Académie des Beaux-Arts
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ACADÉMIE DE BEAUX-ARTS
I
C’était une heureuse famille que la famille Gandrons, et, depuis tantôt douze ans que la fortune était entrée dans cette maison, pas un nuage n’avait assombri l’horizon : Jeanne et Amélie, de gentilles gamines étaient devenues de ravissantes jeunes filles, admirablement élevées ; leur mère leur donnait l’exemple de toutes les vertus et de toutes les qualités de la femme d’intérieur ; leur institutrice, Mlle Hélier, continuait auprès d’elles, comme amie, sa mission toute de confiance ; et, au milieu de ces quatre femmes, M. Gandrons, choyé, gâté, comme le méritait sa vie entière, toute de travail, de dévouement et de tendresse, laissait rayonner son visage où luisaient, de contentement, des yeux que venait parfois ternir, pour un moment, une larme attendrie.
Oui, c’était une heureuse famille, dont chaque membre se savait aimé des autres et pouvait compter sur eux. Toutes les chances, d’ailleurs : pas une maladie, pas un ennui, pas un accroc. Ainsi, pour payer son hôtel de l’avenue Kléber, Gandrons avait retiré ses fonds, déposés chez un banquier, juste quinze jours avant la banqueroute de celui-ci. Le reste à l’avenant.
Le 1er janvier l89…, vers huit heures du soir, on finissait de dîner et, tout en prenant son café, le chef de la famille promenait un regard réjoui sur son entourage habituel, augmenté pour la circonstance du vieux couple Durand, des amis de jadis, du temps où l’on n’était pas riche, et de trois parents pauvres, les Grangier.
« Voyez-vous, mes amis, s’écria Gandrons, nous avons tenu, ma femme et moi, à être dans l’intimité aujourd’hui et vous ne nous en voudrez pas, j’en suis sûr, d’avoir préféré un dîner… comment dirai-je ?… d’amitié, d’affection, au grand tralala des cérémonies. Nous n’avons prié ni les Martin-Bouvert, ni les Chinegrand, ni les Poston, bien que ce soient de proches parents, parce que…
— Ne cherchez pas vos phrases, mon neveu, interrompit la vieille tante Raphaële Grangier. Les Martin-Bouvert sont des crocodiles ! Quand nous refusons leurs invitations, ils nous traitent d’orgueilleux mendiants ; lorsque nous les acceptons, ils nous appellent mendiants-parasites. Quant aux Chinegrand et aux Poston, ils nous regardent du haut de leurs écus et ne daignent ni nous inviter, ni même nous parler lorsque nous les rencontrons par hasard. Aussi, moins nous voyons tous ces gens-là, mieux cela nous plaît. À votre santé, mon neveu ; à la vôtre, ma nièce ; à vous, mes enfants et mademoiselle Hélier ; à vous, nos bons Durand ; à tous une heureuse année. »
Et l’on passa au salon.
II
Le lendemain, à peu près à la même heure, la famille se trouvait encore réunie à table, mais la joie de la veille était partie. Le père avait le front soucieux, lui si gai d’ordinaire, et cela suffisait pour jeter une note mélancolique dans les conversations. Gandrons avait peu mangé, malgré les tendres instances de sa femme, qui, habituée à lire sur le visage de son mari comme en un livre ouvert, avait deviné qu’une préoccupation angoissante, ou tout au moins sérieuse, tenaillait l’esprit de l’excellent homme.
Lorsque les domestiques se furent retirés, Gandrons se redressa, retrouva son air calme, et son regard, d’abord voilé, reprit l’éclat lumineux et profond qui était son plus grand charme.
« Ma chère Suzanne, et vous, mes enfants, j’ai à vous faire une communication importante… — grave même… — ne vous en allez pas, mademoiselle Hélier, vous n’êtes jamais de trop dans nos affaires de famille… Oui, grave… et… et… pénible… »
À ce mot, et d’un commun mouvement, la mère et les jeunes filles se précipitèrent vers lui pour l’embrasser, tandis que Mlle Hélier, regagnant sa place, lui tendait la main à travers la table.
