Annales de mathématiques pures et appliquées, Tome 09/Algèbre élémentaire, article 2

Annales de mathématiques pures et appliquées, Tome 09

ALGÈBRE ÉLÉMENTAIRE.

Recherches sur les fractions continues ;

Par M. Gergonne.
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Malgré les travaux d’un grand nombre d’illustres géomètres, la théorie des fractions continues est loin encore d’être aussi avancée que son importance pourrait le faire désirer. Nous savons développer une fonction en fraction continue ; nous savons, dans quelques cas, revenir d’une fraction continue à la fonction génératrice ; nous savons aussi, dans quelques cas, reconnaître qu’une fraction continue est incommensurable ; mais personne encore n’a établi la limite précise qui sépare les fractions continues rationnelles de celles qui ne le sont pas. On ne saurait douter non plus que les fractions continues ne doivent affecter certaines formes particulières, suivant qu’elles sont racines d’équations de tel ou de tel autre degré, mais, passé le second degré, pour lequel nous savons que les racines se développent en fractions continues périodiques, nous ne connaissons plus les caractères qui distinguent les racines soumises à un pareil développement, ce qui serait pourtant d’autant plus important qu’à cette connaissance se rattacherait immédiatement la recherche des diviseurs commensurables de tous les degrés des équations numériques. Nous ne savons pas même former immédiatement la somme ou la différence de deux fractions continues, leur produit ou le quotient de leurs divisions ; et, à plus forte raison, ne savons-nous pas en assigner les puissances et les racines.

Dans cet état d’indigence où nous nous trouvons relativement à ce genre de fonctions, toute recherche qui les concerne semble devoir être accueillie avec quelque intérêt ; et c’est, en particulier, ce qui doit recommander aux yeux des géomètres le mémoire de M. Bret, à la page 37 de ce volume ; mémoire dans lequel, après avoir donné plus de généralité à des théorèmes qu’on ne démontre communément que pour les fractions continues dans lesquelles les numérateurs sont égaux à l’unité, il a donné, pour le développement des fonctions en fractions continues, une méthode qui lui est propre et qu’il a appliquée ensuite à la recherche de plusieurs résultats non moins curieux qu’ils sont élégants.

Ces résultats, au surplus, ainsi que beaucoup d’autres du même genre, avaient déjà été déduits par Lagrange de l’application des fractions continues à l’intégration par approximation des équations différentielles à deux variables[1]. Mais, la méthode de Lagrange, comme celle de M. Bret, peut paraître longue et laborieuse ; et ni l’une ni l’autre n’ont une marche assez uniforme et régulière pour qu’il soit permis d’asseoir solidement une induction sur les résultats qu’on en obtient.

Il nous a paru qu’on pouvait parvenir simplement à ces mêmes résultats, de manière à ne laisser aucun doute sur la loi qui les régit, et qu’on pouvait en même temps établir plusieurs théorèmes curieux sur certaines classes de fractions continues ; en développant en fraction de cette sorte la série très-remarquable dont M. de Stainville s’est occupé à la page 229 du présent volume. C’est ce que nous nous proposons de montrer ici.

Soit donc la série

qu’il soit question de développer en fraction continue ; pour procéder à ce développement, nous emploîrons la méthode indiquée par Euler ; c’est-à-dire que nous poserons successivement








 

Nous remarquerons qu’il n’y a point d’induction dans tout ceci, attendu que, d’une part, on peut toujours calculer le terme général soit du numérateur, soit du dénominateur de chacune de ces fractions et que de l’autre on peut prouver que, si la loi qui se manifeste pour les valeurs successives de se soutient jusqu’à une quelconque de ces quantités, elle aura également lieu pour celle qui la suivra immédiatement.

En représentant donc, comme l’a fait M. de Stainville, par la série proposée, nous tirerons de tout cela

formule fondamentale pour toutes les recherches qui vont nous occuper.

1.o On a vu (pag. 235) que

donc, si l’on a les deux fractions continues

leur produit sera la fraction continue

voilà donc du moins des fractions continues dont on sait immédiatement assigner le produit.

2.o On a vu aussi (pag. 236) que

donc, la m.me puissance de la fraction continue

est la fraction continue

voilà donc du moins une fraction continue dont nous savons assigner immédiatement une puissance d’un degré quelconque.

3.o Nous avons vu encore (pag. 237) que

donc, si l’on a les deux fractions continues

le quotient de la division de la première par la seconde sera

voilà donc du moins des fractions continues que l’on sait immédiatement diviser l’une par l’autre.

4.o Nous avons vu enfin (pag. 237) que

donc la racine m.me de la fraction continue

est la fraction continue

encore, en réduisant

voilà donc du moins une fraction continue dont nous savons assigner immédiatement une racine d’un degré quelconque.

5.o Si, dans notre série, on fait elle se réduira à faisant donc les mêmes substitutions dans la fraction continue équivalente à sa m.me puissance ; il viendra, en changeant en

de là on conclura

ce qui, en changeant le signe de donnera cette autre expression,

6.o Si, dans notre série, on suppose simplement elle devient, changeant en

que l’on sait être égal à étant la base des logarithmes népériens ; faisant donc la même substitution dans la fraction continue, équivalente, nous aurons

ou, en simplifiant

de là on conclut

ou

ce qui, en changeant le signe de donne cette nouvelle expression

on en conclut, en posant

ou bien

résultats déjà obtenus par M. Bret, à la page 50 de ce volume ; mais dont notre procédé rend la loi beaucoup plus manifeste.

7.o On sait que

égalant celle valeur de au dernier des deux développemens que nous en avons obtenus ci-dessus, il viendra, en supprimant l’unité de part et d’autre et divisant ensuite par

faisant enfin l’indéterminée nous aurons

et par conséquent

8.o Si dans notre série fondamentale et dans le développement de sa m.me puissance, on fait , on aura

Si, au contraire, on fait, à la fois, , il viendra

Comme ces recherches ne présentent rien de difficile, nous croyons pouvoir nous dispenser de les pousser plus loin.


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  1. Voyez les Mémoires de l’académie de Berlin, pour 1776, page 236 ; voyez aussi le Traité de calcul différentiel et de calcul intégral, de M. Lacroix, deuxième édition, tome II, pag. 427.