Allez-vous-en (Verhaeren)

Les Blés mouvantsGeorges Crès et Cie (p. 134-136).
ALLEZ-VOUS-EN


 
Allez-vous-en, allez-vous-en,
L’auberge entière est aux passants.

— Elle est à nous, elle est à nous,
Depuis bientôt trois cents années.
Elle est à nous, elle est à nous,
Depuis la porte aux longs verrous,
Jusqu’aux faîtes des cheminées.

 
— Allez-vous-en, allez-vous-en,
L’auberge entière est aux passants.

— Nous en savons, nous en savons,
Les ruines et les lézardes,
Mais c’est nous seuls qui prétendons
En remplacer les vieux moellons
Des bords du seuil jusqu’aux mansardes.

— Allez-vous-en, allez-vous-en,
L’auberge entière est aux passants.

— Nous vénérons ceux qui sont morts
Au fond de leurs grands lits de chêne,
Nous envions ceux qui sont morts
Sans se douter des cris de haine
Qui bondissent de plaine en plaine.

 
— Allez-vous-en, allez-vous-en,
L’auberge entière est aux passants.

— C’est notre droit, c’est notre droit,
D’orner notre enseigne d’un Aigle ;
C’est notre droit, c’est notre droit,
De posséder selon les règles,
Plus qu’il ne faut d’orge et de seigle.

— Allez-vous-en, allez-vous-en,
Gestes et mots ne sont plus rien.
Allez-vous-en, allez-vous-en,
Et sachez bien
Que notre droit, c’est notre faim.