Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/23

Chapitre XXIII


CHAPITRE XXIII.


Artifice des Ebugors pour s’emparer promptement
de la Ville aſſiégée.



Tous les efforts des Aſſiégeans n’avoient encore pû réuſſir, & le ſiége n’étoit guéres plus avançé que les premiers jours. Les Alliez comprirent á la fin que ce n’étoit point par la forçe qu’ils pouvoient réuſſir dans leur projet ; Ils employérent un autre moyen dont ils ſe promirent les plus heureux ſucces.

Dolus, an Virtus, quis il hoſte requirat[ws 1] ? Ils empoifonnérent les ſources qui fourniſſoient de l’eau aux Cythéréennes. Alors la contagion ſe répandit dans la ville. La Loréve ce fleau plus terrible que la famine & la guerre, fit bientôt des ravages affreux. En peu de tems la meilleure partie de la garniſon fut hors de combat. Les Hopitaux étoient remplis de malades. On ne reconnoiſſoit plus ces braves Guérierres tant elles étoient changées. Leurs viſages auparavant frais & vermeils, étoient devenus pales & livides. Leurs corps maigres & décharnés n’offroient á la vuë qu’un ſquélête hideux. Dans les horribles convulſions qui les agitoient, l’écume leur ſortoit par la bouche. Des inſomnies cruelles les empéchoit de trouver le moindre relache á leurs ſouffrances. Les mêts les plus flateurs leur étoient interdits ; á la place de ces liqueurs qui portent la joyë juſqu’au fond de l’âme. On ne leur préſentoit qu’une boiſſon fade & inſipide ; Dans ce triſte état elles n’avoient d’autre conſolation que de maudire á chaque inſtant les cruels auteurs de leurs maux. Il s’en trouva cependant qui quoi qu’atteintes du poiſon mortel, oſérent encore attaquer l’ennemi, & le firent repentir plus d’une fois d’avoir combattu contre elles.

Cependant le mal preſſoit de plus en plus ; les Cythéréennes furent conſulter le Grand Prêtre pour ſavoir comment elles pouroient trouver quelques remedes á leurs cuiſantes douleurs ; Il leur répondit, d’un ton grave, qu’il falloit avoir recours au Dieu Recumer ; Et qu’il falloit mériter la protection de cette Divinité bienfaiſante par les veilles, les abſtinences & ſur tout par de riches offrandes qu’on devoit apporter au Miniſtre qui ſerviroit de médiateur.

Mais les Aſſiégeans qui étoient parfaitement inſtruits de tout ce qui ſe paſſoit dans la Ville, profitérent de cette circonſtance pour livrer un aſſaut général. On diſpoſa toutes choſes pour cette expédition. Nous verrons dans le chapitre ſuivant, par quel heureux hazard les Cythéréennes. échapérent au malheur qui les menaçoit.


  1. Note de Wikisource : Ruse ou courage, qu’importe contre l’ennemi ? (VIRGILE, Énéide, liv. II, v. 390).