Œuvres de Saint-Amant/La Naissance de Pantagruel

Pour les autres éditions de ce texte, voir La Naissance de Pantagruel.

LA NAISSANCE DE PANTAGRUEL.

Pour une mascarade[1].


Le jour que je nasquis on vit pleuvoir du sel :
Le soleil, en faisant son tour universel,
De là soif qu’il souffrit beut quasi toute l’onde,
Et pensa d’un seul trait avaller tout le monde.
De là sont provenus tant d’abismes sans eaux,

De là sont derivez tant de rouges museaux,
Qui d’un gosier ardent, que rien ne desaltere,
S’occupent sans relasche au bacchique mystere ;
L’air, beaucoup plus en feu qu’au temps de Phaëton,
En cracha sur sa barbe aussi blanc que cotton,
Et la nuict de devant on vit avec merveille
Briller une comette en forme de bouteille,
Pour presage certain, non de mortalité,
Comme les autres sont, mais de pleine santé :
J’entens de ces santez que l’on fait à la table,
Et par qui l’homme est dit animal raisonnable.
Ce beau mignon Troyen, ce sommelier des dieux,
Avec la jeune Hebé, versant à qui mieux mieux,
Se lasserent les bras à leur remplir la coupe,
Et Jupiter en fut yvre comme une soupe.
Le grand mastin celeste en devint enragé,
Le sucre de Madere en poivre fut changé,
Les gigots de mouton en jambons de Mayence ;
La terre eut le hocquet : elle en cria vengence,
Et la nature mesme, en ardeur s’exaltant,
Se vit preste à mourir de la mort de Rolant[2] ;
Si bien qu’à mon exemple, ainsi que dit Histoire,
Par tout à gueule ouverte on demandoit à boire.

À boire ! à boire !


  1. On donnoit le nom de mascarades à des troupes de masques qui, surtout au temps de carnaval, couroient la ville, et souvent, sous ce déguisement, entroient dans des maisons où il y avoit bal, sans même être invites. V. Mlle de Montpensier, Mémoires.
  2. Que la soif fit tant souffrir à Roncevaux.