Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 295-296).

VI[1]


 
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Vingt barques, faux tissus de planches fugitives,
S’entrouvrant au milieu des eaux,
Ont elles, par milliers, dans les gouffres de Loire
Vomi des Français enchaînés,
Au proconsul Carrier, implacable après boire,
Pour son passe-temps amenés ?
Et ces porte-plumets, ces commis de carnage,
Ces noirs accusateurs Fouquiers,
Ces Dumas, ces jurés, horrible aréopage
De voleurs et de meurtriers,
Les ai-je poursuivis jusqu’en leurs bacchanales,
Lorsque, les yeux encore ardents,
Attablés, le bordeaux de chaleurs brutales
Allumant leurs fronts impudents,
Ivres et bégayant la crapule et les crimes,
Ils rappellent avec des ris,
Leurs meurtres d’aujourd’hui, leurs futures victimes,
Et parmi les chansons, les cris,
Trouvent deçà, delà, sous leur main, sous leur bouche,
De femmes un vénal essaim,
Dépouilles du vaincu, transfuges de sa couche,
Pour la couche de l’assassin.
Car ce sexe ébloui de tout semblant de gloire,

          Né l’héritage du plus fort[2],
Quel que soit le vainqueur suit toujours la victoire ;
D’une lèvre arbitre de mort
Étale le baiser, le brigue avec audace ;
Et pour nulle oppressive main
Leur jupe n’est pesante, et l’épingle tenace
N’a de pointe autour de leur sein.
Le remords est, dit-on, l’enfer où tout s’expie.
Quel remords agite le flanc,
Tourmente le sommeil du tribunal[3] impie.
Qui mange, boit, rote du sang ?
Car qui peut noblement de leur bande perverse
Rendre les attentats fameux ?
Ces monstres sont impurs ; la lance qui les perce
Sort impure, infecte comme eux[4].

  1. Édition G. de Chénier.
  2. L’auteur a d’abord écrit
    Héritage-né du plus fort.
    (G. de Chénier).
  3. L’auteur a écrit : dicastère.
  4. Ces deux vers et quelques traits des ïambes précédents avaient été cités par M. G. Guizot dans son cours du 3 février 1869.