Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Ah ! quand presque en naissant

Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 348-349).


Ah ! quand presque en naissant, hier, presque mon cœur
Se nourrissait au loin d’un avenir flatteur ;
Quand le charme qui suit les premières années
Ne m’offrait devant moi que belles destinées,
Assuré de mes dieux, quand mes jeunes projets
Me promettaient un nom, des plaisirs, des succès,
....................
Au sein de mes amis une vieillesse heureuse :
Ah ! je ne pensais pas, faible et naissant flambeau.
Sitôt m’aller éteindre en un obscur tombeau[1].
De maux prématurés la foule qui m’assiège
Méconnaît de mes ans le faible privilège ;
Et je vivrais aux pleurs, aux tourments condamné,
Esclave volontaire à la vie enchaîné,

Pour maudire mon sort, mes douleurs, ma faiblesse,
Pour traîner à vingt ans une infirme vieillesse !
Dans mes reins agités quand des sables brûlants
S’ouvrent un dur passage et déchirent mes flancs
....................
Il vaut mieux n’être pas que d’être misérable.


Finir par plusieurs pensées mélancoliques et un peu sombres, et enfin par ce mot ancien que le premier bonheur est de ne pas naître, et le second…, etc…[2]

(1782).

  1. Ce vers était suivi des deux ci-après que l’auteur a rayés :
    Sans apprendre mon nom à la gloire, à l’envie ;
    Sans avoir illustré ni ma mort, ni ma vie.
    (G. de Chénier.)
  2. De mourir bientôt. V. Plutarque. De consolatione ad Apollonium, c. XXVII, et passim, dans les chœurs d’Euripide, etc.