Conseil colonial de la Guadeloupe
Imprimerie de Giraudet et Jouaust (p. 50-52).

LETTRE DE M. LE GÉNÉRAL AMBERT

AUX DÉLÉGUÉS.


Basse-Terre, 27 novembre 1847.


Messieurs les Délégués,


La session du conseil colonial a été close samedi dernier, 20 du présent mois, après une séance qui s’est [prolongée] jusqu’à sept heures du soir. Le projet d’organisation du travail libre, et l’adresse au roi votée sur la proposition de M. de Bovis, demeurent les deux actes importants de cette deuxième période de la session de 1847. Je vais tâcher de vous rendre compte succinctement des impressions produites par la discussion de ces actes et de la pensée qui a présidé aux différents votes dont ils ont été l’objet.

Le travail de la commission, soumis au conseil par l’organe de M. Payen, rapporteur, témoignait d’un zèle éclairé. Étudié avec soin dans son ensemble et dans ses détails, il touchait à tous les points essentiels du nouvel ordre de choses. Cependant il fut violemment attaqué dès le début par deux orateurs : le premier, membre élu pendant l’intervalle de la prorogation, et qui, par conséquent, n’avait point pris part aux précédentes résolutions du conseil, laissait entrevoir, dans son opposition, une pensée qui ne pouvait avoir d’écho dans une enceinte où retentissait encore l’éclat d’une généreuse manifestation ; le second, partisan des nouvelles doctrines, tout en défendant avec ardeur les principes qui avaient servi de base à l’œuvre de la commission, attaquait cependant le travail dans sa forme, dans ses détails et dans quelques unes de ses dispositions essentielles.

Sorti sain et sauf de cette première lutte, le projet de la commission fut soumis à un examen de détail, et discuté article par article. Cette discussion, conformément à un vote du conseil, dont vous retrouverez les motifs dans l’un des premiers procès-verbaux, eut lieu officiellement en présence des chefs d’administration. Mais, à mesure qu’on entrait plus avant dans l’examen de cette importante matière, les difficultés se révélaient et les obstacles se multipliaient à chaque pas. Le conseil s’effrayait de la grandeur de la tâche qu’il avait entreprise et du peu de temps qu’il s’était réservé pour l’accomplir. Placé entre la crainte de faillir à un engagement solennel et le désir de ne produire qu’une œuvre à la hauteur de la grande question sociale qu’il avait à résoudre, il doutait par instants de lui-même et du résultat de ses travaux. Ces légitimes appréhensions, faites pour honorer une assemblée, étaient de nature cependant à produire dans les esprits un sentiment de découragement qui se manifesta surtout au moment du vote définitif sur l’ensemble du projet.

Les procès-verbaux vous rendront compte des perplexités du conseil à cet instant décisif. (Séance du 13 novembre.) Plusieurs membres voulaient que le vote fût ajourné et que le projet fût renvoyé à une nouvelle commission. Ils pensaient que le conseil avait assez témoigné de sa bonne foi en s’occupant officiellement et sans retard de l’accomplissement de sa promesse, et qu’on ne pourrait sans injustice lui reprocher quelques lenteurs inséparables d’une question d’un ordre aussi élevé.

Cette proposition était vivement combattue par ceux qui redoutaient les malveillantes interprétations auxquelles un ajournement pourrait donner prétexte.

Il est essentiel de bien prendre garde au sens de la question, telle qu’elle résultait de la discussion et telle qu’elle fut posée par le président, après une explication que vous trouverez relatée au procès-verbal et qui suffit pour écarter d’une manière péremptoire toute fausse interprétation. Il fut bien établi que le vote n’avait pour objet que l’appréciation du travail en lui-même et qu’il ne pouvait porter nulle atteinte aux résolutions antérieures du conseil, en un mot que c’était une question d’ajournement, et non une question de rejet, et que, si le résultat était négatif, il y aurait lieu à nommer immédiatement une nouvelle commission, ou même à renvoyer le projet à celle déjà instituée, afin qu’il fût remis à l’étude pour être présenté de nouveau à la prochaine session. Vous comprendrez aisément pourquoi j’insiste sur ce point. Avec les dispositions peu favorables dans lesquelles on est à notre égard, on cherchera peut-être à donner à ce vote une intention qu’il ne pouvait avoir, et il est utile que vous soyez prémuni contre ces fâcheuses tendances.

Le projet l’emporta à la simple majorité d’une voix. Connaissant maintenant l’état des esprits au moment de ce vote, vous pouvez en apprécier vous-mêmes la véritable signification, et par un examen attentif et impartial du travail du conseil vous jugerez jusqu’à quel point étaient fondées les hésitations de la minorité.

L’adresse au roi résume toutes les questions vitales du pays. Elle répond d’une manière victorieuse aux doutes émis sur notre sincérité ; votée à l’unanimité moins une voix, elle fait écrouler les coupables espérances de désunion dont quelques esprits se berçaient encore. Expression franche et loyale de nos sentiments et de nos plaintes, elle ne pouvait donner lieu à aucune discussion, et elle n’a eu à subir, dans un court débat, que quelques modifications de rédaction. On pourra la trouver un peu longue, mais il faut tenir compte de la quantité des matières qu’elle avait à traiter ; si elle dépasse un peu les bornes d’une adresse au roi, elle ne sera pas trop longue comme mémoire au gouvernement. Recevez, Messieurs les Délégués, l’assurance de ma considération distinguée,

Le Président du conseil colonial,
Signé Ambert.




Impr. de Guiraudet et Jouaust, rue S.-Honoré, 315.