Acajou et Zirphile/Épître au Public


EPÎTRE AU PUBLIC.



Un auteur instruit de ses devoirs, doit vous rendre compte de son travail : je vais donc y satisfaire. Excité par l’exemple, encouragé par les succès dont je suis depuis long-tems témoin & jaloux, mon dessein a été de faire une sotise. Je n’étois embarassé que sur le choix. Politique, Morale, Litterature, tout étoit de mon ressort, pour parvenir au but que je me proposois ; mais ce qu’il
y a d’admirable, c’est que j’ai trouvé toutes les matieres épuisées par des gens qui sembloient avoir travaillé avec les mêmes vües que les miennes. Je trouvois des sotises en tout genre, & je me suis vû presque dans la nécessité d’embrasser le raisonnable pour être singulier, de sorte que je ne désespere pas qu’on ne parvienne à trouver la vérité à force d’avoir épuisé les erreurs.

J’avois d’abord eu dessein de faire un morceau contre l’Érudition, pour me donner l’air d’un génie libre, indépendant, fécond par lui même, & qui ne veut rien devoir aux secours étrangers ; mais j’ai remarqué que c’étoit un lieu commun, trop usé, inventé par la paresse, adopté par l’ignorance, & qui n’ajoute rien à l’esprit.

La Géométrie qui a succédé à l’Érudition, commence à passer de mode. On sait à présent qu’on peut être aussi sot en résolvant un problême, qu’en restituant un passage. Tout est compatible avec l’esprit, & rien ne le donne.

Pour le Bel esprit, si envié, si décrié & si recherché, il est presqu’aussi ridicule d’y prétendre, que difficile d’y atteindre.

On méprise l’Érudit, le Géometre ennuye, le Bel esprit est siflé, comment faire ?

J’étois tout occupé de ces réflexions & de mon projet, lorsque le hasard a fait tomber entre mes mains un recueil d’Estampes, qui sans doute, ont dû être faites pour quelqu’Histoire fort ancienne, du moins je n’en connois point de moderne à laquelle elles pussent convenir : j’ai extrêmement regretté un si rare morceau, mais comme il n’y a pas d’apparence de le retrouver j’ai tâché d’imaginer sur les Estampes quel en pouvoit être le sujet, & d’en deviner l’Histoire, qui sera peut-être aussi vraie que bien d’autres. Cependant comme je pourrois bien n’avoir pas deviné juste, je ne donnerai ceci que pour un Conte.[1] Je ne sais, mon cher Public, si vous approuvez mon dessein ; cependant il m’a paru assez ridicule pour mériter votre suffrage ; car à vous parler en ami, vous ne réünissez tous les âges que pour en avoir tous les travers. Vous êtes enfant pour courir après la bagatelle ; jeune, les passions vous gouvernent ; dans un age plus mur, vous vous croyez plus sage, parce que votre folie devient triste, & vous n’êtes vieux que pour radoter ; vous parlez sans penser ; vous agissez sans dessein, & vous croyez juger parce que vous prononcez.

Je vous respecte beaucoup, je vous estime très-peu ; vous n’êtes pas digne qu’on vous aime ; voilà mes sentimens à votre égard : si vous en exigez d’autres, je suis votre très-humble & très-obéissant serviteur.**



  1. Les Estampes ont été faites originairement pour un Conte qui a été imprimé, & dont il n’a jamais été tiré que deux Exemplaires. On a essayé de faire un autre Conte sur les Estampes seules : c’est celui qu’on va lire.