Œuvres de François Fabié - Tome 3/Nous n’irons plus

Œuvres de François Fabié
Alphonse Lemerre, éditeur (Poésies 1905-1918 : Ronces et Lierres. Les Paysans et la Guerrep. 27-33).

NOUS N'IRONS PLUS…




MON frère aimé, mes doux amis
Depuis si longtemps endormis
Sous l’herbe du vieux cimetière,
C’est Pâques : le bois feuille encor
Et frissonne dans la lumière ;
Ah ! rouvrez donc votre paupière,
Retournons dans ce frais décor…

Écoutez ! Les cloches appellent…
D’un arbre à l’autre s’interpellent
Grives et merles et coucous.
Tout n’est que vie et qu’allégresse.
Éveillez-vous et dressez-vous :
Allons au bois, après la messe,
Chercher des nids, sans peur des loups.

Allons chercher des nids, mon frère,
— Non comme jadis pour soustraire
Aux couveuses leurs oiselets,
Mais pour admirer dans la mousse,
Sur la branche où la feuille pousse,
Leurs chaumières ou leurs palais
De fin duvet ou d’herbe rousse…







En route, amis ! — Et, tout d’abord,
Sous ces houx à l’abri du nord
Regardez, presque a ras de terre ;
Quoique vêtu comme un notaire,
Entre deux couplets de chanson,
Le merle, devenu maçon,
Bâtit son nid en grand mystère.

Entrons au bois ; les yeux en l’air 1
Entendez là-haut ce chant clair !
C’est l’alléluia de la draine :
Son nid ne peut être bien loin ;
Scrutez l’enfourchure du chêne :
Elle l’y pose comme un coin,
Revêtu de mousse avec soin.

Mais, là-bas, un geai qui s’effare
Fait sonner son aigre fanfare
Et fuit d’arbre en arbre en jurant.
C’est l’oiseau le moins endurant :
Quand il quitte son nid, s’il sacre,
C’est le prélude qu’en rentrant
Tout finira par un massacre…

Voici le vallon redouté
Où filtre une avare clarté
Du haut des hêtres centenaires.
Sur l’un d’eux, un gros nid sans art,
Ainsi les aigles font leurs aires ;
C’est la demeure du busard
Qui porte un lièvre dans ses serres.

On consulte. Qui grimpera
Là-haut ? Nul n’ose… On reviendra
Dimanche, avec la carabine
De l’oncle Jean, et l’on tuera
Sur son nid l’oiseau de rapine,
Avec lequel, aux basses-cours,
On quêtera des œufs huit jours.

Allons plus loin. — Un chant suave
De flûte d’or, discrète et grave,
Monte dans le couchant vermeil ;
Sur son nid propice au sommeil
Et que le vent tiède balance,
Quand la forêt tombe au silence,
Le loriot jase au soleil.








Mais l’ombre croît sous les ramures.
Les chants ont fait place aux murmures,
Aux soupirs, aux bruissements ;
Et de vagues trottinements
Vers la pâture ou vers l’eau fraîche
Nous causent des effarements…
Plus d’un se sent la gorge sèche.

Oh ! ces sinistres carrefours
Où des chemins pleins de détours
Assemblent leurs ogives noires !
Et nous pensons au Drac, aux loups,
À de ténébreuses histoires
Qui se dressent dans nos mémoires
Et nous font courir, les yeux fous…

Respirons, voici la clairière.
Les taillis, la rose lumière
Du soleil mourant sur les prés.
On se retourne, rassurés,
Vers la forêt presque endormie,
Tout honteux de s’être apeurés
Sous son manteau de grande Amie.

On voudrait presque y retourner.
Mais non : l’angélus va sonner
Au clocher dont la girouette
Resplendit seule à l’horizon.
L’engoulevent, sur le gazon,
Fuit devant nous, et la chouette
Entonne sa triste chanson.

La chouette !… Ah ! mon pauvre rêve
Ce seul mot soudain me l’enlève.
— Mon frère aimé, mes doux amis,
Par ma chimère réunis
Hors de la tombe qui vous garde,
Dans les bois où mon cœur s’attarde
Nous n’irons plus chercher des nids.