« Merci, mes chéries : merci, mademoiselle. Allons, calmez-vous… vous voyez combien je suis calme moi-même. Reprenez vos chaises ; là… et écoutez-moi. »
Alors doucement, tendrement, employant les mots les moins inquiétants, Gandrons leur dit que, dans la journée, il avait reçu la nouvelle d’un désastre, vingt-cinq mille francs de rente qui leur manquaient d’un jour à l’autre ; il avait couru aux renseignements, vu par ses yeux, compté avec Giraud, dans l’usine de qui il avait mis le capital ; tous comptes faits, il leur restait l’hôtel de l’avenue Kléber, la moitié du matériel de Giraud, c’est-à-dire environ cent mille francs, et les quelques valeurs en portefeuille qu’il avait toujours comme en-cas. Donc, une fois tout réalisé, on serait non dans la misère, mais dans la gêne, parce que le matériel, vendu comme cela brusquement, ne donnerait pas la moitié de sa valeur vraie, non plus que l’hôtel, le cheval, la voiture, etc.
Les femmes écoutaient, le coude sur la table, les yeux rivés aux siens, un peu angoissées mais vaillantes ; et pas une larme, pas une de ces explosions de chagrin que le père semblait redouter, ne vint ajouter un surcroît d’amertume à sa propre douleur. Car il souffrait réellement, atrocement, le pauvre brave homme, à la pensée que tout son cher monde allait, du jour au lendemain, se trouver privé du luxe, du bien-être, qui formaient un si joli cadre à la beauté des jeunes sœurs, à la grâce de Mme Gandrons.
Quand il s’arrêta, soit pour dompter son émotion, qu’il refusait de laisser voir, soit pour attendre des questions faciles à prévoir, une seule exclamation se fit entendre. C’était Suzanne qui pensait tout haut, et, d’un mot, montrait toute la bonté de son cœur. Elle disait :
« Ah ! les pauvres Grangier ! »
Ces Grangier étaient la tante Raphaële, son mari et sa fille, les invités de la veille, à qui, depuis douze ans, Mme Gandrons servait une pension de dix-huit cents francs pour parer à l’insuffisance de la retraite du père, ancien petit percepteur en province.
Les voyant si calmes, Gandrons eut peur qu’elles n’eussent pas bien compris. Pourtant, ce que venait de dire Suzanne… Néanmoins, il recommença son récit, appuyant un peu plus sur les conséquences, puis s’arrêta parce que Jeanne et Amélie, Suzanne et Mlle Hélier l’entouraient, lui parlaient tendrement, trouvant des phrases douces pour le consoler, tout comme s’il eût été seul atteint par la catastrophe et qu’elles y fussent restées complètement étrangères.
Puis, l’heure s’avançant, on s’embrassa beaucoup et l’on se retira pour la nuit, chacun chez soi.
III
M. Gandrons suivit sa femme dans sa chambre, où, à peine entrée, Suzanne, un peu frémissante, l’interrogea :
« Eh bien, qu’est-ce qu’il y a au juste, mon pauvre ami ?
— Ce que je vous ai dit tout à l’heure.
— Bien, mais les détails ? Je n’ai pas voulu te questionner devant les enfants, pensant bien que tu savais mieux que moi ce que tu avais à dire. Mais, maintenant que nous sommes seuls, confie-moi tout, mon cher Maurice.
— Eh bien, voilà. Absorbé par son invention… tu sais, ce fameux engin qui doit récupérer la chaleur perdue des machines motrices ?…
— Je sais, sans savoir, tu comprends. Mais enfin je connais les rêves de Giraud… en gros. Continue.
— Absorbé par son invention, Giraud n’a pas surveillé ses ateliers. Depuis des mois, il me l’a avoué, il a cessé d’exercer ce contrôle minutieux dont un industriel ne doit jamais se départir et tout allait à la diable.
— Hélas !…
— Il y a eu du coulage, beaucoup de coulage ; une mauvaise fabrication ; de fortes commandes manquées et refusées ; de grosses réparations nécessitées par la négligence des ouvriers ou des contre-maîtres, ennuyés de voir que le patron semblait se désintéresser de leur travail ; que sais-je encore ?
— Et alors ?
— Alors, au lieu de m’avertir tout de suite…
— Comme il l’aurait dû.
