Aline et Valcour/Lettre XLVII

Chez la veuve Girouard (Tome 4p. 97-100).

LETTRE XLVII.


Madame de Blamont à Valcour.

Paris, ce 26 janvier.


On ne m’a point déguisé la visite qu’on vous a faite. J’attendais… On m’en parla avant-hier, et comme le ton n’avait point changé, je ne voulais rien dire qu’on ne me prévint ; mais on ne m’a pas dit un mot des cinq-cents louis, encore moins de tout ce qui a pu ressembler à l’humeur ; on s’est contenté de me dire qu’on avait voulu vous voir pour vous engager à renoncer à des prétentions qui ne vous allaient nullement, et qu’il avait été impossible de vous vaincre. On m’a prié d’y travailler ; et sans dureté, sans humeur, on m’a dit qu’il était de mon devoir de m’opposer à de certains rendez-vous dont on était sûrs… Je les savais ces entrevues, mon ami : et j’espère que vous étiez bien persuadé que je ne les ignorais pas ; vous n’auriez pas voulu qu’Aline vous les proposât à mon insçu ; assurément ils sont bien simples, et je serois loin de vous les interdire si vos propres intérêts ne m’y contraignaient ; il faut faire encore plus, Valcour, il faut éviter de beaucoup sortir d’ici, jusqu’à ce que l’orage soit dissipé ; je n’ai point de preuves certaines du courroux de l’homme que nous craignons, mais avec un tel caractère, avec autant de fourberies, le calme même ne doit pas nous en imposer ; aucun de ses systêmes ne m’étonne, il ne m’a que trop appris jusqu’où l’abandon des principes peut conduire un cœur comme le sien. Cela me fait voir le cas qu’il faut faire de ses caresses ; mais s’il ne les fait que par faussetés,… qu’il soit bien convaincu que je ne les reçois que par politique, et que je le traiterois comme il mérite de l’être, sans la contrainte où m’engagent les intérêts de mes enfans.

Je conçois toute la peine que vous avez eue à vous modérer, et pourtant vous y avez encore mis trop de chaleur ; il me le déguise, et cela m’inquiète. Il est parti hier pour Blamont, en m’assurant que Sophie n’y étoit plus, quoiqu’il soit très-certain qu’elle y est encore ; il y a quelques jours que je reçus une lettre d’elle, partie de sa retraite, et qui me fut remise avec le plus grand mystère, je ne vous l’envoyai point, parce qu’elle ne contenoit que les particularités de son enlèvement, que vous saviez déjà ; j’ai trouvé le moyen d’avoir une correspondance sûre à Blamont : on me fera passer les lettres de cette malheureuse fille, et l’on m’instruira exactement de tout ce qui la concernera. Dans ce moment-ci elle y est, et le président y va… il y va, et m’assure qu’elle n’y est pas,… et ses attentions pour moi ne diminuent point…… Oh ! mon ami, ces détours sont-ils constatés ? Ses faussetés sont-elles manifestes ?… Et nous ne frémirions pas ! Oh ciel ! tout est fait pour nous inspirer les plus vives craintes…… Je veux savoir avant de fermer ma lettre si Dolbourg est du voyage……

On arrive… Non, il n’en est point, le président part seul et Dolbourg ne doit pas même bouger de Paris… À quel propos cette visite… Malheureuse Sophie, les titres que l’on te croit te garantiront ils des fureurs de ce débauché ? Ne se repend-il pas de t’avoir respectée comme maîtresse de Dolbourg, et ces liens ont-ils brisés l’idée du crime. — (Heureusement imaginaire.) — Ne va-t-elle pas enflammer sa perfide imagination ?……

Il faut que je vous parle de mon Aline, ma tête a besoin de se reposer sur la vertu, en venant d’être obligé de concevoir le crime… Elle vous embrasse ; elle est un peu tourmentée…… Elle ne sait pourtant rien de votre scène,… mais elle apperçoit, comme sa mère, du louche dans tout ceci… Consolée de vous voir un instant toutes les semaines, il lui déplaît d’être obligée d’y renoncer ; elle vous exhorte néanmoins au même courage qu’elle, et nous vous embrassons toutes les deux.