Allumez vos lampes, s’il vous plaît !!!/11

Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 33-34).

LETTRE DE J.-HECTOR HAMEL, 16 octobre 1920


Les exigences des parents et des commissions scolaires. — Veut-on établir un autre règlement XVII ?… Peut-on négliger l’opinion de ceux qui font de l’enseignement primaire l’œuvre de leur vie ?

Le Soleil, 16 octobre 1920.


III


Le mémoire des provinciaux des Frères ajoute : « C’est une concession faite aux exigences des parents et des commissions scolaires. »

Voilà des hommes qui parlent sensément et qui agissent de même. Qui peut les blâmer de ne pas s’opposer aux légitimes désirs de ceux qui leur confient leurs enfants ? C’est fort bien de dire qu’il faut former des Canadiens français à la mentalité française. Aucun éducateur de notre race ne s’y oppose, que nous sachions, les Frères enseignants moins que personne, malgré les malveillantes insinuations dont on les gratifie depuis une couple d’années. En gens pratiques qu’ils ont toujours été, ces modestes instituteurs savent que l’avenir n’est pas aux beaux discoureurs, mais à ceux qui s’arment pour les combats de la vie. À quoi sert de bien parler, si, ne pouvant rien faire autre chose, on se voit contraint de vivre aux crochets de la société ? Il faut toujours compter avec les moyens d’existence. Un de ces moyens pour nous Canadiens français, c’est de posséder l’anglais convenablement. Facilitons donc à nos enfants l’acquisition de cette langue seconde, en commençant à l’enseigner dès les premières années de l’école primaire.

Les auteurs du mémoire demandent que « l’anglais soit considéré comme matière fondamentale dans les études primaires. » Qu’est-ce à dire ? Cette expression a-t-elle toutes les significations odieuses qu’on lui a prêtées ? Veut-on poser l’anglais comme la base de l’enseignement ? Veut-on mener de front l’étude de l’anglais et de la langue maternelle ? Veut-on que professeurs et élèves communiquent entre eux par l’anglais ? Veut-on établir un autre règlement XVII, quoi ? Personne ne le croit, pas même ceux qui inventent ces chimères et qui savent fort bien que là n’est pas l’idée des respectables auteurs du mémoire. Mais, alors, fait-on surgir ces fantômes pour le simple plaisir de poser au héraut, ou pour se procurer la douce sensation de se sentir serrer la main par-delà la quarante-cinquième ? Le moyen ne serait pas en proportion avec la fin.

Qu’ont donc voulu dire les Provinciaux en demandant que l’anglais soit matière fondamentale ? Tout simplement que l’anglais ne serait pas matière facultative et qu’il figurerait dans les questions posées aux examens de promotion au cours moyen. Voilà, croyons-nous, toute la signification de ce mot du mémoire, et il n’y a pas lieu de ferrailler contre ce moulin à vent.

Les professeurs de Montréal corroborent, avec des variantes, les suggestions des Frères enseignants. Ces divergences légères dans l’application du même principe prouvent d’abord qu’il n’y eut aucune entente entre les deux partis ; elles révèlent aussi une concordance de mentalité.

Voilà donc, appuyant les Provinciaux, héritiers d’une pédagogie vieille de deux siècles et sans cesse perfectionnée, voilà donc un puissant corps de professeurs, non pas théoriciens en chambre, mais réalisateurs en classe…

Mais tous ces praticiens n’y entendent rien. Ce sont « tous gens qui se gobent et croient tout savoir en ignorant tout. »[1] Et à cause de leur inexpérience, sans doute, on ne veut pas compter avec eux pour une modification essentielle du programme qu’ils enseignent, et on refuse de considérer leurs idées autrement que pour les flétrir.

Est-il donc prouvé que ceux qui passent leur vie dans notre enseignement primaire soient incompétents et nuisibles même, au point de mériter d’être traités de la sorte ? Nous ne croyons pas que les représentants de l’enseignement secondaire prétendent au privilège de la pédagogie infuse. Mais ne serait-ce pas, chez eux, un impair autant qu’une injustice que cette insistance à régler une question de l’enseignement primaire contre l’avis de ceux qui seuls, peut-être, détiennent toutes les données du problème, pour avoir fait de cet enseignement l’œuvre de leur vie ? C’est pour cela, tout autant que « pour témoigner un sentiment de piété filiale envers leurs anciens directeurs, » que les élèves des Frères ont protesté contre les articles de Mgr Ross.

J.-Hector Hamel,
ancien instituteur.

  1. « Le Devoir », 9 octobre 1920.