Académie des sciences – Séance hebdomadaire/19

24 novembre 1873

1er  décembre 1873

8 décembre 1873

ACADÉMIE DES SCIENCES
Séance du 1er décembre 1873.

M. Delarive. — Les sciences viennent de faire une grande perte. M. Auguste Delarive est mort jeudi dernier, des suites d’une attaque de paralysie, qui l’avait frappé il y a trois semaines environ. M. Dumas, en quelques paroles touchantes, a retracé les services éminents rendus par l’illustre savant suisse durant sa longue carrière. Le secrétaire perpétuel était particulièrement désigné pour remplir cette tâche, ayant entretenu depuis 1816 des relations intimes avec M. Delarive. La vie de celui-ci a été tout entière consacrée à l’étude de l’électricité, et parmi les innombrables mémoires qu’il a écrits, deux découvertes constituent spécialement ses titres de gloire. L’une est relative à l’application industrielle de l’or et de l’argent par voie galvanique à la surface du laiton, et c’est l’origine d’une des industries les plus florissantes ; l’autre a pour objet l’influence des aimants sur la décharge électrique produite dans le vide, et il en est résulté une explication brillante des aurores boréales. La fortune de M. Delarive était sans réserve au service de la science, non-seulement en procurant à son possesseur les moyens expérimentaux les plus larges, mais aussi en lui permettant de venir en aide à toutes les personnes désireuses de contribuer aux progrès de la science, et, enfin, en mettant M. Delarive à même de fonder à Genève un véritable centre scientifique international, où tous les savants européens ont toujours trouvé l’accueil le plus sympathique.

Les trombes et les taches solaires. — Dans une communication antérieure, M. Faye a déjà insisté sur l’analogie qui lui parait exister entre les trombes terrestres et les taches solaires. Celles-ci étant manifestement creuses, il faut, pour que la comparaison soit légitime, prouver que les taches solaires ont leur siège dans les hautes régions de l’atmosphère et se propagent de haut en bas, jusqu’à la rencontre du sol. On a peine à comprendre que les météorologistes aient précisément adopté la manière de voir inverse, d’après laquelle les trombes seraient des appareils d’aspiration. Il est bien aisé au savant astronome de montrer dans quelle erreur sont tombés ses devanciers, car l’alimentation de la trombe par en bas serait absolument inexplicable. Au contraire, on s’en rend compte bien aisément, si on la compare aux tourbillons qui ont lieu dans l’eau dans tant de circonstances. Comme M. le général Morin l’a rappelé, de pareils tourbillons se produisent souvent sur le Rhin, en avant des épis que le service des ponts-et-chaussées construit pour protéger la rive. Ces tourbillons commencent par être des entonnoirs peu profonds, mais la vitesse s’accélérant, ils prennent insensiblement la forme de puits allant toucher le fond. Ces puits, véritables Maëlstroms en miniature, sont entraînés par le courant et aspirent tout ce qui se trouve dans leur sphère d’activité. Il n’est pas rare que des canots légers « piquent une tête » dans ces gouffres, et le batelier ne s’en tire pas toujours sans peine. Pour M. Faye, la trombe proprement dite n’est que la reproduction dans l’atmosphère de ce phénomène si fréquent dans les cours d’eau. La cause est la même et tous les détails se trouvent être semblables. En terminant sa communication, M. Faye constate avec satisfaction que ses idées relatives à la concavité des taches solaires sont à la fin adoptées en Allemagne, où elles avaient rencontré tant d’opposition de la part de M. Kirchhoff et de son école. Une récente publication de M. Zöllner montre que, sur ce point, il s’est converti aux idées de notre compatriote, toutefois, sa théorie du soleil est différente, et ajoutons-le, elle parait inacceptable. Pour lui, le soleil est une sphère liquide, comme une masse de lave en fusion, enveloppée d’une épaisse couche de nuages qui constitue la photosphère. Si, pour une cause que l’auteur ne précise pas, cette couche de nuages vient à se briser en un point, la surface du liquide sous-jacent peut rayonner vers les espaces ; elle se refroidit donc, et en ce point se forme un grumeau de scorie, qui est justement le noyau d’une tache. On avouera que cette supposition est bien peu probable. À part l’épaisseur de 600 lieues qu’il faut attribuer à la photosphère (c’est la profondeur mesurée des taches), et qui rend le refroidissement par rayonnement bien difficile, il faut supposer, pour que la scorie puisse se former et subsister, qu’aucun courant n’existe dans la mer liquide et que son mouvement est rigoureusement le même que celui de la photosphère. Or cela est absolument impossible.

Les étoiles filantes de novembre. — Cette année la pluie ordinaire d’étoiles filantes du 13 novembre n’a pas été observée. On sait que ce phénomène périodique offre un maximum tous les 33 ans et 3/4 ; il présente aussi des minimums pouvant aller jusqu’à zéro : c’est ce qui a lieu en ce moment. Comme le rappelle M. Le Verrier, ce fait est bien facile à comprendre. Les étoiles filantes sont, ainsi que MM. Schiaparelli et Le Verrier l’ont démontré chacun de leur côté, comme le résultat de l’égrènement des comètes le long de leur orbite. Si cette orbite vient croiser celle de la terre, celle-ci peut passer dans la poussière cométaire qui apparaît alors sous formes d’étoiles filantes. Mais on conçoit que la quantité de cette poussière doit varier avec le plus ou le moins d’éloignement du rayon cométaire, et il peut se faire qu’assez loin de ce noyau cette poussière manque totalement. Toutefois, au bout d’un temps suffisant, l’égrènement peut réduire toute la masse cométaire en une ceinture continue remplissant toute la trajectoire de l’orbite ; alors on voit tous les ans des étoiles filantes sans qu’on puisse apprécier de maximum et de minimum. Le premier cas est réalisé par les étoiles filantes de novembre, dérivant de la comète de Tempel ; l’autre par les météores d’août dont la source est la grande comète de 1862.

On se souvient que l’an dernier, le 27 novembre, on observa une pluie remarquable d’étoiles filantes. Celles-ci furent rattachées à la comète de Biela et on se promit de les épier l’année suivante. L’époque vient de venir et l’on n’a rien vu.

Enfin, il y a un autre examen du même genre à tenter dans les environs du 2 décembre, car on a reconnu, dans la récente comète de M. Coggia, la réapparition de la comète découverte par Pons, il y a cinquante-quatre ans. Le directeur de l’Observatoire de Vienne, M. de Littrow, pense que l’orbite de cette comète se trouve en ce moment à une distance de la terre égale aux 2 dixièmes de l’orbite terrestre. Si cette distance est inférieure, il y a chance, comme le remarque M. Faye, pour que nous passions au moins dans la queue de la comète.
Stanislas Meunier.