Analyses et Comptes Rendus — Du jugement des contestations contre l’administration et spécialement des tribunaux administratifs
Ce livre, qui a valu à son auteur le titre très prisé de docteur en droit de l’Université danoise, est avant tout un livre d’exposition. M. Ussing, qui a consacré à son travail de longues années d’études, analyse avec beaucoup de sûreté et de connaissance du sujet tout ce qui s’est écrit de plus saillant, à l’époque la plus récente, sur la juridiction administrative, et passe soigneusement en revue l’état actuel de cette juridiction dans les divers pays d’Europe. Il est arrivé à présenter ainsi, sous la forme d’un court résumé de 300 pages, un tableau de la doctrine, de la législation et de la jurisprudence, d’une fidélité de détail tout à fait remarquable. L’exposé du droit administratif français, notamment, est d’une exactitude extraordinairement rare chez un auteur étranger : peut-être n’y pourrait-on pas relever une seule erreur, même d’ordre secondaire.
M. Ussing ne conclut pas. Il serait injuste de dire que c’est le défaut de son livre, car cette absence de conclusions est certainement voulue, et l’auteur paraît même avoir pris un soin particulier de s’en abstenir. Il laisse au lecteur le soin de tirer celles qu’il voudra, et voici peut-être celles qu’on pourrait en dégager.
La première, c’est la constatation, qui n’a d’ailleurs rien d’inattendu, de l’existence d’une juridiction administrative dans tous les pays civilisés. Elle y est plus ou moins dissimulée, mais elle s’y rencontre toujours M. Ussing la fait voir jusqu’en Angleterre. Une seconde conclusion, c’est que, par contre, l’organisation et la compétence des juridictions administratives, si elles ont bien des points de rencontre, n’en sont pas moins extrêmement différentes d’un pays à l’autre. Ainsi, par exemple, en Allemagne, la compétence administrative s’étend à des litiges entre particuliers, lorsqu’ils portent sur une question de droit public. En France, à l’inverse, il arrive que le juge administratif connaît de litiges de droit commun, lorsque l’administration est en cause.
Ces deux constatations conduisent naturellement à une troisième : c’est que, si la juridiction administrative paraît être une nécessité, la définition de cette juridiction et le tracé de sa compétence constituent un des problèmes de droit les plus ardus. Sarwey, Laband, Jellinek, pour ne citer que les plus célèbres, s’y sont essayés ; et l’exposé de leurs doctrines, très bien fait par M. Ussing, laisse, malgré tout, une impression d’insuffisance et d’obscurité.
Peut-être cela tient-il à ce que le problème est complexe, et rebelle à toute formule de principe. C’est un fait d’une expérience courante que la compétence administrative, un peu partout, est composée de pièces et de morceaux. Mais il y a là plus qu’un fait : à y regarder de près, il ne peut guère en être autrement, et c’est la force des choses qui le veut. Comment, en effet, se pose la question ? M. Ussing le montre avec beaucoup de netteté, au début de son livre. Il s’agit de prononcer entre la puissance publique et les particuliers, de définir et de limiter les droits de celle-là, de protéger les droits de ceux-ci, soit pour les garantir des empiètements de l’administration, soit pour rappeler l’administration à l’exécution de ses obligations, soit enfin pour assurer le droit des citoyens de prendre part aux affaires publiques. Dans tout état fondé sur la reconnaissance du droit (Rechtsstaat), toutes ces questions doivent nécessairement avoir un juge. Mais quand il s’agit de constituer ce juge, une double difficulté s’élève tout de suite. D’abord, quel sera-t-il ? Car il faut, de toute nécessité, que le juge soit au dessus du justiciable, et qu’il s’en fasse obéir : il y a là un premier point qui touche à la constitution ; car plus, en effet, le juge ordinaire est dépendant du gouvernement, moins la situation constitutionnelle qu’il occupe dans l’État est élevée, moins aussi il est apte à juger des litiges administratifs. De plus, et voici un second point d’une extrême importance, et qui est trop souvent laissé dans l’ombre, que fera le juge, saisi du litige, et sous quelle forme et dans quels termes prononcera-t-il sa sentence ? Statuera-t-il en droit, non pas à l’encontre de l’acte administratif, mais à côté de cet acte, en le considérant comme inexistant, comme fait, par exemple, un tribunal qui maintient un propriétaire dans la jouissance de sa propriété contre une voie de fait injustifiée, ou qui refuse de prononcer une peine à raison de l’illégalité de l’arrêté auquel il a été contrevenu ? S’en prendra-t-il, au contraire, à l’acte administratif lui-même, pour l’annuler ? Recherchera-t-il la personne du fonctionnaire, pour lui infliger une peine ou le condamner à des dommages-intérêts : et derrière et au-dessus de ce fonctionnaire, pourra-t-il s’attaquer à l’administration même qui l’a institué, et faire remonter jusqu’à elle la responsabilité ? Pourra-t-il enfin, lorsque la nature du litige s’y prêtera, prononcer comme un juge civil, en réglant, par exemple, les comptes des parties sur un marché de fournitures ou de travaux publics ? Voilà ce qu’il faut considérer car dans ces divers cas, il n’opère pas de même, et le principe même de la fonction qu’il exerce est différent.
Si l’on tient compte, en outre, des raisons d’ordre secondaire et pratique, des connaissances particulières, notamment, qu’exige nécessairement le jugement d’un certain ordre de litiges ; des avantages de procédure tels que la simplicité, le bon marché, la célérité (malheureusement trop contestable) ; enfin de motifs transitoires et de circonstance, tels que ceux qui ont fait réserver aux tribunaux administratifs, en France, le contentieux des ventes domaniales, lors des confiscations en masse de la révolution, on tiendra à peu près l’ensemble des données du problème. C’est assez dire qu’il ne se prête pas à une solution uniforme ni à une formule. Les efforts intéressants des jurisconsultes de premier ordre qui l’ont abordé semblent être la confirmation de cette impossibilité. Aussi convient-il de faire à M. Ussing un mérite de ses réserves et de sa prudence. Grâce à cette sagesse, il a pu éviter toute théorie critiquable, et il s’est toujours tenu si près des bonnes sources, qu’en fait d’étude internationale sur le droit administratif, son livre est peut-être, jusqu’ici, ce qui s’est imprimé de meilleur.
la Cour de cassation.