Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 212-214).


VIII[1]

LES POÈTES[2]


Après la prise de Constantinople et la renaissance des lettres, lorsque l’étude de la langue grecque et romaine fut répandue jusque dans le Nord…


Pour entendre ce chœur de cygnes étrangers,
Le vaste écho des monts que la Baltique embrasse,
Hérissé de forêts, de ses antres de glace
Sortit, et, souriant, pour la première fois
Il se plut à s’entendre et méconnut sa voix.


Quand les Anglais commencèrent à cultiver la poésie… Milton… homme sublime, qui a quelques taches comme le soleil[3]. Pope… Thompson, aussi d’autres étincellent quelquefois de beautés, comme les volcans qui lancent du feu au milieu des cendres et de la fumée…


Les poètes anglais, trop fiers pour être esclaves.
Ont même du bon sens rejeté les entraves.

Dans leur ton uniforme, en leur vaine splendeur.
Haletants pour atteindre une fausse grandeur,
Tristes comme leur ciel toujours ceint de nuages,
Enflés comme la mer qui frappe leurs rivages
Et sombres et pesants comme l’air nébuleux
Que leur île farouche épaissit autour d’eux,
D’un génie étranger détracteurs ridicules
Et d’eux-même et d’eux seuls admirateurs crédules,
Et certes quelquefois, dans leurs écrits nombreux.
Dignes d’être admirés par d’autres que par eux[4].


Le beau siècle des Grecs n’est pas celui d’Alexandre… Leurs triomphes dans les lettres sont du même temps que leurs victoires pour la liberté… Toutes les îles… le Péloponèse… étaient pleins de poètes lyriques… Thespis parut… Alors la comédie… la tragédie… (les peindre allégoriquement). Les Perses viennent… Thémistocle… Minerve sur les remparts de sa ville chérie secoua sa redoutable égide… le Sunium trembla… elle secoua sa lance, elle lança la foudre… Xersès s’en retourna… son char (faire allusion au songe de sa mère dans Eschyle[5]… Sophocle, Phydias, etc… Salut, divine contrée où l’on a vu ensemble ce que l’on n’a point vu depuis et ce que peut-être on ne verra plus… les arts, la puissance et la liberté réunis ensemble.

Quoique les pays du Nord aient eu de très-beaux génies, il semble que les pieds délicats des muses aient peine à s’accoutumer à marcher sur tels et tels sommets.


Tiré de Pindare dans Quintilien

Il ne ramasse point l’eau qui tombe des cieux,
Quand l’automne tarit leur trésor pluvieux ;

C’est de son propre sein que des sources fécondes jaillissent…[6].
Of some Span. Pind.[7].

Qu’un autre compose des odes bien longues ; mais le feu le plus ardent est celui qui se consume le plus vite, il brûle et enflamme tout en un instant et l’on entend au loin son bruit et son éclat foudroyant.

  1. Édition G. de Chénier.
  2. L’auteur a écrit ce titre en grec abrégé περὶ ποιήτ.,
  3. Voy. page 106, note 1.
  4. Ce fragment avait paru dans la Revue de Paris, 1830.
  5. Les Perses, v. 176 et suiv.
  6. C’est en parlant de Cicéron que Quintilien, dans ses institutions oratoires, emploie cette métaphore empruntée à Pindare. Voici ce passage de Quintilien où il consigne son opinion sur l’orateur romain

    Nam mihi videtur M. Tullius, cum se totum ad imitationem Græcorum contulisset, effinxisse vim Demosthenis, copiam Platonis, jucunditatem Isocratis. Nec vero quod in quoque optimum fuit studio consecutus est tantum, sed plurimas, vel potius omnes ex se ipso virtutes extulit immortalis ingenii beatissima ubertate. Non enim pluvias (ut ait Pindarus) aquas colligit, sed vivo gurgite exundat, dono quodam providentiæ genitus in quo totas vires suas eloquentia experiretur. — Quintil., institut. orat., lib. X, cap. I, p. 916, edit. de Burmann, in-4o, 1720. (G. de Chénier.)

  7. C’est-à dire : tiré d’un Pindare en espagnol