Adélaïde (Henri Blaze de Bury)

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ADÉLAÏDE.

Beethoven n’écrivait pas toujours l’ouverture de Coriolan ou la partition de Fidelio ; son âme passionnée, aux heures de quiétude, aimait à rêver dans les bois, à se reposer dans une œuvre douce et facile du grand travail des symphonies. Alors s’éveillaient en lui des voix mélodieuses qu’il revêtait pour nous d’une forme visible, chastes créations qu’il pétrissait avec une larme. Dans le moindre jet de l’arbre du génie, on retrouve la sève qui monte aux divins rameaux dont il fait sa couronne. Les cantates et les fragmens de Beethoven, comme les poèmes et les sonnets de Shakspeare, suffiraient à la gloire immortelle d’un homme. Maintenant quelle est cette Adélaïde, cette dame mystérieuse qu’il chante avec tant d’amour aux heures de loisir ? Qui nous l’expliquera ? Il est de par le monde des êtres inquiets, peu nés pour la poésie, avides surtout de science, occupés sans cesse à remuer le sol, au lieu de respirer les lis qui fleurissent à la surface ; esprits possédés par le démon de l’analyse, incapables de s’asseoir près du lac et de rester un jour à contempler le beau ciel qui se mire dans la sérénité des flots ; non, il faut qu’ils aillent chercher le sable et les graviers du fond, au risque de troubler en plongeant le beau cristal limpide. Si vous leur demandez ce que c’est qu’Adélaïde, ils vous répondront que c’est une allégorie de l’amour de la nature, une incarnation du panthéisme ; ils ont bien prouvé que Béatrix, c’était l’empire ; Laure, la théologie ! que sais-je ? Pour moi, ces préoccupations me troubleraient singulièrement dans l’étude d’une œuvre de poésie. Ah ! que j’aime bien mieux voir dans Adélaïde une chaste et douce créature que Beethoven aimait. N’est-ce pas, Beethoven, que tu l’as aimée Adélaïde ? Elle avait quinze ans quand elle mourut, et depuis le souvenir de cet être charmant est resté dans ton ame. Chaque fois que le dieu te laissait en repos, cette image gracieuse et consolante venait s’asseoir à tes côtés, et sa pensée a germé en ton cœur, jusqu’à ce qu’un matin de rêverie et d’amour, elle ait pris son efflorescence en cette divine cantate que nous adorons tous. Un jeune homme est assis au bord d’une prairie heureuse, le soleil se lève, les oiseaux commencent à chanter, et la nature, dans les mille facettes de son divin miroir, semble ne refléter que sa pensée. L’instrument ne vibre que sous sa main. Le souvenir de sa dame emplit le monde, il respire son haleine dans les fleurs, voit son front gracieux dans chaque perle de rosée, et suit les plis flottans de sa robe dans les vapeurs que le matin dissipe. Qui ne connaît cette chanson divine où Pétrarque raconte les mille apparitions de sa Laure chérie ? Il va par la campagne et l’aperçoit accoudée sur des touffes de lilas et de roses ; les rameaux se ploient et s’inclinent pour caresser son front ; les fleurs lèvent la tête pour répandre leur rosée à ses pieds ; la nature et lui la complimentent. Eh bien ! Adélaïde est une inspiration de ce genre ; seulement la forme qui la revêt est plus vague et flottante. La poésie de Pétrarque est naïve et pure, pleine de calme et de sérénité ; la musique de Beethoven a plus de tristesse et de mélancolie. Ces œuvres jumelles, quant au fond, se séparent par l’exécution de toute la distance qui existe entre l’esprit italien et le génie allemand. Le vêtement de Laure est fait de lin ; la robe qui flotte autour d’Adélaïde est toute de vapeur. On sent dans la chanson l’influence du ciel qui mûrit les oranges ; dans la cantate, on respire l’exhalaison humide qui s’élève au matin des campagnes du Nord. Adélaïde est une inspiration tout allemande, et c’est pourquoi les paroles du traducteur italien ont si mauvaise grâce. La langue italienne, arrêtée et sonnante, ne s’accommode nullement au caractère mélancolique de cette rêverie. Il semble qu’une main ait enlevé quelque chose au parfum primitif de la fleur pour y verser une essence étrangère. À cette mélodie ample et traînante, il faut de simples ornemens, des perles d’une lueur timide et tremblotante ; les joyaux italiens ont un éclat trop vif dont le regard s’offense. Rubini rend la pensée de Beethoven avec un sentiment admirable ; il y met toute sa voix, toute sa passion, toutes ses larmes. L’idéal serait atteint, s’il pouvait un jour la chanter dans la langue de Beethoven. Maintenant, qui que tu sois, Adélaïde, grâce à ton amant divin, une auréole harmonieuse te sanctifie, et ta place est marquée au ciel sur un trône de lumière entre la Laure de Pétrarque et la Béatrix d’Alighieri.


H. W.