— Oui, comme il l’aurait dû, le pauvre Giraud !
— Tu le plains ?
— Parbleu ! Il est assez puni, le malheureux ! Et toi aussi, tu le plains, j’en suis sûr.
— Peut-être. Enfin, tu disais ?…
— Je disais que Giraud ne m’a pas averti parce qu’il croyait toujours parfaire son invention le lendemain, toucher au but et qu’il escomptait en pensée les bénéfices futurs pour boucher les trous par où filait l’argent. Une grosse échéance arrive, il ne peut y faire face, emprunte à un taux usuraire, se trouve dans l’impossibilité de rembourser à la date fixée, se débat, perd la tête, compromet nos intérêts de plus en plus et enfin arrive à la catastrophe : la ruine, la liquidation désastreuse, etc.
— Et tout cela sans rien te dire. Oh ! que c’est mal ! Un homme qui te doit tout ?
— Il va me devoir plus encore, maintenant, fit Gandrons avec un demi-sourire.
— Tu plaisantes ? C’est pour me donner du courage ? Va, je n’ai pas besoin de cela ; je suis vaillante. Nous sommes assez jeunes et bien portants…
— Oui.
— L’honneur est sauf…
— Dieu merci !
— C’est plus qu’il n’en faut pour garder de l’espoir. Je suis vaillante, je te le répète.
— Je le sais, ma chère femme. Et nos filles ! Ont-elles été assez braves et gentilles, les mignonnes ?
— Et Mlle Hélier aussi, la chère bonne amie.
— Oui, oui, vous êtes autour de moi comme quatre anges… autour d’un caporal.
— Ne ris pas, Maurice ; je vois que tu te forces et je ne le veux pas. Envisageons la situation sous son vrai jour et examinons les décisions à prendre. »
Ils passèrent la plus grande partie de la nuit à cet examen. Finalement on résolut de ne pas vendre l’hôtel, mais de le louer tout meublé. Combien ? Ah ! dame, pas grand’chose ! Il est bien petit et l’on est si pressé ! Voyons ? Quatre mille cinq cents francs ? Ce sera tout le bout du monde. Bien entendu, on vendra le cheval ; quoi ? un millier de francs tout au plus. Puis la voiture, bien. Les bijoux ? ces dames en ont si peu, en dehors des souvenirs.
« Enfin, on verra, dit Suzanne, parce que les bijoux ne tiennent pas de place comme une voiture et ne mangent pas comme un cheval. On peut les laisser dans un tiroir ; une ressource en cas de besoin.
— Eh bien, tous calculs faits, toutes dettes payées, répondit Gandrons, il doit rester… Et le matériel de Giraud que j’oubliais ! Nous en avons la moitié.
— Va-t-il vendre ? interrogea sa femme.
— Non, Giraud ne vendra pas. Il offre de faire rembourser la part du matériel avec une perte de vingt-cinq pour cent, par annuités, en dix ans… C’est à voir… ou bien continuer les affaires, mais avec la certitude de n’avoir aucun bénéfice pendant trois ou quatre ans. Seulement, après, les affaires reprendront…
— Pour retomber à plat comme aujourd’hui ! Va, mon ami, il vaut mieux le remboursement.
— Oui, et, si l’on compte l’intérêt à quatre, cela fait dans les trois mille. Les valeurs qui sont là, dans le secrétaire, donnent quinze cents environ ; la location de l’hôtel… mais il y a les impôts, les réparations, et puis on n’est pas sûr de louer toujours… Mettons trois mille net. Tout cela fait… trois… quatre mille cinq… sept mille cinq. Et les dettes, combien ?
— Jamais beaucoup, à cause de l’ordre extrême qui règne dans la maison. Mlle Hélier la chère amie, tient les comptes et s’entend comme personne à diriger la barque. Voyons les dettes ? couturière, modiste, la nourriture, l’avoine, le fourrage, tout au plus sept ou huit mille francs.
— Allons, ma pauvre chérie, il nous restera bien juste sept mille francs de revenu. Ce n’est guère pour quatre.
— Pour cinq, mon ami.
