Adresse de la Ville de Fontainebleau à l’Assemblée nationale

ADRESSE
DE
LA VILLE DE FONTAINEBLEAU
À L’ASSEMBLÉE NATIONALE.





Messieurs,


Il n’est peut-être pas de ville qui, du côté de l’intérêt, perde plus à la révolution, que celle de Fontainebleau. Mais tous les sacrifices qu’il lui a fallu faire au bien public, elle s’était depuis long-tems empressée de les lui offrir ; et elle n’en regrette certainement aucun. Ce ne sont donc pas des plaintes qu’elle vous adresse, Messieurs, c’est votre justice uniquement, et une justice nécessaire, qu’elle réclame.

Fontainebleau est peut-être la ville la plus peuplée du département de Seine et Marne. De tout temps son Tribunal ordinaire était considéré par les Cours supérieures à l’égal d’un Baillage : il connoissoit de toutes les affaires civiles et criminelles indéfiniment. Fontainebleau avait en outre un Tribunal particulier pour la Police. Il en avait un autre très-étendu pour les Eaux et forêts : un autre pour les Chasses. Enfin pendant les voyages du Roi, le Tribunal de la Prévoté de l’hôtel, expédiait toutes les affaires civiles et criminelles, où pouvaient être parties les personnes attachées à la Cour ; et il était seul chargé de la Police.

Tous ces Tribunaux nécessaires à la ville de Fontainebleau sont ou vont être supprimés ; et, si vous ne daignez y faire attention, Messieurs, remplacez…. Par qui ? par deux juges de paix seulement : juges que, dans vos principes, vous avez essentiellement institués pour les campagnes, où la compétence que vous leur avez attribuée, paraît en effet les rendre suffisans ; mais non pour une ville que des considérations de tout genre font sortir de la classe ordinaire. Des deux sources d’existence ses Privilèges et les voyages du Roi qui ont jusqu’ici soutenu sa nombreuse population, la principale est entièrement tarie ; et l’autre bien épuisée. Mais votre justice, Messieurs, peut encore compenser tant de pertes, en lui accordant le Tribunal que sa population, sa position, l’espèce de ses habitants, la nature de leurs revenus, les affaires multipliées que fait naître leur renouvellement continuel, lui rendent indispensable. Fontainebleau n’a point le bonheur d’avoir parmi vous aucun représentant tiré de son sein ; mais vous l’êtes devenus tous, Messieurs, de tous les français : Et quand la justice vous sollicite, c’est toujours votre patrie, ce sont toujours vos concitoyens qui réclament et qui sont certains de vous intéresser à leurs demandes.

C’est cette confiance si bien méritée qui enhardit la ville de Fontainebleau à s’adresser directement à vous, Messieurs, sans autre intermédiaire que son bon droit.

Si une ville rivalle, non contente des richesses foncieres et industrielles que lui procurent la fertilité de son sol, et son heureuse situation ; non contente d’être en même tems chef lieu de Département et de District, contre le vœu unanime de tout le Département ; si cette ville, cherchant encore à accumuler tous les établissemens qu’il est dans les principes de votre sagesse de repandre également sur la surface des Pays qui attendent de vous leur prospérité, objecte à Fontainebleau que sa position à l’extremité du District, ne le rend pas propre à en recevoir le Tribunal : Il repondra que s’il n’est pas au centre des proprietés, on peut le considerer comme etant au centre des justiciables ; au centre des délits les plus fréquens et des discussions les plus delicates. Il répondra qu’il est au centre de sept grandes routes qui le rendent de toutes parts de l’accès le plus facile pour plus de trente paroisses qui l’entourent, à environ deux lieuex dumoins de distance et dont les habitans sont obligés de se rendre réguliérement trois fois la semaine à ses marchés. Il répondra que c’est cette position centrale qui en avoit fait le chef-lieu d’une des plus fortes subdélégations de la généralité de Paris et de correspondance pour l’assemblée provinciale de l’Isle de France. Qu’à raison de cette même position, la brigade de Maréchaussée y est plus considérable que dans la plupart des autres villes. Que dans ce moment-ci même, le Département l’a reconnu comme le lieu le plus commode pour la station des troupes chargées d’appaiser les troubles de Nemours et aux environs. Il répondra que la forêt seule, que les seuls voyages du Roi y nécessiteraient ce Tribunal, lors même qu’il ne serait pas nécessaire à son existence, et à l’indemnité des pertes incalculables que lui cause la révolution. Pertes qu’il supporte avec un tel courage, que sa contribution patriotique montant à plus de cent quarante mille livres, le tiers en est déjà à-peu-près acquitté, vaut peut-être celle de tout le Département. Enfin il répondra que la réserve et l’inégalité avec lesquelles les districts y ont été distribués, sont les seules causes qui ont empêché Fontainebleau d’être lui-même chef-lieu de District ; ou plutôt que cette réserve et cette inégalité n’ont eut lieu que pour qu’il ne le fût pas ; car beaucoup de Départements moins considérables, ont communément jusqu’à sept Districts : et dans celui de Seine et de Marne, de cinq seulement dont il est composé, l’inégalité entr’eux est telle, qu’à l’assemblée Électorale les seuls Districts de Meaux et Melun, ont fourni 252 Électeurs ; tandis que ceux de Rosoy, Provins, et Nemours, n’en ont donné que 258. D’où il résulte que les deux premiers se coalisant, doivent faire nécessairement dans les élections, et par suite dans toutes les parties de l’administration, la loi à tout le Département. D’où l’on doit conclure qu’il sera fait incessament, une nouvelle et plus exacte Division, dans le Département de Seine et de Marne : et que si le vœu de plusieure villes et paroisses voisines données à celui de Seine et Loise, et qui, à raison de leurs convenances fondées sur la proximité, demandent à se réunir au premier, est écouté, il faudra y établir un sixième District, dont Fontainebleau deviendrait sans difficulté le Chef-lieu.

En attendant, il ose présumer que vous n’en verrez aucune, Messieurs, à faire à son égard ce que vous avez déjà fait quantité d’autres endroits qui sembloient devoir beaucoup moins y prétendre ; et auxquels vous avez donné le Tribunal du District, quand vous n’avez pu y établir l’Administration : d’autant mieux que sans cet établissement, Fontainebleau ne pourrait absolument plus subsister encore longtems.

MONTMORIN, maire.
BENARD, Avt. Off. Municip.
LEBAIGUE, Capitaine des Grenadiers et Notable.

Députés de la ville de Fontainebleau.



De l’Imprimerie de PAIN au Palais-Royal No145