Adresse aux abonnées du « Canadien »

Adresse aux abonnées du « Canadien »
Adresse aux abonnées du « Canadien »Le Canadien, édition du 4 janvier (p. 1-11).

Adresse aux Abonnés du « Canadien. »


Quand la nuit se fait belle au bord du Saint-Laurent,
Voyez-vous quelquefois au fond du firmament
Courir ces météores,
Fantômes lumineux, esprits nés des éclairs,
Qui dansent dans la nue étalant dans les airs
Leurs manteaux de phosphores !

Parfois, en se jouant, ils offrent à nos yeux
Des palais, des clochers, des dômes radieux,
Des forêts chancelantes,
Des flots d’hommes armés pressant leurs bataillons,

Des flottes s’engouffrant dans les vastes sillons
Des ondes écumantes…

Mais tandis qu’admirant leurs jeux toujours nouveaux,
Votre âme s’intéresse aux magiques travaux
De leurs essaims sans nombre,
À vos regards charmés se dérobant soudain,
Comme un léger brouillard sous les feux du matin,
Ils s’effacent dans l’ombre.
___

Tels que l’ange déchu, spectres bannis des cieux,
Quel présage ont porté vos flancs mystérieux ?
___


De l’humaine vie
Qui toujours varie
Son tableau mouvant,
Ils tracent l’image
Où le sot, le sage
Inculte ou savant,
Poursuivent sur terre
Chacun sa chimère
Qu’emporte le vent.


J’y vois de l’enfance
Riche d’espérance
Les joyeux ébats ;
L’ardente jeunesse
Y trouve l’ivresse
De ses premiers pas,
Et l’homme plus grave,
Roi, berger, esclave,
Ses rudes combats.


J’y vois de l’année
Hier terminée
L’aurore et la fin,
Ses luttes sanglantes
Bientôt renaissantes…
Peut-être demain !
Dont la brise apporte
Jusqu’à notre porte
Un écho lointain.


Ris, grandeurs et gloire,
Coupes où vont boire
Les sens éperdus,
Trésors de ce monde,
Où l’homme en vain fonde
Ses vœux assidus,
Ainsi tout s’envole
Avec l’auréole
De nos jours perdus.
___


Ils sont passés… qu’importe ? Oh ! pélerin débile,
S’ils t’ont laissé cueillir quelques fruits, quelques fleurs,
Combien de fois, hélas ! dans le sentier stérile
N’ont-ils pas vu couler tes pleurs !
Pourquoi regrettons-nous chaque instant qui s’achève ?
Un jour plus pur déjà se lève :
Chantons, saluons l’avenir !
Ainsi quand nous voyons l’iris de nos prairies
Couvrir le sol glacé de ses tiges flétries,
C’est qu’il va bientôt refleurir.


Vers celui qui pour nous fit jaillir la lumière
Des germes du chaos où nous dormions encor,
Humble tribut d’amour, qu’une vive prière
De nos cœurs prenne son essor.
De ses nouveaux bienfaits offrons-lui les prémices :
L’encens des pompeux sacrifices
S’élève moins haut vers le ciel
Que les parfums d’une âme où la reconnaissance
Des plus douces vertus compose leur essence,
Comme l’abeille fait son miel.


Prions pour que la paix, ainsi qu’un bon génie,
De son sceptre toujours protégeant nos foyes,
Nous éparque le sort de la noble Italie
Qui saigne encor sous ses lauriers !
Prions pour qu’à l’abri du fléau de la guerre,
L’auguste héritage de Pierre
Survive aux coups des factions…
Mais que dis-je ? Oublions leur fureur impuissante
Puise pour le sauver une main prévoyante
Fait et défait les nations.


Bien des siècles déjà sur la ville éternelle
Ont passé sans flétrir ou changer ses destins ;
Déjà bien des poignards se sont levés sur elle
Sans lui ravir ses droits divins…
Telle on voyait naguère au centre du village
Où le plus effrayant carnage
Reçut le nom de Magenta,
De la reine du ciel la suave peinture
Au milieu des débris, souriant calme et pure
Des flots de sang qu’il en coûta.

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Saluons l’avenir ! Dans sa course rapide
Le temps entraînera ces nouvelles horreurs,
Du pontife sacré la souffrance et les pleurs,
Et de ses ennemis le projet parricide.
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Mais vous, peuples heureux des bords du St. Laurent,
Quand la nuit vous verrez au fond du firmament
Courir les météores,
N’oubliez pas, amis, que nos jours sont comptés,
Et s’enfuiront soudain comme sont emportés
Ces mobiles phosphores.


L. J. C. Fiset.