— Oh ! crois-tu que nous puissions penser que Mlle Hélier…
— Elle offrira de rester, et, comme elle est seule au monde, nous accepterons. Songe donc, voilà quinze ans qu’elle est avec nous ; elle est venue à la maison quand Jeanne avait à peine trois ans.
— Et nous ne lui donnions pas grand’chose.
— Elle venait de passer ses examens, et depuis elle ne nous a jamais quittés.
— Oui, mais elle n’a que… quel âge a-t-elle au juste ?
— Trente-cinq ans.
— Elle est jolie, instruite et bonne ; elle peut se marier.
— Tu sais bien qu’elle a toujours refusé ; Gaston de Champois, par exemple.
— Dans le temps, oui ; mais maintenant ? Enfin, nous verrons. Mettons sept mille francs pour cinq. Tu trouves que ?…
— Je trouve que c’est énorme d’avoir cela. Il fut un temps où nous aurions été bien contents d’être riches à ce point. »
Et la conversation continua sur ce ton jus qu’au jour.
IV
Pendant ce temps, les deux sœurs, Amélie et Jeanne, causaient aussi dans leur chambre. En y entrant elles avaient commencé par tomber dans les bras l’une de l’autre et par verser une quantité raisonnable de larmes. Défaillance, chagrin, quoi ? Pas du tout. Détente nerveuse, simplement. Chacune avait bientôt essuyé les yeux de l’autre et elles s’étaient assises sur un sopha :
« Dis, Jeanne, qu’est-ce que nous allons faire ?
— Je ne sais, mignonne. Papa décidera.
— Pour les grandes affaires, bon. Mais nous ? Il faut chercher, nous remuer ; nous devons avoir quelque chose à faire ; je ne sais pas quoi, mais…
— Ah ! d’abord, oui, il faut vite écrire à Mlle Thion et à Mme Grand pour décommander les robes et les chapeaux choisis ce matin.
— Tu vois bien. Et après ?
— Après… après… c’est tout.
— Oh ! que non ! Combien as-tu d’argent ?
— Tiens, c’est vrai ; mais au moins cinq cents francs ; et toi ?
— La même chose. Nous donnerons cela à Mlle Hélier pour payer les gages des domestiques.
— Oh ! chérie !
— Et après ?
— Après ?… Nous vendrons nos bijoux, nos bibelots, tout.
— C’est ça ! Comme tu as de bonnes idées ! »
Et alors commencèrent à défiler les plans les plus splendides, tous irréalisables, d’ailleurs, mais empreints de la plus tendre affection pour le père, la mère et Mlle Hélier.
À trois heures du matin, il était décidé qu’on proposerait à papa d’aller habiter les environs de Versailles « où la vie est bien moins chère, tu sais, Jeanne ». On aurait une maison avec jardin, des poules, des lapins.
« Et nous pourrions même emmener tante Raphaële et son monde, n’est-ce pas, Amélie ? »
En somme, après plusieurs heures de projets bizarres, les jeunes filles étaient arrivées à une solution assez raisonnable, ce dont elles n’étaient pas peu fières.
Elles dormirent comme si rien n’était advenu.
V
Mlle Hélier, qui n’avait pas voulu suivre Jeanne et Amélie chez elles, était, de son côté, rentrée dans sa chambre et s’était, tout de suite, mise à écrire une lettre :
« Depuis de longues années vous m’avez dit maintes fois que je pourrais avoir recours à vous en cas de besoin. Je frappe à votre porte. Le malheur vient de tomber chez mes excellents amis Gandrons, qui se trouvent presque tout à fait ruinés.
« Je ne puis, ni ne veux rester à leur charge. Voici mon projet : je désire, soit seule, soit avec mes élèves Jeanne et Amélie, fonder un cours, une sorte d’académie des Beaux-Arts : peinture, littérature, musique, au choix. Vous savez que Jeanne a un joli talent d’aquarelliste et qu’Amélie chante comme un rossignol. Elles ont, en outre, toutes deux, ce qu’il faut pour bien professer : la patience, la bonté et le courage. Voulez-vous m’aider ? Je sais que vous me répondrez : oui ; et, sans attendre, je vais vous dire ce que vous pourrez faire pour moi.
