Amours et Haines (1869)/L’Ivrogne
L’IVROGNE.
L’ivrogne va, perdu dans ses rêves sans nombre ;
D’indicibles pensers, il ne sait d’où venus,
Et d’étranges lueurs, de sa cervelle sombre
Sillonnent les coins noirs et les espaces nus ;
C’est une éclosion de bonheurs inconnus,
Faits d’à peu près certains et douteux comme l’ombre,
De hasards émergeant d’une rose pénombre,
D’impossibilités belles comme Vénus !
Pendant qu’il s’émerveille à suivre dans son âme
Les flottantes couleurs et les contours de flamme
Du songe magnifique, éblouissant et cher,
Les angles de trottoir, les volets de boutique,
Comme des chiens goulus en vain happent sa chair,
Lui sourit vaguement d’un sourire extatique.