Conseil colonial de la Guadeloupe
Imprimerie de Giraudet et Jouaust (p. 12-14).

ADRESSE AU ROI.

SÉANCE DU 10 JUILLET 1847.


« Sire,

» La loi du 18 juillet 1845 semblait devoir, pendant quelques années encore, prémunir les colonies contre de dangereuses innovations ; mais elle n’a pas répondu aux exigences toujours croissantes des idées nouvelles.

» Le Conseil colonial de la Guadeloupe veut s’associer à la pensée de la France. Il vient offrir à Votre Majesté, au nom du pays, de marcher avec elle dans la voie de l’émancipation.

» En entrant franchement dans cette voie, le Conseil doit appeler l’attention de Votre Majesté sur l’utilité de son concours dans les mesures à prendre pour arriver, sans compromettre le bonheur et la sûreté de tous, à la transformation qu’il accepte. Il proteste de son dévoûment à la cause qu’il embrasse, et, pour gage de sa sincérité, il veut sans retard se mettre en devoir d’accomplir la tâche qu’il s’est imposée.

» Déjà une commission a été nommée par le Conseil ; elle a pour mission de préparer un plan qui, dans la vue de la transformation sociale des colonies, aurait pour objet le maintien du travail, et pour base le principe de l’association, principe d’une application peut-être impossible en Europe, mais qui peut se réaliser dans des pays où se trouvent déjà tout formés des groupes de famille et de société.

» Si les vœux du Conseil sont écoutés, Votre Majesté daignera consulter le travail qu’il aura préparé, comme l’un des éléments de la loi qui réglera les conditions de l’émancipation, en fixant l’indemnité dont votre gouvernement a maintes lois proclamé la justice.

» La situation exceptionnelle des colonies pourrait expliquer jusqu’ici l’exclusion des colons de la chambre élective ; mais l’initiative que le Conseil prend en ce moment fait disparaître des distinctions que repousse la qualité de Français. Ils demandent à Votre Majesté de participer à la représentation nationale.

» Sire, toute émancipation partielle, en introduisant des causes de dissolution dans les groupes dont se compose la société coloniale, serait fatale au succès de l’œuvre que nous voulons accomplir avec la France. Le Conseil supplie Votre Majesté de préserver les colonies des malheurs qu’entraîneraient inévitablement pour elles de semblables mesures.

» Nous sommes avec un profond respect,

» Sire,
» de Votre Majesté,
» Les très humbles, très obéissants
» et fidèles serviteurs,
Les Secrétaires :            Le Président du Conseil colonial :
» Signé A. Léger et Ledentu. » » Signé Ambert.


M. de Bovis : « Messieurs, la discussion de la dernière séance n’aura pas été perdue, et l’adresse qu’on vous présente aujourd’hui y a puisé, sans aucun doute, cette allure plus résolue que je suis heureux d’y remarquer. Je désire qu’il soit bien constaté que la minorité dont je faisais partie contre la proposition de M. Payen n’a voté contre cette proposition que parce qu’elle ne lui semblait pas formuler assez nettement la demande de l’émancipation simultanée. Aujourd’hui les dissidences doivent cesser, la minorité doit s’incliner et se rallier sincèrement aux vœux exprimés dans l’adresse dont on vient de vous donner lecture, et que nous adopterons, je l’espère, par acclamation. Aucun de nous, Messieurs, ne se dissimule l’importance de la résolution solennelle que nous allons prendre. Notre vote proclame l’abolition de l’esclavage ; il élève une muraille entre le passé et l’avenir. Oublions donc le passé ; étouffons de stériles regrets, s’il en est encore au fond de nos cœurs, et tournons avec courage nos regards vers cet avenir de régénération qui s’ouvre devant nous ; que le concours de toutes les intelligences et de toutes les volontés soit désormais acquis à l’œuvre de notre transformation sociale ! »

M. Payen : « Je suis heureux de cette adhésion de la minorité ; notre résolution y puisera une nouvelle force, et ce concert unanime des opinions sera le gage le plus solennel de la sincérité de notre concours à l’œuvre de l’émancipation. Je remercie donc la minorité des dispositions qu’elle vient de manifester par l’organe de l’un de ses membres. Cependant je dois dire au Conseil que l’adresse dont il vient d’entendre lecture n’est que l’expression fidèle de la proposition adoptée dans la séance d’hier. La commission, esclave du vote du Conseil, s’est scrupuleusement maintenue dans les limites qui lui étaient tracées. »

Personne ne demandant la parole, le président met l’adresse aux voix par assis et levé.

Tous les membres du conseil, à l’exception d’un seul, se lèvent en faveur de l’adoption.

L’adresse au roi est adoptée, sans modifications, à l’unanimité, moins une voix.


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