« Mais vous avez déjà deviné qu’il s’agit de nous mettre à la mode parmi vos nombreuses relations de Passy et des Champs-Élysées. C’est cela même et je suis si sûre de votre bonté que je considère notre succès comme assuré. Merci d’avance, chère bonne Madame et amie.
« Permettez-moi de baiser vos belles mains comme lorsque j’étais enfant et laissez-moi me dire votre toujours tendre, respectueuse, reconnaissante et dévouée,
« P.-S. — Par le temps qui court, on joue beaucoup la comédie, un peu partout… et ailleurs. Nous pourrions avoir des séances de diction, ce qui ne serait pas mal, et nous charger de faire répéter les rôles à nos élèves, jeunes filles ou jeunes femmes, ce qui serait mieux. Ayez la bonté de me dire ce que vous pensez de mon idée. »
Et puis, l’adresse : « Madame la générale Renoulx, 223, avenue du Bois de Boulogne. »
VI
Ah ! il y eut de grandes batailles, les jours suivants, chez les Gandrons ! et des joutes oratoires, et des conciliabules, auxquels prit part, avec voix délibérative, comme elle disait, la bonne Mme Renoulx que tout le monde, parmi ses amis, appelait « la Maréchale ». Ce fut un assaut de générosité, de délicatesse ; et tous ces gens qui avaient reçu sans broncher le choc pénible du 2 janvier, se laissaient aller à pleurer dans les petits coins, devant les preuves de dévouement et d’abnégation que chacun donnait aux autres.
Enfin la générale fait triompher, de haute lutte, le projet de Marthe Hélier, avec les conditions stipulées par Gandrons et les sous-conditions ajoutées par elle-même.
« Résumons-nous, dit-elle, de sa voix claire. Le rez-de-chaussée de l’hôtel sera transformé en salles de cours, ateliers, etc., pour l’académie que fonde Mlle Hélier avec Mlles Jeanne et Amélie Gandrons comme sous-directrices, professeurs et associées. M. et Mme Gandrons prendront la chambre… Non, au fait, on s’arrangera comme on pourra. Mlle Hélier et ses associées payeront à M. Gandrons un loyer de trois mille francs… pas d’observations, s’il vous plaît… c’est convenu, archi-convenu… par semestre et d’avance, garanti par Mme Renoulx, ici présente, saine de corps et d’esprit… oui, monsieur ! vous avez beau rire… saine d’esprit autant que de corps. Mlle Hélier sera logée, nourrie, chauffée, etc., et, par-dessus le marché, aimée, choyée comme devant, par la famille Gandrons. C’est cela, embrassez-la, elle le mérite cent fois. Et moi aussi ? Eh bien, embrassez-moi et laissez-moi finir… M. Gandrons acceptera de Mme Renoulx, qui se fait vieille, bien qu’elle n’en ait pas l’air… dame ! mes chères petites, je cours sur mes soixante-cinq ans… acceptera une indemnité annuelle de cinq mille francs… comment ? j’avais dit trois mille ? Pas du tout, vous aviez mal entendu ; les trois mille c’était le semestre de loyer… de cinq mille… Ah ! si vous me coupez encore la parole, tout est rompu et ce sera six !… On me vole pour plus de douze mille francs par an, mes bons amis ! alors… de cinq mille… quoi, quatre ? J’ai dit cinq et je n’en rabattrai pas un fifrelin !… Nous disons : une indemnité de cinq mille francs… Bon Dieu ! vous êtes tout à fait insupportables… Et vos vieux Grangier ? Vous n’y pensez donc pas ?… Ah ! cela vous clôt le bec ! Ce n’est pas dommage… cinq mille… pour surveiller, gérer et administrer la fortune immobilière de ladite Mme Renoulx, qui a maisons à Paris, bois, fermes et château en province… mais pas en Espagne. Et maintenant, comme eût dit mon pauvre cher général : « Soldats, je suis content de vous. Rompez. »
VII
Deux mois après, une longue file de voitures s’arrêtait trois fois par semaine devant l’hôtel de l’avenue Kléber, sur le mur duquel, près de la porte, se trouvait une simple plaque de marbre portant en lettres dorées les mots : « Beaux-Arts ».