Traduction par A.-F. d’Albert-Durade.
É. Dentu — H. Georg (tome IIp. 274-275).

CHAPITRE XLVII

le dernier moment

Ce fut un spectacle dont quelques personnes se rappelèrent plus même que de leurs propres peines, celui qui se vit dans cette claire matinée, quand la multitude qui attendait le char fatal le découvrit portant les deux jeunes femmes, se frayant un chemin vers les hideux symboles de cette mort soudaine infligée volontairement.

Tout Stoniton avait entendu parler de Dinah Morris, la jeune méthodiste qui avait amené la criminelle obstinée à tout avouer, et il y avait autant d’empressement pour la voir que pour l’infortunée Hetty.

Mais Dinah remarquait à peine la multitude. Quand Hetty aperçut cette immense foule à distance, elle se serra convulsivement contre Dinah.

« Fermez les yeux, Hetty, dit celle-ci, et ne cessons point de prier Dieu. »

Et à voix basse, tandis que le char s’avançait lentement au milieu de la foule qui regardait, elle épanchait son âme dans la puissante intercession d’un dernier plaidoyer auprès du Sauveur, en faveur de la tremblante créature qui s’attachait à elle comme au seul signe visible d’amour et de pitié.

Dinah ne savait pas que cette foule silencieuse la regardait avec une espèce de vénération ; elle ne savait même pas combien elles étaient près de la place fatale lorsque le char s’arrêta, et elle tressaillit épouvantée par une immense clameur, aussi affreuse à entendre qu’un puissant hurlement de démons. Un cri perçant d’Hetty se mêla à cette vocifération et elles s’étreignirent dans une épouvante commune.

Mais ce n’était point un cri de malédiction, ce n’était point celui de la cruauté triomphante.

C’était une acclamation d’intérêt à la vue d’un cavalier fendant la foule au grand galop. Le cheval est en nage et abîmé, mais répond à l’éperon impatient ; le cavalier a les yeux comme étincelants de folie et excités par la connaissance de ce que tous ignorent. Regardez, il tient quelque chose à la main, il le tient en l’air comme si c’était un signal.

Le shériff le connaît : c’est Arthur Donnithorne apportant la grâce, une grâce obtenue avec difficulté, celle de la mort seulement.