Texte établi par J.-R. Constantineau (p. 5-Im1).


PRÉFACE



À mon Affectionné,


Jeune encore, mais courageuse et fière, je viens déposer à tes pieds, cette modeste gerbe de fleurs, épanouies sous les soins particuliers que par amour, je leur ai prodigués, dans l’espoir de te ramener à la joie, au bonheur.

Bien des fois, impressionnée de ton malheur, convaincue de ton innocence, indignée de l’indifférence de ceux qui te devaient, et par devoir et par reconnaissance, le plus sincère et cordial appui, j’ai essayé de te défendre, j’ai essayé de t’être utile, d’adoucir tes peines et les douleurs morales qui te déchiraient le cœur ; bien des fois, j’ai fait appel à tous les sentiments de mon âme pour ne pas me sentir découragée. Comme au soldat au champ d’honneur, il m’a fallu la bravoure et le sang-froid ; comme à la suffragette, il m’a fallu la ténacité et la persévérance ; comme l’avocat, j’ai dû avoir recours, à de multiples arguments ; il m’a fallu dis-je, faire usage de tout ce que mon talent inventif pouvait me suggérer ; tout cela, je l’ai fait, en dépit d’amis qui te trahissaient, en dépit de certaines gens qui dans l’espoir de recouvrer des piastres perdues par la baisse, sur les valeurs immobilières, ne se faisaient pas scrupule d’oser attaquer l’honneur de celui, que j’adorais, pour sa noblesse de sentiments — toi — mon affectionné !

La pitié qui n’agit pas, est une pitié stérile ; j’ai eu la volonté d’exécuter mes desseins ; je ne le regrette pas.

Je me rappelais alors, toutes tes paroles, toutes tes marques d’intérêt et de sympathie pour mon avenir ; j’avais présentes, à l’esprit, ces déclarations que tu me faisais, par un soir d’automne, et que je pourrais résumer par ces pensées de la Comtesse Mathieu de Noailles :


Il fera longtemps clair, ce soir, les jours allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s’enfuit,
Et les arbres surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le ciel blanc, et songent…

Les maronniers, sur l’air plein d’or et de lourdeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre,
On n’ose pas marcher ni remuer l’air tendre,
De peur de déranger le sommeil des odeurs.

De lointains roulements arrivent de la ville…
La poussière qu’un peu de brise soulevait,
Quittant l’arbre mouvant et las qu’elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.

Nous avons, tous les jours, l’habitude de voir,
Cette route si simple et si souvent suivie,
Eh pourtant, quelque chose est changé dans la vie :
Nous n’aurons plus jamais, notre âme de ce soir.


L’amour que je t’ai porté et que je te portais a été vainqueur ! Mes démarches n’ont pas été vaines ! Es-tu content ? Es-tu satisfait, ami ? Les consolations que ma main ont pu t’apporter, m’ont aussi réjoui le cœur, et m’ont fait voir combien tu étais digne d’estime d’amour et d’affection, par la gratitude avec laquelle tu as daigné les accepter.

Mon âme blessée dans ses sentiments, les plus sympathiques, par l’isolement dans lequel tu t’es trouvé, s’est toute envolée vers toi, pour t’apporter un léger baume, aux blessures de ton cœur, et te rendre la gaieté, qui te caractérisait, lorsque, assis, en ton « Home », tu te plaisais à écouter les faibles échos des notes musicales que je rendais…

Je ne pouvais me faire à l’idée de ne plus te revoir ; je ne pouvais me résigner à croire que tant de bonté, de douceur, d’esprit de travail et d’honnêteté put être si cruellement éprouvé ! Que de souffrances j’ai endurées, que de tourments ont envahi mon âme ! et alors, avec Louis Lecardonel, je pouvais dire : ………


....................
L’Universel ennui creuse son ride en moi,
L’espoir sans s’arrêter, passe devant ma porte ;

Le jour, quand il renaît, m’inspire de l’effroi ;
La nuit roule sur moi, pleine d’horreur, glacée,
Je marche comme en rêve et sans savoir pourquoi.

Ah ! qui l’emportera dans le Ciel, ma pensée ?
Qui fera s’égayer au doux soleil, mon front ?
Qui la délivrera, ma poitrine oppressée ?

Enguirlandés de fleurs, les printemps passeront,
Puis, les étés ardents, puis les automnes graves.
Mais sans charmer mon âme, ils se succèderont :
....................
....................
....................
Mon Dieu ! Venez remplir ce néant désolé !


Ce petit volume que je te dédie, mon affectionné, te dira, par ce que tu pourras lire et sur les lignes et entre les lignes, tout ce que j’ai souffert pour toi, et avec quel esprit j’ai souffert, et tout ce que j’étais disposée à souffrir pour toi !

Que ce soit là mon affectionné la preuve la plus tangible, la plus sincère de l’amour que je t’ai porté.

L’amour et l’esprit de reconnaissance ont été le mobile de toutes mes démarches de toutes mes exécutions de tes désirs, de tous mes sacrifices, je ne les regrette pas, car mon Amour a été Vainqueur !

Et je goûte l’agrément de voir, près de moi mon affectionné, joyeux et fier.

Une vie basée sur l’amour des principes et du droit ne saurait périr ignominieusement !

La durée de la vie des roses est éphémère, mais la durée de l’amour que je ressens pour toi, est et sera immuable, éternelle.

Puissent ces lignes te servir de consolations, de défense et de vengeance contre ceux qui ont voulu attaquer ce qu’il y avait de plus sacré et de plus noble, chez toi, mon affectionné, et te servir en même temps de preuve éclatante et convaincante de l’amour que je t’ai porté contre les basses calomnies dont tu as été l’objet surtout de la part de gens incapables, ignorants et jaloux.

Que les années essaient de détruire ce témoignage d’amitié que je te porte !

Que l’ironie du sort essaie de te faire souffrir, jusque dans tes sentiments les plus fiers !

Que l’abandon, par calcul ou intérêt ou honte, essaie de te faire mourir de chagrin !

La lecture, seule de ces lignes, te convaincra que je t’ai aimé, te rassurera de la sincérité de l’estime que j’ai eue pour toi, et te persuadera que l’espérance que j’ai portée en ton cœur a contribué à te rendre fort pour lutter énergiquement contre ces événements que devaient te faire — plus grand, aux yeux des gens intelligents !

Puisse ce souvenir de jours malheureux, te rappeler les sacrifices que j’ai faits, sans espoir de récompense, pour toi et ton avenir uniquement, parceque mon cœur épris des sentiments idéalistes qui envahissaient le tien, désirait ton bonheur, qui par le fait même, fait le mien.

L’adversité retrempe les âmes, c’est pourquoi l’amour que je t’ai porté, a grandi encore, tu m’apparais plus digne, et plus noble !

La noblesse de mon amour, le désintéressement personnel au gain de la cause, me fait espérer que Celui qui sait punir les coupables, défendre les opprimés, saura nous accorder la faveur de jouir encore longtemps, du bonheur que nous avons goûté depuis que nous nous connaissons.

Avec l’espoir de voir la réalisation de nos vœux accomplis, je me plais à te répéter ces mots « Je t’aime ».

Pour la vie,
VIRGINIE.

« comme au soldat au champ d’honneur, il m’a fallu la bravoure et le sang froid »
« comme au soldat au champ d’honneur, il m’a fallu la bravoure et le sang froid »