exposans de
qui ne sont point fractionnaires ; puisqu’alors toutes les valeurs de
doivent être nulles.
Pour faire une application des formules
je choisirai l’exemple même que M. Poisson a traité. On a, pour ce cas,
et l’on obtient
et, comme
il faudra prendre, parmi toutes les valeurs de
celles qui satisfont à l’équation
![{\displaystyle {\frac {\alpha }{\beta }}={\frac {{\frac {1}{2}}{\sqrt[{3}]{2}}}{\pm {\frac {\sqrt {3}}{2}}{\sqrt[{3}]{2}}}}\,;}](https://wikimedia.org/api/rest_v1/media/math/render/svg/b08e7ae07eaaa7af41d37a2ae7cb5b3ae0635bbb)
il est aisé de conclure de là qu’il faut prendre

donc la quantité de
est
puisque
et toutes ses valeurs seront comprises dans la formule
![{\displaystyle \left(\alpha '+\beta '{\sqrt {-1}}\right){\sqrt[{3}]{2}},}](https://wikimedia.org/api/rest_v1/media/math/render/svg/c03702730fbc3fa55f16e14d2c8d184339bdab76)
pourvu qu’on donne à
et
les valeurs qui conviennent à la racine cubique de
Nous aurons donc pour
l’une des trois expressions suivantes :
![{\displaystyle -{\sqrt[{3}]{2}},\qquad {\frac {1+{\sqrt {3}}{\sqrt {-1}}}{2}},\qquad {\frac {1-{\sqrt {3}}{\sqrt {-1}}}{2}},}](https://wikimedia.org/api/rest_v1/media/math/render/svg/3d01591e9460ff96c2866480771383ec32e28fef)
comme cela doit être.
Il ne nous reste plus maintenant qu’à faire quelques remarques sur les observations de M. Deflers, d’après lesquelles il paraîtrait que la fonction
est toujours nulle, quel que soit l’exposant de
Son procédé se réduit au fond à démontrer que l’équation

est identique. Mais, si l’on fait attention que les deux premiers termes du second membre se réduisent à
que les trois premiers donnent, pour leur somme
et ainsi de suite ; on se convaincra aisément que le second membre n’est autre chose que le produit des facteurs, en nombre infini,

or, ce produit ne peut être nul que pour des valeurs entières et positives de
d’où il paraît résulter que la démonstration de M. Deflers, bien que fort ingénieuse, n’est pourtant point exacte.
Pour découvrir en quoi cette démonstration est fautive, observons qu’en posant l’équation

M. Deflers remarque que le second membre pouvant être égal à

et que la série entre les parenthèses étant le développement de
on peut écrire

En exécutant donc la différentiation dans le second membre de cette équation, on aura

On voit donc que M. Deflers suppose que le coefficient différentiel du développement d’une fonction est égal au développement du coefficient différentiel de cette fonction. On verra tout-à-l’heure si cette supposition est toujours permise. En l’admettant, on voit que la dernière valeur de
se réduit à zéro lorsqu’on fait
mais on a aussi, dans ce cas,

comme il résulte de la première valeur de
donc le second membre de cette dernière équation est nul. Telle est la conséquence qu’en a tirée M. Deflers.
Mais nous observerons que la fonction
n’est pas égale à la première valeur de
car, en développant le binome
et en effectuant la multiplication par
on trouve, en s’arrêtant au quatrième terme


d’où l’on voit que, quelque loin qu’on pousse le développement, il restera toujours un terme dans la seconde ligne qui ne sera détruit par aucun de ceux de la première. Il est donc certain que, toutes réductions faites ; on aura

et, si l’on fait
on trouvera pour
mais d’une manière beaucoup plus simple, la valeur que nous avions déjà obtenue ci-dessus.
Genève, le 23 juin 1822.